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Importation sans autorisation de médicaments vétérinaires : d’intéressantes précisions de fond et de procédure

Il incombe à la partie poursuivante de fournir tous éléments techniques de nature à établir l’absence d’identité ou de similitude entre les produits importés et ceux faisant l’objet d’une autorisation de mise sur le marché en France.

par Dorothée Goetzle 28 novembre 2019

Lors d’une inspection au sein d’un élevage, les services vétérinaires découvraient des médicaments vétérinaires espagnols, des factures émanant d’une société établie en Espagne, ainsi que des ordonnances établies par un vétérinaire espagnol également inscrit à l’ordre des vétérinaires français. Les investigations entreprises révélaient l’acquisition, par plusieurs éleveurs français, de médicaments vétérinaires espagnols, sans demande d’autorisation d’importation auprès de l’agence du médicament vétérinaire, sur la base d’ordonnances signées par ce même vétérinaire espagnol parallèlement inscrit à l’ordre des vétérinaires français. Les ordonnances concernées ne comportaient pas toutes les mentions obligatoires et étaient parfois présignées ou établies à distance sans s’inscrire dans aucun protocole de soins. Le magistrat instructeur renvoyait les prévenus devant le tribunal correctionnel des chefs de transport de marchandises réputées importées en contrebande, importation de médicaments vétérinaires sans autorisation, enregistrement ou certificat et tromperie sur les qualités substantielles d’animaux d’élevage. Cette juridiction relaxait les prévenus des chefs de tromperie et les déclarait coupables des autres infractions. Devant les secondes juges, les intéressés défendaient leur droit à se fournir en médicaments vétérinaires espagnols à des prix moins élevés qu’en France, en s’appuyant sur la réglementation européenne qu’elles estimaient contredite par la réglementation nationale. La précision est importante car, dans un arrêt du même jour, la chambre criminelle a considéré que les obligations relatives à la délivrance de prescriptions médicales sérieuses, à l’étiquetage, aux notices et à la pharmacovigilance étaient inopposables aux éleveurs qui, en méconnaissance du droit de l’Union, étaient exclus de la procédure d’importation parallèle de médicaments vétérinaires (Crim. 5 nov. 2019, n° 18-80.554, D. 2019. 2140 ).

Le conseil national de l’ordre des vétérinaires, le syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral et l’administration des douanes, intégralement déboutés de leurs demandes formaient un pourvoi en cassation.

L’administration des douanes faisait notamment grief à la cour d’appel de ne pas avoir procédé à une mesure d’instruction dont elle avait pourtant reconnu la nécessité. En effet, pour le requérant, en affirmant que les faits se rapportaient bien à des médicaments vétérinaires susceptibles d’être importés en France tout en relevant que les tableaux versés aux débats, qui indiquaient que plusieurs médicaments vétérinaires importés d’Espagne ne possédaient pas ou ne possédaient plus d’autorisation de mise sur le marché en France, la cour d’appel s’était contredite. En effet, pour l’administration des douanes, les seconds juges reconnaissaient, dans leur motivation, la nécessité d’ordonner une mesure d’instruction aux fins de déterminer si les médicaments espagnols importés étaient identiques à des médicaments ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché en France et s’ils pouvaient, dès lors, faire l’objet d’une importation parallèle (F. Megerlin, Légalité des règles gouvernant les autorisations d’importation des médicaments vétérinaires, RDSS 2007. 165 ). Or, la chambre criminelle relève que pour dire que les faits reprochés se rapportaient à des médicaments vétérinaires susceptibles d’être importés parallèlement en France, la cour d’appel avait visé l’article R. 5141-123-6 du code de la santé publique, lequel prévoit que l’importation parallèle d’une spécialité pharmaceutique vétérinaire en vue d’une mise sur le marché en France n’est autorisée que si les médicaments vétérinaires provenant des autres États membres sont identiques ou similaires à des médicaments ayant bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché en France. Toutefois, cet article doit être combiné avec l’article R. 5141-123-8 du même code, aux termes duquel la spécialité peut comporter des quantités de principes actifs ou d’excipients différentes ou des excipients de nature différente de ceux de la spécialité ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché, dès lors que ces différences n’ont aucune incidence thérapeutique et qu’elles n’entraînent pas de risque pour la santé publique. L’intérêt de ces textes est qu’ils encadrent l’importation de médicaments destinés au soin d’animaux dont la chair ou les produits sont destinés à la consommation humaine, lorsque la commercialisation de ces médicaments n’a pas été autorisée par l’Agence européenne d’évaluation des médicaments ou, à défaut, par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments.

En l’espèce, la cour d’appel avait relevé que les tableaux réalisés par les enquêteurs sur la base des renseignements fournis par l’Agence française de sécurité sanitaire et de l’alimentation n’étaient pas fiables en ce qu’ils classaient des médicaments tantôt comme bénéficiant ou ayant bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché en France, tantôt comme n’en ayant jamais eu aucune. En outre, un expert avait relevé plusieurs incohérences et soulignait notamment que certains des médicaments vétérinaires étaient classés à tort dans ces tableaux comme ne bénéficiant pas d’une telle autorisation en France. Dans ce contexte, la Cour criminelle considère qu’il incombait à l’administration des douanes, partie poursuivante, de fournir tous éléments techniques de nature à établir l’absence d’identité ou de similitude entre les produits importés et ceux faisant l’objet d’une autorisation de mise sur le marché en France. Après avoir souligné que la cour d’appel n’avait pas reconnu la nécessité d’une mesure d’instruction, elle écarte le moyen.

Ce choix est logique. En effet, il est certain qu’une cour d’appel ne peut relaxer un prévenu sans ordonner les mesures complémentaires d’instruction dont elle reconnaît implicitement l’utilité (Crim. 19 juin 1979, n° 78-92.277, Bull. crim. n° 215 ; 22 sept. 2004, n° 04-83.427, NP ; 27 sept. 2016, n° 15-85.248, AJ pénal 2016. 599, obs. C. Girault ; RSC 2016. 757, obs. Y. Mayaud ). Toutefois, en l’espèce, contrairement à ce qu’indiquaient les requérants, les juges du fond n’avaient pas reconnu, même implicitement, la nécessité d’une mesure d’instruction.