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Article
Inconstitutionnalité de la visioconférence sans accord des parties devant les juridictions pénales
Inconstitutionnalité de la visioconférence sans accord des parties devant les juridictions pénales
Le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
par Sofian Goudjille 8 février 2021
L’épidémie de covid-19 et les mesures de confinement qui l’ont accompagnée ont favorisé le recours à la visioconférence pour des millions de Français, que ce soit pour le travail ou pour maintenir un semblant de contact avec leurs proches.
Pour autant, le législateur n’a pas attendu le contexte sanitaire actuel pour doter l’administration judiciaire d’outils de communication à distance. Initialement réservée à l’audition, l’interrogatoire et la confrontation, l’utilisation de moyens de télécommunication a été progressivement élargie, pour permettre aujourd’hui de recourir à la visioconférence à tous les stades de la procédure pénale : pendant l’enquête, l’instruction et le jugement. Déjà connue de notre institution judiciaire, la visioconférence a toutefois été favorisée dans le cadre du contexte actuel.
C’est sur cette toile de fond que s’inscrit la décision n° 2020-872 QPC du 15 janvier 2021.
La question
Un homme, mis en examen, fut placé en détention provisoire le 23 mai 2019. Le 23 avril 2020, le juge des libertés et de la détention constata la prolongation de cette détention et dit n’y avoir lieu à statuer. Cette décision fut confirmée par la chambre de l’instruction le 9 juin 2020.
Le 20 mai 2020, à l’issue d’un débat contradictoire tenu en visioconférence, le juge des libertés et de la détention prolongea la détention provisoire pour une durée de six mois sur le fondement de l’article 16-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020 (introduit par la loi n° 2020-646 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions). Cette décision fut confirmée par la chambre de l’instruction le 30 juin 2020, à l’issue d’un débat contradictoire également tenu en visioconférence en application de l’article 5 de la même ordonnance.
À l’occasion du pourvoi en cassation formé contre l’arrêt, le requérant souleva, le 1er septembre 2020, quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Dans l’une d’entre elles, le requérant reprochait à l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 de permettre à la chambre de l’instruction de statuer par visioconférence sur la prolongation d’une détention provisoire, sans faculté d’opposition de la personne détenue, ce qui pourrait avoir pour effet de priver cette dernière, pendant plus d’une année, de la possibilité de comparaître physiquement devant son juge. Il en résulterait selon lui une atteinte aux droits de la défense que les objectifs de bonne administration de la justice et de protection de la santé publique ne pourraient suffire à justifier.
Dans son arrêt du 13 octobre 2020, la Cour de cassation considéra que cette QPC présentait un caractère sérieux et décida de son renvoi devant le Conseil constitutionnel.
La décision du Conseil constitutionnel
Dans sa décision du 15 janvier 2021, le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé le fondement constitutionnel du principe des droits de la défense et l’objet des dispositions contestées, lesquelles, par dérogation à l’article 706-71 du code de procédure pénale, permettaient de recourir, sans l’accord des parties, à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales autres que criminelles pendant l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 et pendant un mois après la fin de celui-ci.
Le Conseil a ensuite pris acte du contexte de crise sanitaire résultant de l’épidémie de covid-19 à l’époque considérée en relevant, dans la continuité de la décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020, Société Getzner France, que « ces dispositions visent à favoriser la continuité de l’activité des juridictions pénales malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19. Elles poursuivent ainsi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et contribuent à la mise en oeuvre du principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice ».
Toutefois, après avoir procédé à ces quelques rappels et à cette recontextualisation, le Conseil a pointé deux lacunes dans ce dispositif.
En premier lieu, le Conseil a relevé que le champ d’application des dispositions contestées s’étendait à toutes les juridictions pénales, à la seule exception des juridictions criminelles. Compte tenu de ce large champ d’application, le Conseil constitutionnel a spécialement relevé plusieurs exemples de situations dans lesquelles la visioconférence pouvait être imposée aux justiciables. Il a notamment évoqué le cas « de la comparution, devant le tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels, d’un prévenu », celui de « la comparution devant les juridictions spécialisées compétentes pour juger les mineurs en matière correctionnelle » ou encore le cas « du débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire d’une personne ».
Le juge constitutionnel a achevé sa liste avec la mention de « la prolongation d’une détention provisoire, quelle que soit alors la durée pendant laquelle la personne a, le cas échéant, été privée de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire ». Cette référence à l’absence de toute garantie pour la personne détenue de pouvoir comparaître devant le juge sans visioconférence, quelle que soit la durée écoulée depuis sa dernière comparution physique, fait écho à la décision n° 2019-802 QPC du 20 septembre 2019, M. Abdelnour B…, et à la décision n° 2020-836 QPC du 30 avril 2020, M. Maxime O…. Sans doute le contexte sanitaire permettait-il de prévoir un délai plus long que celui constitutionnellement admissible hors état d’urgence sanitaire mais, en l’espèce, l’ordonnance ne prévoyait en tout état de cause aucun délai maximal depuis la dernière comparution physique.
En second lieu, le Conseil affirme que, si le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle n’est qu’une faculté pour le juge, les dispositions contestées ne soumettent son exercice à aucune condition légale et ne l’encadrent par aucun critère.
Il résulte de ces deux lacunes que, selon le Conseil, eu égard à l’importance de la garantie qui peut s’attacher à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction pénale, et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de télécommunication, ces dispositions portent une atteinte aux droits de la défense que ne pouvait justifier le contexte sanitaire particulier résultant de l’épidémie de covid-19 durant leur période d’application. Il les a donc déclarées contraires à la Constitution
Observations
Deux observations peuvent être faites.
La première est qu’il s’agit là de la première censure de dispositions issues d’une ordonnance non ratifiée par le Parlement, prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, ainsi permise depuis que les juges de la rue de Montpensier ont revu le régime contentieux de ces ordonnances par deux décisions (Cons. const. 28 mai 2020, n° 2020-843 QPC, Association Force 5, Dalloz actualité, 3 juin 2020, obs. E. Benoit ; AJDA 2020. 1087 ; D. 2020. 1390, et les obs. , note T. Perroud ; RFDA 2020. 887, note C. Barthélemy ; ibid. 1139, chron. A. Roblot-Troizier ; RTD civ. 2020. 596, obs. P. Deumier ; 3 juill. 2020, n° 2020-851/852 QPC, Dalloz actualité, 9 juill. 2020, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2020. 1384 ; ibid. 2095 , note M. Verpeaux ; D. 2020. 1408, et les obs. ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; RFDA 2020. 887, note C. Barthélemy ; ibid. 1139, chron. A. Roblot-Troizier ; RTD civ. 2020. 596, obs. P. Deumier ).
La seconde observation porte sur la mention faite par le Conseil constitutionnel à propos du « contexte sanitaire particulier durant lequel les dispositions ont été appliquées ». Cette mention vise à rappeler, pour ne pas la négliger, la réalité des difficultés de fonctionnement que la justice a connues du fait de la crise sanitaire. Seulement, pour le juge constitutionnel, ces difficultés, pour réelles qu’elles aient été, ne permettent pas d’admettre une mesure de portée si générale, au regard de l’atteinte qui en résulte pour l’exercice des droits de la défense dans des instances pénales. Toutefois, ce rappel du contexte sanitaire induit également le fait que, s’agissant de dispositions dont l’application est corrélée à une situation spécifique transitoire affectant la vie de la nation, leur constitutionnalité doit être appréciée au regard de la matérialité de cette situation.
Une situation différente pourrait donc éventuellement justifier une appréciation différente.
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