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Indemnités de congédiement d’un journaliste d’agence de presse : revirement de jurisprudence

La commission arbitrale chargée de fixer l’indemnité de licenciement d’un journaliste peut être saisie par tous journalistes professionnels travaillant au service d’une entreprise de presse, quelle qu’elle soit.

par Clément Couëdelle 20 octobre 2020

Petite exception dans le paysage juridique traditionnel, le statut du journaliste professionnel s’accompagne de nombreuses règles dérogatoires au droit commun du travail. Pour preuve, une commission arbitrale est chargée d’évaluer le montant de l’indemnité due à un journaliste professionnel licencié ou désireux de résilier son contrat, lorsque son ancienneté au service de la même entreprise excède quinze ans. La commission est également saisie lorsque le journaliste se voit imputer une faute grave ou des fautes répétées, quelle que soit la durée de l’ancienneté (C. trav., art. L. 1712-4). Il convient de préciser que la commission arbitrale, composée de manière paritaire, est seule compétente pour fixer le montant de l’indemnité de licenciement, à l’exclusion de toute autre juridiction (Soc. 13 avr. 1999, n° 94-40.090, Dalloz jurisprudence).

Si le bénéfice de l’indemnité de congédiement est normalement assuré aux « journalistes professionnels », la question s’est néanmoins posée concernant plus particulièrement les collaborateurs des « agences de presse ». À cet égard, l’arrêt du 30 septembre 2020 est d’une importance certaine puisqu’il vient clarifier, au terme d’un revirement de jurisprudence, le champ d’application du dispositif.

En l’espèce, un journaliste recruté en 1982 avait été licencié par l’Agence France Presse (AFP) pour faute grave le 14 avril 2011. Celui-ci avait saisi la juridiction prud’homale à l’effet d’obtenir paiement de diverses indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En août 2012, le journaliste saisissait la commission arbitrale des journalistes afin qu’elle statue sur sa demande d’indemnité de licenciement. L’AFP se voyait condamnée au paiement d’une certaine somme et formait par la suite un recours en annulation contre cette décision. S’appuyant sur une lecture combinée des articles L. 7112-2, L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail, l’AFP estimait que le bénéfice de l’indemnité de congédiement et la voie du recours à la commission arbitrale étaient exclusivement offerts aux journalistes des « entreprises de journaux et périodiques », ce qu’elle n’est pas. Par conséquent, l’AFP se prévalait de l’incompétence de la commission arbitrale afin d’obtenir l’annulation de la sentence.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’AFP en s’en remettant à une locution élémentaire : « Il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas ». Dès lors que les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail ne font pas spécifiquement mention des « entreprises de journaux et périodiques », le dispositif légal était applicable aux journalistes professionnels « au service d’une entreprise de presse quelle qu’elle soit ».

La chambre sociale opère ainsi un revirement de jurisprudence. Par le passé, la Cour de cassation réservait le bénéfice de l’indemnité de congédiement aux seuls journalistes professionnels appartenant aux entreprises de journaux et périodiques : « il résulte de l’article L. 7112-2 du code du travail que seules les personnes mentionnées à l’article L. 7111-3 et liées par un contrat de travail à une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l’indemnité de congédiement instituée par l’article L. 7112-3 » (Soc. 13 avr. 2016, n° 11-28.713, Dalloz actualité, 4 mai 2016, obs. M. Roussel ; D. 2016. 900 ; Légipresse 2016. 263 et les obs. ; ibid. 411, comm. F. Gras ; JAC 2016, n° 36, p. 11, obs. X. Aumeran ). Déjà, sous l’empire des anciennes dispositions légales (C. trav., art. L. 761-4 anc. ; C. trav., art. L. 761-5 anc.), la jurisprudence écartait la compétence de la commission arbitrale dès lors que cette double condition n’était pas satisfaite (Soc. 22 oct. 1996, n° 94-17.199, Dalloz jurisprudence).

Quand bien même les collaborateurs des « agences de presse » se voyaient reconnaître la qualité de « journaliste professionnel », ces derniers étaient néanmoins privés d’une partie des droits attachés au statut. Certains auteurs s’interrogeaient notamment sur la véritable « intention du législateur » ainsi que sur une possible « malfaçon dans la rédaction du texte » (Rép. trav., Journaliste, par E. Derieux, n° 381). Témoignage des questionnements générés, la cour d’appel de Paris transmettait à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la constitutionnalité de cette différence de traitement (Paris, 13 févr. 2018, n° 17/13655, Dalloz jurisprudence). Par un arrêt du 9 mai 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation refusait néanmoins de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, invoquant l’absence de nouveauté de la question soulevée ainsi que le défaut d’interprétation jurisprudentielle constante (Soc. 9 mai 2018, n° 18-40.007, Légipresse 2018. 313 et les obs. ; ibid. 2019. 571, étude E. Derieux et F. Gras ). Par cette référence à l’inconstance de la jurisprudence, la Cour de cassation ne laissait-elle pas déjà entrevoir une possible inflexion ?

Désormais, la Cour de cassation opte donc pour une interprétation différente. Si l’article L. 7112-2 fait expressément référence aux « entreprises de journaux et périodiques » s’agissant de la durée du préavis, les articles L. 7112-3 et L. 7112-4, qui concernent respectivement le montant de l’indemnité de rupture et le recours à la commission arbitrale, n’y font en revanche pas mention. L’AFP s’était appuyée sur l’arborescence du code du travail pour en déduire que les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 étaient, comme l’article qui les précède, exclusivement applicables aux journalistes des « entreprises de journaux et périodiques ». À défaut de précision, la Cour de cassation estime au contraire que le bénéfice des dispositions légales est ouvert à l’ensemble des journalistes professionnels, sans qu’il y ait lieu de s’intéresser outre mesure à la qualité de leur employeur.

En définitive, seul le statut de journaliste professionnel importe réellement. Depuis toujours, la détermination du statut professionnel est centrale dans le contentieux de la rupture du contrat de travail d’un journaliste, la commission arbitrale étant d’ailleurs tenue de surseoir à statuer tant que le conseil des prud’hommes ne s’est pas prononcé sur la qualité professionnelle de l’intéressé (Paris, 23 oct. 1992, Modes et Travaux). La chambre sociale nous invite donc à reprendre l’article L. 7111-3, lequel définit le journaliste professionnel comme « toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ». Dans le cas présent, la qualité de l’intéressé ne faisait aucun doute. En l’occurrence, peu importe que l’AFP ne soit pas considérée comme une « entreprise de journaux et de périodiques », le journaliste licencié pouvait légitimement saisir la commission arbitrale afin qu’elle détermine l’indemnité due au titre de la rupture.