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Incarcération provisoire : l’avocat doit solliciter le report de l’audience lorsqu’il est possible

Il appartient à l’avocat qui n’a pu rencontrer son client avant le débat contradictoire organisé de manière différée au cours de l’incarcération provisoire, faute d’avoir reçu à temps le permis de communiquer, de solliciter le report de celui-ci lorsqu’il est possible.

par Cloé Fonteixle 6 avril 2020

L’article 145 du code de procédure pénale prévoit l’organisation d’un débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention, lorsque celui-ci est saisi par le juge d’instruction d’une demande de placement en détention provisoire. Ce débat peut être différé lorsque la personne ou son avocat demande un délai pour préparer sa défense. Dans ce dernier cas, ce magistrat peut, par une ordonnance motivée non susceptible d’appel, prescrire l’incarcération de la personne pour une durée maximum de quatre jours ouvrables. C’est donc dans ce strict délai que doit intervenir le débat contradictoire susceptible d’aboutir à une décision de placement. Celui-ci ayant précisément pour objet la préparation efficace de la défense, il a vocation à permettre à l’avocat de pouvoir consulter le dossier et s’entretenir avec son client. Le droit pour le mis en examen, même détenu, de communiquer librement avec son avocat, ne fait pas débat. Mais il ne peut s’exercer qu’à la condition que l’avocat se soit vu délivrer un permis de communiquer, en application de l’article R. 57-6-5 du code de procédure pénale, cette délivrance étant jugée « indispensable à l’exercice des droits de la défense » (Crim. 4 déc. 2018, n° 18-85.674 ; 12 déc. 2017, n° 17-85.757 P, Dalloz actualité, 9 janv. 2018, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2018. 11 ; ibid. 1611, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2018. 157, obs. T. Lefort ). Dans ces deux arrêts, elle a jugé que le défaut de délivrance de cette autorisation à un avocat désigné, avant un débat contradictoire tenu en vue de l’éventuelle prolongation de la détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen. Très récemment, elle a consacré un principe identique s’agissant de la délivrance du permis de communiquer avant un débat contradictoire différé organisé en vue d’un éventuel placement en détention provisoire (Crim. 7 janv. 2020, n° 19-86.465, Dalloz actualité, 30 janvier 2020, obs. D. Goetz ; D. 2020. 85 ; AJ pénal 2020. 139, obs. J. Chapelle ).

Mais la délivrance du permis implique une demande de la part de l’avocat. Non seulement la transmission d’un permis de communiquer n’est pas prévue de manière automatique, mais la Cour de cassation fait peser sur l’avocat une certaine obligation de diligence (Crim. 17 oct. 2018, n° 18-84.422 P, Dalloz actualité, 14 nov. 2018, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2018. 2093 ; AJ pénal 2019. 40, obs. J. Chapelle ). Ce point soulève inévitablement des questions lorsque le droit de communication entre l’avocat et la personne détenue doit s’exercer dans le temps de l’incarcération provisoire. La présente affaire en est une illustration.

En l’espèce, une personne mise en examen le vendredi 18 octobre 2019 avait sollicité un report du débat pour pouvoir assurer sa défense. Le délai légal expirait donc le mercredi 23 octobre, puisque le samedi et le dimanche ne sont pas des jours ouvrables au sens de l’article 801 du code de procédure pénale. Le débat avait été fixé au lundi 21 octobre, à 17 heures. Une demande d’obtention d’un permis de communiquer avait été formulée par l’avocat, par fax envoyé le vendredi 18 octobre à 16h42. Le greffe le lui avait adressé, par retour de fax, le lundi 21 octobre à 11h38. Ce même jour, à 14h47, soit environ deux heures avant le débat, l’avocat avait écrit une télécopie au juge des libertés et de la détention pour l’informer que, bien qu’ayant sollicité un permis de communiquer le vendredi, il ne l’avait reçu que le lundi en fin de matinée, à une heure où son client avait déjà quitté la maison d’arrêt. Il faisait valoir qu’il n’avait donc pu s’entretenir avec lui en détention. En conséquence, il considérait qu’il avait été porté atteinte aux droits de la défense, et sollicitait « la remise en liberté de son client ». Par ordonnance du 21 octobre, après tenue du débat contradictoire en l’absence de l’avocat, le juge des libertés et de la détention plaçait le mis en examen en détention.

Ce dernier avait formé appel contre la décision et la chambre de l’instruction l’avait confirmée. Pour écarter l’existence d’une violation des droits de la défense, la chambre de l’instruction avait retenu que le greffe du juge d’instruction avait délivré le permis de communiquer en temps utile, au vu des seules informations qui avaient été portées à sa connaissance (la demande ne faisant pas mention d’une urgence particulière), et que le délai de transmission, le lundi matin, d’un permis sollicité le vendredi précédent peu avant la fermeture du greffe, ne présentait pas de caractère tardif. Elle avait encore retenu la circonstance que l’avocat ne s’était pas présenté au débat contradictoire, « ne serait-ce que pour solliciter un renvoi possible en dépit des limites du délai contraint d’un débat différé jusqu’au 23 octobre 2019 à 24 heures ».

La chambre criminelle valide cette décision, en se fondant quant à elle sur un seul point pour écarter toute violation des droits de la défense. Elle considère l’arrêt attaqué justifié « dès lors que la chambre de l’instruction a relevé que l’avocat du mis en examen aurait pu solliciter le renvoi du débat contradictoire ». Cet attendu sonne comme un avertissement adressé à l’avocat, qui doit, durant cette période d’incarcération provisoire, agir de manière à ce qu’un débat contradictoire respectueux des droits de la défense puisse se tenir. Le renvoi, même à quarante-huit heures, aurait en effet permis ici de résoudre le problème dont l’avocat se prévalait. Puisqu’en effet, le délai d’incarcération provisoire expirait le mercredi à 24 heures, ce qui laissait en pratique le temps d’organiser une rencontre. On doit comprendre que l’avocat ne peut solliciter la remise en liberté pour violation des droits de la défense que lorsqu’il ne peut proposer aucune solution de nature à y remédier, et sans s’arrêter à la date du débat initialement fixée, lorsqu’il est envisageable que celui-ci soit reporté à un moment ultérieur.

Ce principe a été repris dans un arrêt ultérieur du 10 mars 2020 (Crim. 10 mars 2020, n° 19-87.757 P, D. 2020. 541 ). Dans cette autre affaire, la Cour de cassation a reproché au conseil de n’avoir pas fait diligence pour prendre possession du permis de communiquer, et jugé qu’il lui appartenait, « s’il estimait n’être pas en mesure d’effectuer les démarches nécessaires pour retirer le permis de communiquer et s’entretenir, en temps utile, avec son client avant la tenue du débat contradictoire différé, de solliciter un report de celui-ci ».

Il faut probablement insister sur certains des arguments qui étaient développés, dans l’arrêt commenté, par le demandeur au pourvoi. Les deux premières branches du moyen analysé reposaient sur l’idée d’une délivrance « de plein droit » du permis de communiquer à l’avocat du mis en examen et, à tout le moins, d’une délivrance expresse dans l’hypothèse d’une incarcération provisoire. Si ces arguments n’ont pas ici trouvé écho, dans la mesure où la chambre criminelle s’est seulement fondée sur l’absence de demande de report du débat pour valider la décision attaquée, il faut relever que, dans l’arrêt précité du 7 janvier 2020, dans une affaire où le permis de communiquer n’avait pas été délivré, la chambre criminelle a prononcé une cassation en relevant « l’absence de circonstance insurmontable ayant empêché la délivrance à l’avocat, en temps utile, d’un permis de communiquer avec la personne détenue ». Et elle a ajouté, « au demeurant », que ce permis « aurait pu être délivré d’office à l’avocat choisi dès la décision d’incarcération provisoire ». La Cour de cassation n’apparaît donc pas hermétique à cette idée.