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Immunité d’exécution des États : pas de QPC à propos des mesures exécutoires

Par un arrêt du 2 octobre 2019, la première chambre civile se penche sur une demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité dans une affaire Commisimpex où deux revirements de jurisprudence ont déjà eu lieu à propos d’une saisie-attribution de comptes ouverts au nom d’une mission diplomatique, à Paris, d’un État étranger.

par François Mélinle 27 octobre 2019

Un arrêt du 13 mai 2015 (Civ. 1re, 13 mai 2015, n° 13-17.751, Sté Commissions import export c/ République du Congo, D. 2015. 1936, obs. I. Gallmeister , note S. Bollée ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2015. 652, note H. Muir Watt ) a opéré un revirement de jurisprudence en matière d’immunité d’exécution des États étrangers, en posant que « le droit international coutumier n’exige pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution », alors qu’il était précédemment acquis que la renonciation devait être à la fois expresse et spéciale.

Par un arrêt du 10 janvier 2018 (Civ. 1re, 10 janv. 2018, n° 16-22.494, Dalloz actualité, 24 janv. 2018, obs. G. Payan ; D. 2018. 541 , note B. Haftel ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2018. 315, note D. Alland ; RTD civ. 2018. 353, obs. L. Usunier et P. Deumier ; ibid. 474, obs. P. Théry  ; JCP 2018. 157, n° 9, obs. C. Nourissat ; ibid. 294, concl. N. Ancel ; ibid. 295, note M. Laazouzi ; Gaz. Pal. 19 juin 2018. 38, obs. C. Brenner), la première chambre civile a opéré, dans la même affaire, un nouveau revirement en ce domaine et a énoncé que :

  • « la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 a introduit, dans le code des procédures civiles d’exécution, deux nouvelles dispositions ; que, selon l’article L. 111-1-2 de ce code, sont considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État à des fins de service public non commerciales les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de l’État ou de ses postes consulaires ; qu’aux termes de l’article L. 111-1-3, des mesures conservatoires ou des mesures d’exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique des États étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales qu’en cas de renonciation expresse et spéciale des États concernés » ;
  • « ces dispositions législatives, qui subordonnent la validité de la renonciation par un État étranger à son immunité d’exécution, à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale, contredisent la doctrine isolée résultant de l’arrêt du 13 mai 2015, mais consacrent la jurisprudence antérieure (Civ. 1re, 28 sept. 2011, n° 09-72.057, Bull. civ. I, n° 153 ; D. 2011. 2412 ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier ; Rev. crit. DIP 2012. 124, note H. Gaudemet-Tallon ; 28 mars 2013, n° 10-25.938 et n° 11-10.450, Bull. civ. I, nos 62 et 63 ; D. 2013. 1728 , note D. Martel ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier ; Rev. crit. DIP 2013. 671, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot ; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier ) ; que certes, elles concernent les seules mesures d’exécution mises en œuvre après l’entrée en vigueur de la loi et, dès lors, ne s’appliquent pas au présent litige ; que, toutefois, compte tenu de l’impérieuse nécessité, dans un domaine touchant à la souveraineté des États et à la préservation de leurs représentations diplomatiques, de traiter de manière identique des situations similaires, l’objectif de cohérence et de sécurité juridique impose de revenir à la jurisprudence confortée par la loi nouvelle ».

Cet arrêt du 10 janvier 2018 a été rendu au visa des « articles 22 et 25 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et les règles du droit international coutumier relatives à l’immunité d’exécution des États, ensemble les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution ».

Par la suite, une cour d’appel a prononcé un nouvel arrêt dans cette affaire, qui a donné lieu à un pourvoi en cassation.

À l’occasion de ce pourvoi, une partie a demandé à la Cour de cassation de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Et c’est précisément la référence faite par l’arrêt du 10 janvier 2018 à l’article L. 111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution, issu de la loi du 9 décembre 2016, qui se trouve au fondement de cette demande.

En substance, il était soutenu que l’interprétation donnée à cet article par la Cour de cassation méconnaissait notamment le droit de propriété et le principe de sécurité juridique car une portée rétroactive lui aurait été conférée en vue de son application à des mesures d’exécution prises avant l’entrée en vigueur de cette loi.

Cette demande reposait donc sur le postulat selon lequel l’arrêt du 10 janvier 2018 avait bien fait application de la loi du 9 décembre 2016 à des circonstances qui étaient antérieures à son entrée en vigueur. Le demandeur fondait manifestement sa position sur la référence faite par l’arrêt du 10 janvier 2018 à cette loi et à l’article L. 111-1-3 dans ses motifs et à ce même article dans le visa, référence qui pouvait laisser entendre que cette loi et cet article avaient bien été appliqués.

Une telle interprétation n’était toutefois pas conforme aux termes de cet arrêt.

Comme la lecture de ses motifs, reproduits ci-dessus, permet de le constater, cet arrêt du 10 janvier 2018 exclut expressément l’application de cette loi et de l’article L. 111-1-3 à l’espèce et ne s’y réfère que dans un souci pédagogique évident, afin de mettre en perspective la jurisprudence antérieure et l’évolution législative. La doctrine avait d’ailleurs largement relevé que les dispositions de cette loi et de cet article n’avaient pas été appliquées en l’espèce (par ex., L. Usunier et P. Deumier, RTD civ. 2018. 353, préc. ; C. Brenner, Gaz. Pal. 19 juin 2018. 38, préc. ; O. Cachard, Droit international privé, 7e éd., 2019, Bruylant, n° 773).

Il est vrai que la formulation du visa (reproduit ci-dessus) pouvait induire en erreur, compte tenu de la référence qui y est opérée à cet article L. 111-1-3. Toutefois, le malentendu tient à la spécificité rédactionnelle des arrêts de la Cour de cassation, qui n’a sans doute pu être pleinement perçue que par les spécialistes de la technique de cassation. On sait qu’un visa peut évidemment renvoyer à plusieurs textes et que le visa peut se référer alors à des articles qui ne sont que des « références d’interprétation » (Droit et pratique de la cassation en matière civile, 2e éd., 2003, LexisNexis, n° 985) et qui sont alors formellement distingués des articles directement applicables par leur positionnement en fin de visa et par le fait qu’ils sont séparés de ceux-ci par le mot « ensemble » (ibid.). Or, dans l’arrêt du 10 janvier 2018, la référence à l’article L. 111-1-3 apparaissait précisément à la fin du visa et était effectivement séparée des autres articles visés par le mot « ensemble ». Ainsi que l’indique l’arrêt du 2 octobre 2019, le visa de ce texte se borne à conforter, dans la situation particulière, l’application des articles 22 et 25 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961 et des règles du droit international coutumier relatives à l’immunité d’exécution des États, qui étaient les seuls fondements juridiques retenus.

Dans ces conditions, il est certain que l’arrêt n’a pas fait application de manière rétroactive de cet article L. 111-1-3, contrairement ce que prétendait la partie qui demandait à la Cour de cassation de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité.

Par conséquent, il est logique que l’arrêt du 2 octobre 2019 retienne qu’il n’y a pas lieu à renvoyer au Conseil cette question, dès lors que l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose qu’une question prioritaire ne peut être transmise au Conseil que dans la mesure, notamment, où « la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ». Tel n’était pas en effet le cas en l’espèce, puisque l’article L. 111-1-3 n’avait pas été appliqué.