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« Il est purement inexact d’affirmer que le milieu carcéral ne protège pas des risques de pandémies »

L’urgence sanitaire et la gestion des détenus, un casse-tête que les juridictions vont devoir gérer de manière urgente.

par Marine Babonneaule 23 mars 2020

La justice n’est jamais linéaire. Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, avec des règles de confinement de plus en plus strictes, notamment dans les prisons, les avocats ont fait auprès des juges d’instruction des centaines de demandes de mise en liberté pour leur client, en détention provisoire (soit 30 % de la totalité des personnes incarcérées), obligeant les juridictions au ralenti à gérer un nouvel afflux de décisions enserrées dans des délais procéduraux courts.

Le 17 mars, au nom de la situation sanitaire actuelle, était donc adressée une demande de mise en liberté en urgence d’un homme, soupçonné notamment de trafic de stupéfiants et association de malfaiteurs, en liaison avec la Tunisie. Il est en détention depuis quatre mois. Deux jours plus tard, la demande était rejetée. Selon le magistrat instructeur parisien, l’intéressé ne présentait pas des garanties de représentation suffisantes – réitération à craindre et utilisation de fausses identités. Il faut d’abord « protéger sa personne car, au regard de la situation sanitaire du pays, sa libération, dans des conditions non maîtrisées, fait courir un risque sanitaire majeur à la population, la maison d’arrêt garantissant un minimum d’hygiène et de sécurité ». Ensuite, poursuit le magistrat, « les arguments développés dans la demande de mise en liberté doivent être écartés dans la mesure où il est purement inexact d’affirmer que le milieu carcéral ne le protège pas des risques de pandémies. En effet, cette affirmation ne repose sur aucune donnée sanitaire ni sociologique. Par ailleurs, les institutions ont entrepris des mesures de confinement adaptées. Le détenu ne souffre d’aucune maladie le mettant en danger si bien que ce seul argument est inopérant ». Enfin, il reste des interrogatoires, prévus en avril, il est impossible de le libérer.

Une aberration pour son avocat, Sébastien Schapira, qui rappelle, dans un courrier d’observation adressé au juge des libertés et de la détention, la teneur de la circulaire du 14 mars 2020 relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie covid-19 qui précise, au contraire, qu’il faut limiter au maximum le nombre de personnes détenues en différant notamment « la mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement ». Et il ajoute les propos du Contrôleur général des lieux de privation, ceux de l’association des Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), de l’Observatoire international des prisons (OIP), du syndicat de la magistrature (SM) ou encore ceux du syndicat des avocats de France (SAF), qui, tous, ont alerté les pouvoirs publics sur le danger évident d’un confinement total en prison.

À l’appui également de ses observations, la décision d’un autre juge d’instruction, datant du 20 mars. Dans cette affaire, un homme en détention provisoire depuis le 11 septembre 2019 est soupçonné de fraude fiscale et de travail dissimulé. La demande de mise en liberté est ici acceptée. Le magistrat instructeur de Bobigny se fonde, lui aussi, sur la situation sanitaire mais raisonne différemment. Selon lui, « le pays est confronté à une accélération de la propagation du virus covid-19. Or, dans ce cadre, un certain nombre de mesures “barrières” sont devenues impératives, en particulier le respect d’une distance minimale d’un mètre entre chaque personne et l’obligation de se laver régulièrement les mains avec un produit idoine. De plus, le président de la République a annoncé, le 16 mars 2020, un renforcement des mesures pour éviter le contact entre les personnes, principal facteur de la diffusion du virus et la mise sous confinement de la quasi-totalité de la population. Or il apparaît clairement que les conditions de fonctionnement des établissements pénitentiaires ne permettent pas le respect de la totalité des mesures “barrières”. De plus, comme le précise la dépêche du ministre de la justice en date du 17 mars 2020, en ce qui concerne les établissements pénitentiaires, les restrictions renforcées des déplacements et regroupements dans les quinze prochains jours ne permettent plus aux intervenants extérieurs de se rendre en détention pour y assurer ou encadrer les activités (travail, formation professionnelle, activités socioculturelles et d’enseignement, etc.) et ne permettent pas non plus aux familles d’accéder aux parloirs et UVF. Si ces constatations ne doivent pas entraîner ipso facto une remise en liberté qui serait motivée exclusivement sur les risques sanitaires encourus, risques qui, au demeurant, existent également à l’extérieur des établissements pénitentiaires, elles doivent néanmoins entrer en ligne de compte au regard des motifs de maintien en détention retenus et de la gravité de l’infraction reprochée ».

Empêcher une concertation frauduleuse entre le mis en examen et ses éventuels complices ? Certes, mais tous les interrogatoires et confrontations ayant été reportés, « il apparaît impossible d’en faire supporter les conséquences » à la personne soupçonnée. Garantir le maintien du mis en examen à la disposition de la justice ? La fermeture des frontières rend « hautement improbable » tout risque de fuite. Le détenu est libéré et placé sous contrôle judiciaire.

À Paris, il faudra attendre la décision du juge des libertés et de la détention.