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Infiltration : provocation à l’infraction et géolocalisation

L’agent infiltré, mis en relation avec les intéressés par un informateur, a simplement répondu à la demande formulée de réceptionner les produits stupéfiants, de sorte que ni l’informateur ni l’agent infiltré n’ont provoqué à l’infraction. 

par Sébastien Fucinile 29 mai 2018

Par un arrêt du 9 mai 2018, la chambre criminelle s’est prononcée sur la régularité d’une procédure par laquelle un agent infiltré avait constaté une infraction d’importation de produits stupéfiants. Alors que les autorités françaises ont des informations sur les intentions de certaines personnes d’importer sur le territoire français de la cocaïne en provenance du Pérou, un informateur met en relation les intéressés avec un agent infiltré, qui se fait passer pour un bagagiste d’un aéroport parisien susceptible de les aider à faire passer des valises contenant les produits stupéfiants. Cela a été fait et les infractions d’importation de produits stupéfiants ont pu être constatées. Pour dire que l’infiltration avait été régulière et qu’il n’y avait pas eu de provocation à l’infraction, la Cour de cassation affirme que l’informateur « s’est contenté de mettre en relation avec ce service une équipe de trafiquants opérant depuis le Pérou et souhaitant importer de la cocaïne en France, à la recherche d’un bagagiste pour faire sortir le produit de l’aéroport, l’agent infiltré ayant répondu à la demande formulée de réceptionner le produit à son arrivée sur le territoire national, la chambre de l’instruction a justifié sa décision, dès lors que ni l’informateur ni l’agent infiltré n’ont provoqué à la commission de l’infraction ». Deux questions se posaient donc, sur le respect des règles régissant l’infiltration et sur le respect du principe de loyauté.

S’agissant des règles régissant l’infiltration, le mis en examen affirmait qu’elles n’avaient pas été respectées, dans la mesure où l’agent infiltré a été mis en relation avec les auteurs des faits par un informateur. Il estimait ainsi que cet informateur, pour pouvoir procéder à cette mise en relation, était lui-même infiltré sans y avoir été autorisé. Les opérations d’infiltration, conformément à l’article 706-81 du code de procédure pénale, doivent en effet être autorisées par le procureur de la République durant l’enquête ou par le juge d’instruction durant une information judiciaire. Or, en l’espèce, le procureur de la République n’avait autorisé que l’infiltration de l’agent s’étant fait passer pour un bagagiste et non pas pour celui ayant mis en relation les protagonistes. La Cour de cassation relève simplement que l’informateur n’était pas un agent infiltré dans la mesure où il n’a fait que mettre en relation les auteurs des faits et l’agent infiltré. Cette seule affirmation ne semble pas suffisante pour convaincre, dans la mesure où on ignore comment l’informateur a disposé de la crédibilité nécessaire auprès des intéressés pour les mettre en relation avec un bagagiste susceptible de laisser passer des valises remplies de produits stupéfiants à l’aéroport de Roissy.

Le demandeur au pourvoi contestait également la loyauté de la preuve recueillie à la suite de l’infiltration. Il soutenait qu’il y avait eu provocation à l’infraction de la part de l’informateur car, sans la mise en relation avec l’agent infiltré qui se proposait de faire passer les bagages à l’aéroport, l’infraction d’importation de produits stupéfiants n’aurait pas pu être commise. Traditionnellement, la chambre criminelle distingue entre la provocation à l’infraction et la provocation à la preuve : si la provocation à l’infraction commise par un agent de l’autorité publique porte atteinte au principe de loyauté des preuves (Crim. 11 mai 2006, n° 05-84.837, Bull. crim. n° 132 ; D. 2006. 1772 ; AJ pénal 2006. 354 , note E. Vergès ; RSC 2006. 848, obs. R. Finielz ; ibid. 876, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 879, obs. J.-F. Renucci ; 7 févr. 2007, n° 06-87.753, Bull. crim. n° 37 ; D. 2007. 2012 , note J.-R. Demarchi ; AJ pénal 2007. 233, obs. M.-E. C. ; RSC 2007. 331, obs. R. Filniez ; ibid. 560, obs. J. Francillon ; ibid. 2008. 663, obs. J. Buisson ), il n’en est pas de même de la constatation passive de la preuve, comme lorsque des policiers restent cachés et constatent l’infraction (Crim. 22 avr. 1992, n° 90-85.125, D. 1995. 59 , note H. Matsopoulou ; Rev. sociétés 1993. 124, note B. Bouloc ). Or l’informateur et l’agent infiltré ne sont pas restés passifs. Mais si leur comportement, quoiqu’actif, permet simplement de rassembler les preuves, il n’y a pas déloyauté (Crim. 30 avr. 2014, n° 13-88.162, Dalloz actualité, 12 mai 2014, obs. S. Fucini ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 374, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2014. 577, obs. J. Francillon ). La difficulté, dans l’arrêt commenté, tient à ce que, si le groupe infiltré cherchait à importer les produits stupéfiants et avait pour cela besoin de la complicité d’un bagagiste de l’aéroport de Roissy, il n’avait pas la possibilité de la commettre sans cette aide. Il semble donc plutôt s’agir ici d’une provocation à l’infraction et non d’une simple constatation de l’infraction. Or l’article 706-81, alinéa 2, prévoit qu’« à peine de nullité, [les actes de l’agent infiltré] ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions ». L’informateur et l’agent infiltré semblent avoir activement donné les moyens de commettre l’infraction, si bien que la décision de la chambre criminelle semble en retrait quant à sa jurisprudence habituelle sur la loyauté des preuves.

La chambre criminelle s’est également prononcée sur un moyen contestant le rejet par la chambre de l’instruction de la nullité d’une géolocalisation d’un véhicule. Son irrégularité avait été invoquée en raison du défaut d’autorisation préalable du procureur de la République, contrairement aux exigences de l’article 230-32 du code de procédure pénale. La chambre de l’instruction avait considéré qu’il n’y avait pas d’irrégularité dans la mesure où l’urgence résultant du risque imminent de déperdition des preuves aurait permis à l’officier de police judiciaire de mettre en place lui-même le dispositif, conformément à l’article 230-35 du code de procédure pénale. La Cour de cassation rejette cette argumentation en affirmant « qu’il n’entre pas dans les pouvoirs de la chambre de l’instruction de faire application des dispositions [de cet article] lorsqu’elles n’ont pas été mises en œuvre par l’officier de police judiciaire ». En effet, l’autorisation donnée par le procureur de la République ne mentionnait pas la géolocalisation déjà mise en place : il s’agissait seulement d’une autorisation de mise en œuvre de la mesure donnée sur le fondement de l’article 230-33 et non d’une autorisation de poursuivre la mesure sur le fondement de l’article 230-35. Or, lorsque l’officier de police judiciaire met en œuvre une mesure de géolocalisation de sa propre initiative en raison de l’urgence, le procureur de la République doit, dans les vingt-quatre heures, prescrire la poursuite des opérations et énoncer les circonstances de fait établissant le risque imminent, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce.

Mais, au-delà même de la question de savoir s’il y avait irrégularité, la chambre de l’instruction avait considéré que le mis en examen était irrecevable à invoquer la nullité dès lors qu’il ne pouvait se prévaloir d’aucun droit sur le véhicule. Or il n’était pas propriétaire du véhicule géolocalisé, qui appartenait à sa concubine. La Cour de cassation casse sur ce point la décision déférée en ce que « l’intéressé avait l’usage habituel du véhicule en cause, dont il n’était pas prétendu qu’il était détenu frauduleusement ». Cela rappelle la jurisprudence récente de la chambre criminelle, qui a affirmé que « la méconnaissance des formalités substantielles régissant la géolocalisation peut être invoquée à l’appui d’une demande d’annulation d’actes ou de pièces de procédure par la partie titulaire d’un droit sur le véhicule géolocalisé ou qui établit, hors les cas d’un véhicule volé et faussement immatriculé, qu’il a, à l’occasion d’une telle investigation, été porté atteinte à sa vie privée » (Crim. 27 mars 2018, n° 17-85.603, Dalloz actualité, 14 mai 2018, obs. S. Fucini isset(node/190356) ? node/190356 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190356). Cet attendu de principe est intégralement repris dans le présent arrêt. Ainsi, les seuls cas dans lesquels le demandeur à la nullité est irrecevable à invoquer l’irrégularité de la géolocalisation sont le cas du véhicule volé et celui du véhicule faussement immatriculé. Ce n’était pas le cas en l’espèce puisqu’il utilisait le véhicule de sa concubine sans qu’il soit allégué qu’il avait été volé. Il avait donc qualité pour se prévaloir de l’atteinte à la vie privée causée par l’irrégularité de la mesure, conformément à l’article 802 du code de procédure pénale.