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Honoraires de résultat par échanges de lettres

Une convention sur le principe d’un honoraire de résultat peut résulter d’un échange de lettres avec le client nonobstant le désaccord sur son montant, ce qui doit conduire le juge de l’honoraire à l’apprécier.

par Antoine Bolzele 31 janvier 2019

Après avoir décidé dans son arrêt du 14 juin 2018 que le défaut de convention d’honoraires ne prive pas l’avocat de son droit de recevoir rémunération de ses diligences, voici que la deuxième chambre civile rend une nouvelle décision favorable aux avocats (Civ. 2e, 14 juin 2018, n° 17-19.709, D. 2018. 1317 ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; ibid. 2019. 91, obs. T. Wickers ; AJ fam. 2018. 607, obs. S. Thouret ). Pourtant, à la lecture des faits de l’espèce, la solution retenue par les juges du droit n’était pas évidente. Un avocat est sollicité en juin 2012 pour intervenir dans le cadre d’un litige locatif pour s’opposer à une procédure en référé résiliation expulsion faisant suite à un commandement de payer dont son client faisait l’objet. L’avocat fait alors connaître ses conditions tarifaires par une lettre adressée à son client en juillet 2012 lesquelles précisaient son taux horaire et le fait que, en fin de dossier, un honoraire de résultat pourrait être demandé. Les termes de cette lettre ne donnent lieu à aucune réaction du client. Par la suite, le bailleur et son locataire se sont rapprochés pour entamer des pourparlers qui ont abouti au mois de juin 2014 à des conclusions de désistement d’instance. Les négociations se poursuivent pour se terminer par un accord mettant fin au litige sous la forme d’une cession des parts sociales, le bailleur rachetant le fonds de commerce de son locataire. L’accord est signé le 10 septembre 2015, sachant qu’une promesse de cession synallagmatique avait été signée au mois de juin 2015. Auparavant, au mois de février 2015, le client avait proposé spontanément de verser à son conseil un honoraire de résultat d’un montant de 22 750 € HT. Cette offre est refusée par l’avocat qui réclame à son client par lettre du 1er septembre un honoraire de résultat de 68 400 € HT. Les parties campant sur leurs positions respectives, le différend est porté devant le juge de l’honoraire. Saisi en premier, le bâtonnier rejette la demande de son confrère qui est de nouveau débouté de sa demande par le premier président de la cour d’appel. Frappée de pourvoi l’ordonnance est cassée au visa de la violation des articles 1134 du code civil et 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Cette décision étonne à première vue tant les motifs retenus par le bâtonnier, puis par le premier président de la cour d’appel, étaient précis et circonstanciés pour rejeter toute idée qu’un honoraire de résultat était dû à l’avocat. En effet, pour pouvoir prétendre à un honoraire de résultat, il faut un accord exprès du client. De plus, cet honoraire de résultat était demandé pour avoir participé à la négociation du protocole d’accord, alors que l’intervention de l’avocat portait au départ sur la procédure de résiliation du bal. Enfin, l’avocat avait calculé son honoraire de résultat sur la base du montant de la valeur du fonds de commerce qui avait été cédé, ce qui là encore n’avait fait l’objet d’aucun accord avec le client. Pourtant, pour la Cour de cassation, c’est une double erreur sur l’application de la règle de droit.

La première erreur porte sur la portée de la mission qui avait été confiée à l’avocat. Pour les juges du fond, l’avocat avait été engagé pour défendre le locataire dans le cadre d’un contentieux. Une fois que les parties avaient trouvé un accord mettant fin au litige, l’avocat n’avait plus à intervenir. C’est d’ailleurs à ce moment-là que le client avait proposé à son conseil de lui verser un honoraire de résultat. Or, l’avocat avait participé activement à la négociation de l’accord qui n’a pu être conclu que par la cession des parts sociales. Autrement dit, l’accord était la suite et faisait partie intégrante de sa mission de s’opposer à la procédure d’expulsion dont son client faisait initialement l’objet. La seconde erreur était de considérer que le client n’avait jamais donné son accord sur un honoraire de résultat, lequel ne peut se déduire de simples échanges de correspondances. Compte tenu de son importance dans le montant final des honoraires, il faut un accord exprès, c’est-à-dire une convention signée. Cette conclusion était néanmoins en contradiction avec les faits tels qu’ils avaient été constatés par les juges du fond.

L’erreur vient en réalité du client qui avait de son propre chef proposé le règlement d’un honoraire de résultat à son avocat. Dès lors, il s’ensuivait logiquement que le client avait accepté le principe du règlement d’un complément d’honoraire fondé sur le résultat finalement obtenu. Certes, il y avait un désaccord, mais celui-ci portait sur le montant du résultat et non sur le fait qu’il avait été accepté. La seconde erreur commise par le client est de n’avoir pas mis fin au mandat de son conseil après les désistements d’instance au cours des négociations. À partir du moment où ce client estimait pouvoir négocier seul l’accord avec son adversaire, il devait décharger son conseil de toute mission et régler avec lui le montant de sa facture. Or, en l’espèce, l’avocat avait participé à la négociation ayant abouti à un accord et son intervention se situait dans le prolongement de la mission qui lui avait initialement confiée. Il était donc difficile de considérer comme l’avaient fait les juges du fond qu’aucune convention d’honoraire n’avait été conclue. En effet, on voit mal l’avocat devoir proposer une nouvelle convention d’honoraire lorsqu’il continue de négocier un accord pour son client après un désistement d’instance. C’est là même le quotidien de l’avocat. Il n’en demeure pas moins que la pilule est amère pour le client. En effet, le résultat réclamé par l’avocat a été calculé sur le montant du prix de la cession des parts sociales, ce qui manifestement n’avait jamais été envisagé par les parties. On comprend l’irritation du client lorsqu’il a reçu la facture de son avocat avec un honoraire de résultat calculé sur le prix de cession de ses parts sociales qui était de 1 500 000 €.

Le montant des honoraires est une question cruciale, pour ne pas dire essentielle, dans les relations entre l’avocat et son client. De fait, les conditions financières de l’intervention d’un avocat est un critère primordial de sa désignation par le client. En principe, désormais obligatoire, la convention d’honoraires est censée éviter toute mauvaise surprise pour le client qui peut ainsi budgétiser les frais qu’il va devoir engager. C’est à l’occasion des discussions préalables lors de l’ouverture du dossier qu’est abordée la question de l’honoraire de résultat. Ces discussions doivent permettre de fixer dans la convention des modalités précises pour en calculer le montant. Cependant, le droit positif est loin d’être aussi exigeant. En effet, l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 n’impose pas que les modalités de fixation du complément d’honoraires soient déterminées dans la convention des parties. Dans un arrêt récent du 8 février 2018 la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’en rappeler la portée au visa de l’article 4 du code civil en jugeant que : « en refusant d’évaluer le montant de l’honoraire de résultat selon le mode de calcul convenu entre les parties, alors qu’il résultait de ses propres constatations que cet honoraire était fondé en son principe, le premier président, qui devait en fixer le montant, a méconnu l’étendue de ses pouvoirs » (Civ. 2e, 8 févr. 2018, n° 16-28.632, D. 2019. 91, obs. T. Wickers ; D. avocats 2018. 91, obs. L. Dargent ). De même, dans un arrêt rendu en 2011, la Cour de cassation avait cassé l’ordonnance du premier président ayant refusé d’accorder un honoraire de résultat au motif que la convention la prévoyant était ambiguë (Civ. 2e, 24 nov. 2011, n° 10-17.742 et 10-17.970). On peut encore citer un arrêt dans lequel il a été jugé que la convention d’honoraire pouvait être orale et que sa preuve pouvait être rapportée par l’aveu du client (Civ. 2e, 9 juill. 2009, n° 08-15.318). L’arrêt du 17 janvier 2019 prend la suite de cette jurisprudence pour dessiner une ligne assez libérale en matière de recherche de la volonté commune des parties. Cela dit, il s’agit de la ligne du droit commun des contrats qui a été réaffirmée à l’article 1188 du code civil.

On pourrait en être étonné, mais la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui impose, sauf urgence, force majeure ou aide juridictionnelle totale, la conclusion par écrit d’une convention d’honoraires, sous peine des sanctions disciplinaires prévues à l’article 183 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, n’a pas remis en cause cette logique libérale suivie par la cour régulatrice. On doit s’en féliciter. D’une part, cela montre que la Cour de cassation est consciente des réalités judiciaires. En pratique, la rédaction des conventions d’honoraires est loin d’être encore généralisée. Il arrive aussi que les modèles utilisés soient mal rédigés. Enfin, l’idée de l’honoraire de résultat peut évoluer. Si parfois, il n’a guère de sens au début d’une affaire, la progression de celle-ci peut en révéler tout l’intérêt. En tout état de cause, si l’avocat a travaillé et qu’il se heurte au refus d’être honoré par son client, alors il n’y a pas d’autre choix que de saisir le juge de l’honoraire pour faire évaluer le montant des prestations qui auront été accomplies. Mais rassurons-nous, il s’agit là de cas qui devraient devenir de plus en plus marginaux, les nouvelles exigences de la loi de 2015 devant finir par généraliser le recours systématique aux conventions d’honoraires. D’autre part, si la position de la Cour de cassation doit être approuvée c’est qu’elle renvoie chacun à ses responsabilités, et notamment celle du client. Encore une fois, en principe, le client est en position de force lors des premières discussions avec son conseil. C’est à ce moment-là que les termes du mandat qui sera confié et la rémunération qui l’accompagne devront être établis de façon claire et précise. Il appartient au client, en général très exigeant, de demander à son conseil de lui fournir toutes les explications sur ce que lui coûteront ses services. L’avocat est mandaté pour réaliser des tâches précises, celles pour lesquelles il est rémunéré. Mais il n’en est pas toujours possible de raisonner ainsi, comme le montre le cas d’espèce. Ici, le client savait depuis le début que son avocat demanderait un honoraire de résultat. Il lui appartenait de demander des précisions, notamment le lien que ce résultat devait avoir avec la mission pour laquelle il l’avait désigné. Ensuite, ce client a laissé son conseil intervenir dans les négociations, alors même qu’il apparaît qu’il n’a pas joué un rôle important au cours de celles-ci. Il était évident que l’avocat aller facturer ce travail et que la question du montant de l’honoraire de résultat serait abordée à la fin du dossier. De même, il était difficile au départ d’imaginer que le locataire et le bailleur trouveraient un terrain d’entente qui prendrait la forme d’une cession de parts sociales. Voilà la sagesse de la logique libérale que la Cour de cassation nous invite à suivre : la nature même des prestations juridiques et les aléas du contentieux montrent qu’il est parfois compliqué et très délicat de fixer avec certitude à l’avance dans une convention le montant des honoraires qui seront finalement demandés par l’avocat. C’est exactement ce qui s’est passé dans cette espèce et c’est toute la difficulté qui attend la juridiction devant laquelle l’affaire a été renvoyée.