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Article

Indivision partagée à la demande d’un syndic d’une procédure collective ouverte en Angleterre
Indivision partagée à la demande d’un syndic d’une procédure collective ouverte en Angleterre
Par un arrêt du 16 juillet 2020, la chambre commerciale apporte une précision inédite dans une hypothèse dans laquelle le partage d’une indivision est provoqué en France à la suite de l’ouverture d’une procédure collective en Angleterre à l’égard d’un coïndivisaire.
par François Mélinle 8 septembre 2020

Un juge anglais ouvre une procédure principale de faillite personnelle à l’égard d’une personne physique et désigne le liquidateur de son patrimoine. Par la suite, ce syndic, selon la terminologie utilisée dans le domaine des procédures européennes d’insolvabilité, assigne devant un tribunal français le débiteur ainsi qu’une seconde personne en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage d’une indivision existant sur un immeuble situé en France.
Sa demande est accueillie par les juges du fond, qui désignent un notaire et ordonnent les formalités préalables à la vente de l’immeuble aux enchères publiques.
Leur décision est frappée d’un pourvoi, qui est rejeté par la chambre commerciale, aux termes d’un arrêt appliquant le règlement nº 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité.
Trois aspects juridiques s’en dégagent. Il est à noter dès à présent que la portée de l’arrêt s’étendra aux affaires relevant du règlement n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, applicable aux procédures ouvertes postérieurement au 26 juin 2017.
1. Le premier aspect, qui ne soulève aucune difficulté, concerne l’effet de la décision anglaise d’ouverture de la procédure. Il est de principe que toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre compétente est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture (règl., art. 16, § 1). Ce principe a une implication décisive lorsque la procédure d’insolvabilité est principale, comme c’est le cas en l’espèce : la décision d’ouverture produit, sans aucune formalité, dans tout autre État membre, les effets que lui attribue la loi de l’État d’ouverture, sauf exception (règl., art. 17, § 1). Tel est le cas, notamment, lorsque cette loi prévoit le dessaisissement du débiteur et définit ses effets sur le patrimoine (v. par ex. M.-L. Coquelet, « L’effet international de la faillite : la solution du règlement communautaire relatif aux procédures d’insolvabilité », in F. Jault-Seseke et D. Robine [dir.], L’effet international de la faillite : une réalité ?, Dalloz, 2004, p. 29, spéc. p. 33).
Dès lors, la chambre commerciale approuve, en substance, les juges du fond d’avoir reconnu la décision d’ouverture anglaise et d’avoir retenu que le syndic anglais pouvait, conformément à la loi anglaise, se prévaloir du transfert de la propriété des biens du débiteur, y compris sa quote-part indivise de l’immeuble situé en France.
Si le raisonnement qui est ainsi consacré est incontestable, le lecteur intéressé par le droit comparé des procédures collectives (sur ce, J.-L. Vallens et G.C. Giorgini [dir.], Étude comparative des procédures d’insolvabilité, Société de Législation comparée, 2015) pourra cependant regretter que l’arrêt de la chambre commerciale et que l’arrêt d’appel ne fournissent aucune précision sur les dispositions juridiques anglaises spécialement mises en œuvre par la décision d’ouverture reconnue en France. L’arrêt commenté fait ainsi état d’une mise en faillite personnelle du débiteur au Royaume-Uni, sans toutefois indiquer la qualification juridique de la procédure collective selon les dispositions de l’Insolvency Act 1986. Par ailleurs, ne sont pas non plus précisées les dispositions de cette loi en vertu desquelles le syndic a, en l’espèce, bénéficié d’un transfert de la propriété des actifs du débiteur. On peut cependant sans doute, sur ce point, supposer que les dispositions de l’Insolvency Act mises en œuvre par le juge anglais avaient été celles relatives au receiver (sect. 28 s.) ou celles relatives au trustee (sect. 305 s.).
2. Le deuxième aspect résulte directement de ce qui précède et concerne les pouvoirs du professionnel des procédures collectives. Le principe issu du règlement est simple : le syndic désigné dans le cadre d’une procédure principale peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture, aussi longtemps qu’aucune autre procédure d’insolvabilité n’y a été ouverte ou qu’aucune mesure conservatoire contraire n’y a été prise à la suite d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans cet État (règl., art. 18, § 1). Il faut néanmoins relever que, dans l’exercice de ses pouvoirs, le syndic doit respecter la loi de l’État membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens (règl., art. 18, § 3).
Ces principes se combinent aisément dans l’espèce : dès lors que le liquidateur bénéficiait, selon le droit anglais, d’un transfert de propriété des biens du débiteur, il pouvait agir en France pour exercer les pouvoirs qui lui étaient conférés par la loi anglaise mais il devait, pour provoquer le partage de l’immeuble dont le débiteur était co-indivisaire en France, respecter la loi française, en particulier l’article 815 du code civil.
Cette solution semble être formulée pour la première fois. Les praticiens apprécieront sa simplicité de mise en œuvre et la facilité qu’elle apporte pour résoudre les difficultés récurrentes de maniement des indivisions, surtout dans un contexte de procédure collective.
3. Le troisième aspect concerne le recours à l’exception d’ordre public international. On sait que tout État membre peut refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre ou d’exécuter une décision prise dans le cadre d’une telle procédure, lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public (règl., art. 26). Or le débiteur faisait valoir que le principe issu du droit anglais selon lequel la propriété des biens du débiteur est transférée au syndic de la procédure heurte la conception française de l’ordre public.
L’arrêt écarte sur ce point toute contrariété à l’ordre public international.
On peut regretter qu’il procède à ce sujet par une simple affirmation, après avoir uniquement rappelé qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que le recours à la clause d’ordre public ne doit jouer que dans des cas exceptionnels (CJUE 21 janv. 2010, aff. C-444/07, Dalloz actualité, 25 janv. 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2323, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2011. 498, note R. Dammann et D. Carole-Brisson
; Rev. sociétés 2011. 44, note F. Mélin
; RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard
).
La position retenue par l’arrêt s’explique cependant vraisemblablement par l’idée que le transfert de propriété des biens du débiteur au syndic ne repose pas sur un mécanisme d’éviction du droit de propriété sans contrepartie mais par le rôle joué par celui-ci dans le désintéressement des créanciers et la gestion des affaires du débiteur, le tout sous l’autorité du juge, sans que le syndic y trouve un intérêt personnel autre que le paiement de ses honoraires.
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