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Impossibilité pour le défenseur syndical d’assurer sa propre représentation en justice

Un salarié, défenseur syndical, partie à une instance prud’homale, ne peut pas assurer sa propre représentation en justice.

par Clément Couëdelle 7 avril 2021

Institué par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (dite loi « Macron »), le statut de défenseur syndical a permis de clarifier les conditions de recrutement, de formation et de travail des délégués des organisations syndicales jusqu’alors habilités à représenter gratuitement les salariés en justice (les « délégués permanents ou non permanents des organisations syndicales ouvrières ou patronales »). Aux termes de l’article L. 1453-4 du code du travail, le défenseur syndical « exerce des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale ». Cela suppose qu’il figure sur une liste établie tous les quatre ans par le DIRECCTE (DREETS depuis le 1er avril) sur proposition des organisations syndicales et patronales représentatives. Au titre de son mandat, le défenseur syndical bénéficie du statut protecteur instauré par l’article L. 1453-1 A du code du travail.

Le défenseur syndical figure donc sur la liste limitative des personnes habilitées à assister ou représenter les parties devant le conseil de prud’hommes. Il en va également ainsi du conjoint, du partenaire lié par un PACS ou du concubin, des salariés ou des employeurs appartenant à la même branche d’activité et, bien entendu, des avocats (C. trav., art. L. 1453-1 A). Il convient toutefois de noter que la représentation par un avocat ou un défenseur syndical est obligatoire en appel (C. trav., art. R. 1461-1 et R. 1461-2). S’il est le seul à pouvoir représenter une partie en cause d’appel, outre un avocat, le défenseur syndical doit néanmoins disposer d’un mandat spécial de représentation. À cet égard, la question s’est posée de savoir si un salarié, défenseur syndical et partie à une instance prud’homale, pouvait assurer sa propre représentation devant la cour d’appel. Dans un arrêt du 17 mars 2021, la chambre sociale s’y refuse et nous livre les clés d’intelligibilité.

En l’espèce, un salarié, par ailleurs défenseur syndical, avait saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes. À la suite d’une ordonnance rendue le 16 novembre 2018, le salarié avait, seul, interjeté appel de la décision rendue en première instance. Dans ce contexte, la cour d’appel avait invité les parties à s’expliquer sur le moyen de nullité de la déclaration d’appel tiré de ce que le salarié assurait sa propre représentation en appel. Par un arrêt rendu en référé le 18 juin 2019, la cour d’appel de Besançon déclarait nulle la déclaration d’appel formée et déposée par le salarié en son nom. Estimant qu’il lui était possible de se représenter lui-même en justice à raison de son statut de défenseur syndical, le salarié formait un pourvoi en cassation.

Par arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la nullité de la déclaration d’appel. La chambre sociale livre sa solution de manière extrêmement pédagogique. Suivant les dispositions des articles R. 1461-2 et L. 1453-4 du code du travail, la Cour relève d’abord que « l’appel porté devant la chambre sociale de la cour d’appel est formé, instruit et jugé suivant la procédure avec représentation obligatoire », les parties étant tenues de « s’y faire représenter par un avocat ou par un défenseur syndical ». Aux termes de l’article 411 du code de procédure civile, la représentation en justice est fondée sur un mandat, lequel est défini par le code civil comme l’« acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ». Par nature, le mandat implique un lien interpersonnel jugé incompatible avec la possibilité d’assurer sa propre représentation en justice : le défenseur syndical, exerçant un mandat de représentation en justice, ne pouvait pas « confondre en sa personne les qualités de mandant et de mandataire ». Suivant le même raisonnement, la chambre sociale aurait pu admettre que le défenseur syndical avait implicitement ratifié le mandat qu’il s’était donné à lui-même pour interjeter appel d’une décision à laquelle il était partie. Ce n’est toutefois pas la logique suivie par la haute juridiction.

Une lecture combinée de ces dispositions amène la chambre sociale à trancher en défaveur du demandeur au pourvoi : « un salarié, défenseur syndical, partie à une instance prud’homale, ne peut pas assurer sa propre représentation en justice ». Quand bien même il pouvait justifier de son statut de défenseur syndical, il appartenait au salarié de constituer avocat ou de choisir un défenseur syndical afin d’être représenté en cause d’appel. À défaut d’avoir donné mandat à un autre défenseur syndical, le salarié n’était pas admis à former et déposer la déclaration d’appel, dont la nullité est confirmée. Sur ce point, la solution ne surprend guère : on sait de longue date que le défaut de mandat de représentation constitue une irrégularité de fond sanctionnée par la nullité (Soc. 5 mars 1992, nos 88-45.188 et 88-45.190).

D’un point de vue strictement pratique, et si l’on tient compte des aménagements prévus à l’article 930-2 du code de procédure civile, rien ne semblait faire obstacle à ce que le défenseur syndical puisse mener lui-même à bien sa représentation. À cet égard, le salarié faisait valoir l’existence d’une restriction injustifiée du droit d’accès au juge (Conv. EDH, art. 6, § 1). Reprenant à son compte la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation précise qu’il en va du respect des principes de bonne administration de la justice et d’efficacité de la procédure d’appel.

La solution fait écho à la jurisprudence rendue par le Conseil d’État s’agissant de la représentation en justice de l’avocat. Il avait ainsi été admis que la définition du mandat (là encore par référence à l’article 1984 C. civ.) et le principe d’indépendance de l’avocat faisaient obstacle à ce que ce dernier se représente lui-même dans une instance à laquelle il était personnellement partie : « ces dispositions relatives au mandat, ainsi que le principe d’indépendance de l’avocat, impliquent nécessairement que l’avocat soit une personne distincte du requérant, dont les intérêts personnels ne soient pas en cause dans l’affaire, et font obstacle à ce qu’un requérant exerçant la profession d’avocat puisse, dans une instance à laquelle il est personnellement partie, assurer sa propre représentation » (CE 22 mai 2009, req. n° 301186, Manseau, Lebon ; AJDA 2009. 1073 ). Dès lors qu’un avocat engagé à titre personnel dans un procès ne peut postuler pour lui-même, le cheminement suivi par la Cour de cassation paraît tout à fait audible.