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Inapplicabilité de la présomption de non-répercussion des surcoûts résultant d’un cartel dès l’expiration du délai de transposition de la directive Dommages

La directive relative aux actions en réparation des pratiques anticoncurrentielles instaure une présomption de non-répercussion des surcoûts subis par les victimes des ententes horizontales. Cette présomption ne peut être prise en compte dès l’expiration du délai de transposition dès lors qu’elle apparaît incompatible avec le droit national de la responsabilité civile.

Lorsque des entreprises se sont rendues coupables d’un cartel, leurs clients sont généralement conduits à solliciter réparation du surcoût qu’ils ont payés en achetant des produits ou services à un prix ne reflétant pas l’exercice d’une concurrence effective. Néanmoins, les auteurs de l’infraction font généralement valoir que ces acheteurs ont pu répercuter ce surcoût à leurs propres clients. Face à la difficulté probatoire que représente cette question, l’enjeu réside notamment dans la charge de cette preuve. Pour garantir l’effectivité de la réparation de ces pratiques, la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 (dite « directive Dommages ») prévoit en son article 13 une présomption de non-répercussion des surcoûts en assignant la charge de la preuve contraire au défendeur de l’action en indemnisation.

Dans l’espèce donnant lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2022, la société Carrefour avait agi en indemnisation contre la société Johnson&Johnson, son fournisseur de produits d’hygiène, à la suite de sa condamnation par l’Autorité de la concurrence, confirmée par la cour de Paris, pour une entente anticoncurrentielle sur les prix. Son action avait été introduite le 23 janvier 2017, soit après l’expiration du délai de transposition de la directive Dommages au 31 décembre 2016, mais avant l’entrée en vigueur de la transposition entrée en vigueur le 11 mars 2017.

La cour d’appel avait débouté Carrefour en refusant d’appliquer la présomption de non-répercussion des surcoûts et en estimant que la preuve n’en était par ailleurs pas rapporté. Au soutien de son pourvoi, elle faisait valoir en substance que l’effet direct du droit européen devait conduire à faire une application immédiate de cette présomption en sa faveur dès l’expiration du délai de transposition.

Absence d’effet direct de la directive entre particuliers

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation souligne d’abord qu’une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre (CJCE 26 févr. 1986, [N], aff. 152/84, Rec. p. 723, pt 48 ; 14 juill. 1994, [O] [Y], aff. C-91/92, Rec. p. I-3325, pt 20 ; D. 1994. 192 ; RTD eur. 1995. 11, étude F. Emmert et M. Pereira De Azevedo ; 5 oct. 2004, [E] e.a., aff. C-397/01 à C-403/01, pt 108, AJDA 2004. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; CJUE 19 janv. 2010, [U] [I], aff. C-555/07, pt 46, AJDA 2010. 248, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RDT 2010. 237, obs. M. Schmitt ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron ; ibid. 599, chron. L. Coutron ; ibid. 673, chron. S. Robin-Olivier ; ibid. 2011. 41, étude E. Bribosia et T. Bombois ; Rev. UE 2013. 313, chron. E. Sabatakakis ).

En d’autres termes, la Cour estime que la directive est inapplicable au litige faute de réunir toutes les conditions de l’effet direct du droit de l’Union (et à supposer même que les conditions de clarté, de précision et d’inconditionnalité soient remplies). L’article 288 du TFUE prévoit en effet que « la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre », de sorte qu’il peut être invoqué contre les États (effet direct vertical), y compris pour les retards de transposition ou pour une interprétation contraire des juridictions, mais pas dans les litiges entre les particuliers (absence d’effet direct horizontal).

La Cour de cassation fait ici une application orthodoxe de la jurisprudence de la Cour de justice qu’elle prend soin de citer. Néanmoins, la question aurait pu être plus ouverte qu’il n’y paraît dès lors que, saisie de cette même question dans un cadre préjudiciel, la CJUE avait pris soin de ne pas y répondre dès lors qu’elle écartait l’application de la directive ratione temporis (CJUE 28 mars 2019, aff. C-637/17, Cogeco Communications, D. 2019. 2235 , note R. Amaro ; RTD eur. 2019. 907, obs. L. Idot ). On voit certes mal comment une directive pourrait par elle-même avoir un effet direct entre particuliers. Mais les articles 101 et 102 du TFUE qui répriment les ententes et abus de position dominante ont, eux, un effet direct à l’égard de tous les justiciables (CJUE 5 juin 2014, aff. C-557/12, Kone e.a., AJDA 2014. 1651, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 1525 , note S. Carval ; AJCA 2014. 235, obs. G. Parleani ; RTD eur. 2014. 916, obs. L. Coutron ; Rev. UE 2015. 378, étude N. Ereseo ; ibid. 386, étude R....

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