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Inaptitude : méconnaissance de l’obligation de saisir la commission de reclassement prévue par la convention collective

La méconnaissance de l’obligation conventionnelle de saisir une commission de reclassement associée à la recherche d’un reclassement au bénéfice du salarié susceptible d’être déclaré définitivement inapte à son emploi par le médecin du travail n’est pas de nature à priver le licenciement pour inaptitude de cause réelle et sérieuse.

par Luc de Montvalonle 28 janvier 2020

La déclaration d’inaptitude d’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, établie par le médecin du travail, oblige l’employeur à lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités (C. trav., art. L. 1226-10) avant d’envisager un licenciement. Dans sa recherche de reclassement, l’employeur s’appuie sur les conclusions du médecin du travail, dont il doit impérativement tenir compte (Soc. 4 nov. 2015, n° 14-11.879, Dalloz actualité, 27 nov. 2015, obs. M. Peyronnet ; D. 2015. 2323 ), qui lui permettent d’apprécier les capacités du salarié au regard des tâches effectuées dans l’entreprise. Il peut aussi être aidé par des organismes désignés par des conventions collectives – c’était le cas dans l’association faisant l’objet de la décision commentée. En toute hypothèse, le respect de l’obligation de reclassement par l’employeur reste in fine apprécié à la lumière des mesures mises en œuvre par ce dernier.

En l’espèce, une salariée avait été engagée le 23 mars 2000 par l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Après un arrêt maladie de près de neuf mois, elle a été déclarée inapte à tout poste dans l’entreprise avec mention d’un danger immédiat le 1er décembre 2010. L’employeur lui a proposé deux postes de reclassement le 22 avril 2011. Ces derniers ont été refusés et elle a finalement été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement le 11 janvier 2012.

La salariée a saisi le juge prud’homal d’une demande en requalification de la rupture du contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait d’un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement. Déboutée par la cour d’appel d’Amiens le 27 mars 2018, elle a formé un pourvoi en cassation.

Elle arguait notamment que le non-respect des dispositions conventionnelles applicables à l’AFPA, selon lesquelles l’employeur (ou le médecin du travail) était tenu de saisir une commission de reclassement associée à la recherche d’un reclassement au bénéfice du salarié susceptible d’être déclaré définitivement inapte, constituait un manquement à l’obligation de reclassement privant le licenciement pour inaptitude de cause réelle et sérieuse. Elle considérait en outre que le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement était établi par différents éléments : d’abord, les préconisations du médecin du travail n’avaient pas été parfaitement observées par l’employeur ; ensuite, l’employeur n’avait pas recherché loyalement un reclassement dès lors qu’aucune proposition ne lui avait été formulée entre le 22 avril 2011 (date à laquelle elle avait reçu deux offres) et son licenciement le 11 janvier 2012 ; enfin, le refus des postes de reclassement proposés le 22 avril 2011 ne dispensait pas l’employeur de rechercher d’autres postes disponibles conformes à son état de santé. Seul le premier argument a véritablement retenu l’intérêt des juges du droit, qui ont eu à analyser l’incidence du non-respect de l’obligation conventionnelle de saisir une commission de reclassement sur la validité du licenciement pour inaptitude.

Par un arrêt du 18 décembre 2019, la chambre sociale rejette le pourvoi formé par la salariée, au motif que « selon l’article 79 de l’accord collectif du 4 juillet 1996 sur les dispositions générales régissant le personnel employé par l’AFPA, une commission de reclassement régionale ou nationale selon le niveau concerné, qui peut être saisie par le responsable hiérarchique ou le médecin du travail, est associée à la recherche d’un reclassement au bénéfice du salarié susceptible d’être déclaré définitivement inapte à son emploi par le médecin du travail ; qu’il en résulte que la méconnaissance de l’obligation de saisir la commission prévue à l’article 79 précité n’est pas de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse ». Cette solution peut à première vue surprendre : au regard de la date des faits en cause, la jurisprudence selon laquelle une procédure conventionnelle de licenciement constituait une garantie de fond dont l’inobservation privait le licenciement de cause réelle et sérieuse (Soc. 17 mars 2015, n° 13-23.983, Dalloz actualité, 22 avr. 2015, obs. W. Fraisse ; Dr. soc. 2015. 467, obs. J. Mouly ; RDT 2015. 333, obs. C. Varin ) aurait pu s’appliquer. Cette jurisprudence n’a en effet été remise en cause qu’en 2017 par les ordonnances « Macron » (C. trav., art. L. 1235-2).

Elle peut toutefois être expliquée par différents éléments :

• d’une part, les dispositions conventionnelles en cause ne figurent pas, dans l’accord collectif, dans le titre relatif à la rupture du contrat de travail mais dans un autre titre comportant des « dispositions complémentaires » (relatives par ailleurs aux travailleurs handicapés, aux déplacements professionnels et au logement). Si l’article 79 précité impose laconiquement qu’une commission de reclassement soit associée à la recherche de reclassement d’un salarié susceptible d’être déclaré inapte à son emploi par le médecin du travail, il ne précise pas que la consultation de celle-ci s’inscrit dans la procédure de licenciement pour inaptitude ;

• d’autre part, la commission peut être saisie par le responsable hiérarchique mais également par le médecin du travail. Il paraît dès lors difficile de sanctionner l’employeur sur le terrain de la rupture unilatérale du contrat de travail alors qu’il n’était pas le seul responsable de la saisine de la commission ;

• enfin, le fait que cette commission soit associée à la recherche d’un reclassement ne modifie pas le principe posé par le code du travail : c’est à l’employeur qu’il incombe de rechercher et de proposer un reclassement au salarié déclaré inapte par le médecin du travail, en prenant en compte les conclusions écrites de ce dernier (C. trav., art. L. 1226-10). La convention applicable en l’espèce n’imposait pas à l’employeur de tenir compte des observations effectuées par la commission pour rechercher des postes disponibles dans l’entreprise.

En définitive, il appartient aux juges du fond, au regard de l’ensemble des éléments qui leur sont présentés, d’apprécier souverainement si l’employeur a procédé à une recherche sérieuse de reclassement (Soc. 21 janv. 2009, n° 07-41.173 ; 28 mai 2014, n° 13-14.189 ; 23 nov. 2016, n° 14-26.398, Dalloz actualité, 13 janv. 2017, obs. B. Ines ; D. 2016. 2409 ; ibid. 2017. 235, chron. F. Ducloz, P. Flores, F. Salomon, E. Wurtz et N. Sabotier ). Le concours de la commission de reclassement peut faciliter le respect par l’employeur de son obligation, sans pour autant que l’absence de consultation de cette dernière soit à elle seule de nature à remettre en cause la validité du licenciement, si des mesures de reclassement suffisantes ont été mises en œuvre.

La Cour de cassation balaye les autres arguments développés par la salariée, qui ne tendaient « qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par la cour d’appel des éléments de fait et de preuve dont elle a déduit, hors toute dénaturation, que l’employeur avait procédé à une recherche sérieuse de reclassement ». Les juges ont par exemple refusé de déduire de l’absence de proposition de poste entre avril 2011 et le licenciement de la salariée en janvier 2012 que l’employeur n’avait pas recherché de poste durant cette période.

Il est enfin intéressant de noter que l’argument selon lequel le refus d’une offre de reclassement n’est pas suffisant pour considérer que l’employeur a respecté son obligation ne serait plus invocable aujourd’hui. Le code du travail précise en effet, depuis la loi Travail du 8 août 2016, que « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail » (C. trav., art. L. 1226-12).