Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Incapacité de recevoir à titre gratuit : renvoi d’une QPC

La question prioritaire de constitutionnalité relative à l’incapacité de recevoir à titre gratuit énoncée par l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles présente un caractère sérieux car ce texte a pour conséquence de réduire le droit de disposer librement de ses biens, hors tout constat d’inaptitude du disposant.

par Quentin Guiguet-Schieléle 3 février 2021

L’incapacité spéciale de recevoir à titre gratuit serait-elle contraire à la protection constitutionnelle de la propriété ? C’est en substance la question posée au Conseil constitutionnel, auquel a été renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité par cet arrêt rendu le 18 décembre 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

Les faits sont simples. Une personne décède en 2018 en laissant à sa survivance divers cousins. Un testament olographe rédigé le 18 janvier 2017 les désigne légataires universels. Le même acte contient en sus un legs à titre particulier au bénéfice de l’employée de maison, portant sur un appartement et son contenu.

La vocation à l’universalité qui caractérise la situation des légataires universels ne les place pas toujours en position favorable. Non-seulement ils doivent, en tant que continuateurs de la personne du défunt, contribuer aux dettes successorales, mais de surcroît ils n’exercent leurs droits que sur le reliquat d’actif après déduction des legs à titre particulier. Ainsi vaut-il parfois mieux être l’unique légataire particulier que l’un des nombreux légataires universels. C’est précisément où le bât blesse en l’espèce. Désireux d’étendre leurs droits sur l’immeuble légué, les légataires universels ont assigné la légataire à titre particulier en nullité de son legs devant le tribunal judiciaire de Toulouse. Ils fondaient leur demande sur l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles qui énonce une incapacité spéciale de recevoir à titre gratuit à l’endroit de certaines personnes physiques délivrant des services d’aide à la personne, notamment « les services aux personnes à leur domicile relatif aux tâches ménagères ou familiales » (C. trav., art. L. 7231-1, 3°). Les aidants « ne peuvent profiter de dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par les personnes prises en charge ».

La défenderesse étant directement concernée par le texte, son salut ne peut venir que d’une remise en cause de celui-ci. C’est pourquoi elle a posé aux juges du fond une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « L’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles méconnaît-il les droits et libertés garantis par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ? ».

Par jugement du 30 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Toulouse a transmis cette question à la Cour de cassation, laquelle devait examiner si les conditions de son renvoi au Conseil constitutionnel étaient réunies. La question étant applicable au litige (la légataire était employée de maison de la testatrice) et n’ayant jamais été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, il restait à en examiner le caractère sérieux. Sur ce point la motivation de la Cour de cassation va droit au but : « La question présente un caractère sérieux en ce que, ayant pour conséquence de réduire le droit de disposer librement de ses biens, hors tout constat d’inaptitude du disposant, l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles pourrait être de nature à porter atteinte aux articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 28 août 1789 ». Le renvoi est donc ordonné.

Quelle sera la position du Conseil ? Il y a fort à parier que le texte obtiendra son brevet de conventionnalité et que la nullité du legs pourra en conséquence être obtenue. Certes, le droit de propriété est constitutionnellement protégé : l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 le classe au rang des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ; l’article 4 ne tolère que les atteintes assurant à autrui le respect du même droit ; et l’article 17 en fait sans ambages un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé « si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

C’est néanmoins un aspect bien particulier de la propriété qui est ici questionné : le...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :