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Honoraires payés après services rendus : il n’est pas nécessaire d’attendre la fin de la mission de l’avocat

Le juge de l’honoraire ne peut réduire le montant des sommes versées librement par un client à son avocat après service rendu. Le paiement après service rendu n’est pas subordonné à la fin de la mission de l’avocat et peut s’entendre des diligences facturées au fur et à mesure de leur accomplissement.

par Dominique Piaule 9 mars 2018

Un avocat avait été chargé, en 2012, d’une procédure devant la cour d’appel dans le cadre d’une action en responsabilité civile et avait proposé à son client une convention d’honoraires qui prévoyait d’une part, un honoraire de diligences au taux horaire unique de 200 € HT et un honoraire de résultat de 12 % HT du montant des sommes obtenues au-delà des sommes allouées en première instance par le tribunal de grande instance, outre les frais et débours et frais de déplacement à la cour d’appel.

Le client avait toutefois non pas expressément accepté la proposition de son avocat mais sollicité que l’honoraire de diligence soit fixé suivant un montant forfaitaire global, et non un taux horaire, ce à quoi l’avocat avait répondu qu’il n’était pas en mesure de fixer un montant forfaitaire global mais que les honoraires de diligences se situeraient dans une fourchette pour chacune des phases de la procédure portant le total à une somme comprise entre 7 000 et 10 500 €.

Toutefois, le client n’avait pas accepté cette dernière proposition, faisant que la preuve de la convention l’honoraires faisait défaut, la dernière proposition de l’avocat n’ayant pas été expressément acceptée par le client. Pour autant, le client avait payé, au fur et à mesure du déroulement de la procédure, les notes d’honoraires de son avocat au regard du relevé des diligences effectuées par ce dernier.

Considérant que la preuve d’une convention d’honoraires n’était pas rapportée, le premier président avait fixé les honoraires en application des critères de l’article 10 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 et condamné l’avocat à restituer une somme à son client compte tenu des sommes déjà versées ou prélevées. Dans le cadre du calcul des sommes que l’avocat devait restituer, le premier président avait ainsi remis en cause les notes d’honoraires qui avaient été payées par le client après services rendus, en toute connaissance de cause des diligences effectuées par l’avocat et dont la rémunération était demandée.

Pour refuser la prise en compte du paiement des honoraires après services rendus, le premier président avait considéré que, nonobstant les indications de dates et mentions de diligences figurant sur les factures de l’avocat, il ne saurait être considéré que leur règlement a été effectué après service rendu et en toute connaissance de cause par le client, un tel paiement ne pouvant intervenir, selon l’ordonnance du premier président, qu’au paiement effectué en considération de l’ensemble des prestations fournies, une fois terminée la mission confiée. L’ordonnance qualifiait les paiements ainsi intervenus de simples « provisions ».

C’était, en premier lieu, opérer une confusion entre les « provisions », qui sont un à valoir sur ses frais et honoraires, dont le paiement est sollicité par l’avocat avant même la réalisation des diligences (RIN, art. 11.6) et dont le montant ne peut aller au-delà d’une estimation raisonnable des honoraires et des débours probables entraînés par le dossier, avec les « honoraires » stricto sensu dont la demande de paiement intervient après la réalisation des diligences et au regard du relevé des diligences précisément effectuées (v. H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocat, S. Bortoluzzi, D. Piau et T. Wickers [dir.], 16e éd., Dalloz Action, 2018, nos 731.51 s.).

C’était, en second lieu, et surtout, rajouter une condition au principe suivant lequel, si les juges du fond apprécient souverainement d’après les conventions des parties et les circonstances de la cause le montant de l’honoraire dû à l’avocat (v. H. Ader et A. Damien, op. cit., nos 721.71 s.), il ne leur appartient pas de le réduire dès lors que le principe et le montant de l’honoraire, même excessif, ont été acceptés librement par le client après service rendu, que celui-ci ait été ou non précédé d’une convention (Civ. 1re, 17 juin 1970, n° 68-12.785, D. 1970. 180. Chron. 177, note L. Sebag ; 24 févr. 1981, n° 79-19.822, D. 1982. 173, note A. Brunois ; JCP 1981. IV. 164 ; in Damien, Les grands arrêts, 1991, p. 114 ; Paris, ord., 28 juin 1992, Gaz. Pal. 16 sept. 1993, p. 20 ; Civ. 1re, 2 avr. 1997, n° 95-17.606, RTD civ. 1998. 372, obs. J. Mestre ; JCP 1997. IV. 1120, note R. Martin ; ibid. 1997. I. 4041, n° 16 ; Gaz. Pal. 1997. Pan. 259 ; ibid. 1999. Somm. 523, note E. du Rusquec ; Defrénois 1997. 1433, note A. Bénabent ; Paris, 15 janv. 1998, Gaz. Pal. 13 juin 1998, p. 14 ; Civ. 1re, 24 nov. 1999, n° 98-13.044, JCP 2000. I. 231, n° 21, obs. R. Martin ; 15 déc. 1999, n° 98-12.133 ; 18 oct. 2000, n° 97-21.824, D. 2002. 855 , obs. B. Blanchard ; Civ. 2e, 5 juin 2003, n° 01-15.411, D. 2003. 2409 ; Gaz. Pal. 2003. Somm. 2473 ; JCP 2004. I. 117, n° 21, obs. R. Martin ; 18 sept. 2003, n° 01-16.013, D. 2004. 2830, et les obs. , obs. B. Blanchard ; RTD civ. 2004. 114, obs. P.-Y. Gautier ; JCP 2004. I. 117, n° 21, obs. R. Martin ; Gaz. Pal. 2003. Somm. 3168).

En effet, ne sont pas réductibles les honoraires payés par le client à son avocat qui réunissent les deux conditions suivantes : un paiement après service rendu et un paiement librement consenti, ce qui exclut tout vice de consentement. Le paiement, déduction faite, le cas échéant, des éventuelles provisions versées, doit donc simplement intervenir après service rendu au regard d’un décompte détaillé permettant au client d’avoir pleinement connaissance des services rendus ainsi rémunérés (Civ. 2e, 21 déc. 2006, nos 04-20.176 à 04-20.179), sans qu’il soit nécessaire d’attendre la fin de la mission de l’avocat. On notera que la Cour de cassation est venue préciser que ne peuvent constituer des honoraires librement payés après service rendu ceux qui ont été réglés sur présentation de factures ne répondant pas aux exigences de l’article L. 441-3 du code de commerce, peu important qu’elles soient complétées par des éléments extrinsèques : les factures doivent dès lors préciser clairement, en elle-même, les diligences effectuées, ou la « dénomination précise […] des services rendus » (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 16-19.354, Dalloz actualité, 26 juill. 2017, art. A. Portmann , note J.-D. Pellier ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers ; D. avocats 2017. 362, obs. G. Deharo ; JCP 2017. 1104, n° 4, obs. C. Caseau-Roche ; ibid. 2017. 848 ; Gaz. Pal. 5 sept. 2017, p. 20, note P.-L. Boyer ; ibid. 31 oct. 2017, p. 68, obs. L. Raschel).

C’est donc logiquement que la Cour de cassation casse l’ordonnance du premier président sur ce point en considérant, aux visas des articles 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, que le paiement après service rendu, dont la remise en cause est interdite, n’est pas subordonné à la fin de la mission de l’avocat et peut s’entendre des diligences facturées au fur et à mesure de leur accomplissement.

Cette solution est heureuse car elle donne pleinement son sens du principe du caractère libératoire du paiement des honoraires après service rendu, qui ne nous semble pas devoir être remise en cause par la généralisation de l’obligation de convention d’honoraires écrite au préalable issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et est d’autant plus salutaire que, lorsque survient un contentieux en matière d’honoraires, notamment en cas de dessaisissement de l’avocat, la tendance est forte, pour ne pas dire systématique, de ne pas se limiter aux honoraires restant dus mais de remettre en cause tout l’historique des honoraires versés dans le cadre de la défunte relation avocat-client.

Conseil pratique : On ne saurait que trop recommander aux avocats de procéder à une perception régulière, après services rendus, au fur et à mesure qu’ils sont rendus, et sur factures détaillées, de leurs honoraires afin d’en sécuriser le recouvrement et d’en diminuer l’étendue du risque litigieux en cas de contestation (D. Piau, Du pouvoir de réduction des honoraires librement consentis : Credino ma non troppo !, D. Avocats 2014. 151 ).