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Impartialité des juges : le syndicat de la magistrature attaque une note de service de Bertrand Louvel

Le syndicat de la magistrature a déposé devant le tribunal administratif un recours pour excès de pouvoir le 10 septembre 2018 contre la note de service diffusée cet été aux magistrats qui assortit toute activité annexe d’une autorisation du chef de juridiction.

par Thomas Coustetle 12 septembre 2018

Le 18 avril dernier, le Canard Enchaîné révélait que la chambre sociale de la Cour de cassation avait rendu un arrêt favorable le 28 février 2018 à la direction Wolters Kluwer France alors que trois de ses magistrats participaient, contre rémunération allant de 500 à 1 000 euros net, à des formations et colloques organisés par des maisons d’éditions appartenant au groupe. Un éventuel « conflit d’intérêts » contre lequel le premier président à la Cour de cassation, Bertrand Louvel, souhaite désormais se prémunir avec la diffusion d’une note de service adressée le 11 juillet dernier à l’ensemble des magistrats du siège. L’objet est d’assurer « la protection statutaire des magistrats par l’autorité hiérarchique et la prévention des conflits d’intérêts ».

Le texte tend à élargir le périmètre de l’obligation d’impartialité et à assortir désormais d’une autorisation du chef de juridiction, sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 8 de l’ordonnance statutaire de 1958, « toute participation à des travaux scientifiques auxquels les magistrats contribuent dans les colloques organisés dans un cadre universitaire par des écoles, instituts ou universités, et au sein de publication spécialisée ».

La note précise que « les activités de commentaire de la jurisprudence de leur chambre auxquelles se livrent les magistrats dans les publications, tout comme leur participation à des rencontres ou colloques sur ce thème, doivent-elles être intégrées à l’alinéa 2 afin qu’il soit vérifié et garanti par l’autorité hiérarchique que l’indépendance du magistrat n’y est pas compromise, de la même manière que pour les activités d’enseignement et de formation au sens le plus large ».

Jusqu’à présent, les magistrats judiciaires pouvaient exercer ce genre d’activité annexe au titre de l’alinéa 3 dudit article 8 : « les magistrats peuvent, sans autorisation préalable, se livrer à des travaux scientifiques, littéraires ou artistiques ». En prévention des conflits d’intérêts, la loi organique du 8 août 2016 demande déjà aux magistrats de faire une déclaration d’intérêts lorsqu’il participe à des activités professionnelles ayant donné lieu à rémunération ou gratification.

Le syndicat de la magistrature a décidé d’engager un recours en nullité le 10 septembre dernier contre ce texte devant le tribunal administratif de Paris, après avoir, sans succès, demandé son retrait avec l’Union syndicale des magistrats, comme le révélait un article du Monde du 18 juillet dernier.

La requête du syndicat, que Dalloz actualité a consultée, précise que « la note [de Bertrand Louvel, ndlr] ne peut ainsi instaurer des règles qui seraient de nature à restreindre les droits que les agents tiennent de leur statut ». Le texte ajoute que l’autorisation du chef de juridiction, qu’il tient de son pouvoir réglementaire, « ne l’autorise pas à fixer des règles à caractère statutaire ».

Pour Katia Dubreuil, présidente du syndicat de la magistrature, « le but est étranger à la prévention des conflits d’intérêts. La loi organique du 8 août 2016 prévoit déjà de déclarer les éventuelles activités annexes. La dérogation individuelle autorisée par un chef de service ajoute de toute évidence une conditions aux textes en vigueur », estime-t-elle.

Parallèlement, comme le précisait Le Monde, plusieurs syndicats du groupe Wolters Kluwer ont déposé en juillet une plainte devant le CSM contre les magistrats de la chambre sociale, à l’origine de l’affaire.