Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Information des parties et prescription de l’action publique

Dans cette décision promise à publication, la chambre criminelle vient à la fois préciser le droit d’une partie assistée par un avocat à être informée d’une décision d’expertise et rappeler les règles de l’application dans le temps d’une loi pénale de forme relative à la prescription.

par Méryl Recotilletle 23 juillet 2018

Il y a quelques semaines, la Cour de cassation se prononçait sur l’aspect substantiel du délit de discrédit jeté sur une décision de justice (Crim. 23 mai 2018, n° 17-82.355 P, Dalloz actualité, 13 juin 2018, obs. M. Recotillet ).

Après que l’avis de fin d’information lui ait été notifié, le prévenu a présenté une requête en annulation qui portait, entre autres, sur une expertise. Les décisions qui ont ordonné cette mesure n’ont pas été portées à sa connaissance, mais seulement à celle de son avocat, ce qui entraînait, selon le prévenu, la méconnaissance les dispositions de l’article 161-1 du code de procédure pénale. Les juges de la chambre de l’instruction ont certes reconnu que l’article 161-1 du code de procédure pénale, dans sa nouvelle version, avait vocation à mettre un terme à une différence de traitement fondée sur l’exercice d’une faculté pourtant reconnue par la loi de ne pas se faire assister pour sa défense. Toutefois, ils ont souligné que cet article n’ajoutait pas aux droits antérieurement conférés aux parties représentées par un avocat, de sorte que la notification de la copie de la décision du juge d’instruction ordonnant une expertise à l’avocat des parties, lorsqu’elles sont assistées, était conforme au droit. Cette solution a été confirmée par la Cour de cassation dans l’arrêt soumis à commentaire. Afin de comprendre cette position, il faut revenir sur la jurisprudence constitutionnelle relative à l’article 161-1 du code de procédure pénale. Dans sa version antérieure à 2012, cet article 161-1 prévoyait la notification au procureur de la République et aux avocats des parties de la décision de la juridiction d’instruction ordonnant une expertise afin que les destinataires de cette notification soient mis à même, dans le délai imparti, de demander au juge d’instruction de modifier ou de compléter les questions posées à l’expert ou d’adjoindre un expert de leur choix. En l’absence d’une telle notification, les parties non assistées par un avocat ne pouvaient pas exercer ce droit. À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ces dispositions ont été déclarées inconstitutionnelles. Désormais, l’article 161-1 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la décision n° 2012-284 du 23 novembre 2012 du Conseil constitutionnel, prévoit que la copie de la décision ordonnant une expertise est adressée, sans délai, au procureur de la République et aux parties, qui disposent d’un délai de dix jours pour demander au juge d’instruction, selon les modalités prévues par l’avant-dernier alinéa de l’article 81 du code de procédure pénale, de modifier ou de compléter les questions posées à l’expert ou d’adjoindre à l’expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix figurant sur une des listes mentionnées à l’article 157 de ce code (v. Cons. const. 23 nov. 2012, n° 2012-284 QPC, Dalloz actualité, 6 déc. 2012, obs. D. Goetz ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; AJ pénal 2013. 109, obs. J.-B. Perrier  ; Procédures 2013, n° 22, obs. A-S. Chavent-Leclère ; RPDP 2012. 917, note E. Vergès). On peut déduire de cette décision que ce qui importe, en définitive, c’est le respect du principe du contradictoire dans le processus de désignation des experts et de définition de leur mission. Tant que les parties assistées par un avocat sont régulièrement informées de la décision d’expertise, il importe peu que ce soit elles ou leur conseil qui soient destinataires de la copie de la décision (rappr. Crim. 18 mars 2014, n° 13-87.758, Bull. crim. n° 83 ; Dalloz actualité, 1er avr. 2014, obs. S. Anane ).

La seconde partie de la décision de la Cour de cassation était relative à la prescription de l’infraction de discrédit jeté sur une décision de justice prévu par l’article 434-25 du code pénal (v. Rép. pén., Outrage, par V. Delbos). Ce délit, dans sa version applicable depuis le 1er janvier 2002, empruntant au droit de la presse, se prescrivait par trois mois à compter du jour où le discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle a été commis et il résultait de la combinaison des articles 434-25, alinéa 4, du code pénal et 7 et 8 du code de procédure pénale que la prescription abrégée reprenait son cours après chaque acte d’instruction accompli dans le même délai de trois mois (Crim. 30 avr. 1996, n° 95-85.027, Bull. crim. n° 177). Il faut souligner qu’en l’espèce, la même infraction a été réalisée à quatre dates différentes : le 4 juillet 2010, le 27 septembre 2010, le 12 octobre 2010, et enfin le 7 novembre 2010. L’enquête n’ayant été diligentée qu’à partir du 14 novembre 2010, le délit du 4 juillet 2010 était normalement prescrit dès le mois d’octobre. Pourtant, la cour d’appel est entrée en voie de condamnation et il est nécessaire de revenir sur son raisonnement afin d’être à même d’apprécier la solution de la Cour de cassation.

Pour écarter l’exception de la prescription de l’action publique, l’arrêt d’appel a énoncé que la loi du 27 février 2017 a abrogé la prescription dérogatoire de trois mois instaurée pour le délit prévu par l’article 434-25 du code pénal, le législateur ayant estimé qu’il devait désormais être soumis au régime de prescription de droit commun de six ans. Pour qu’une loi pénale de forme relative à la prescription s’applique immédiatement en vertu de l’article 112-2, 4°, du code pénal et pour que les nouveaux délais se substituent aux anciens, il est nécessaire de s’assurer que la prescription n’est pas déjà acquise. Les juges du second degré ont effectivement considéré qu’en conséquence de l’appel formé par les prévenus et de l’annulation du jugement rendu le 12 juillet 2016, la prescription de l’action publique n’était pas acquise au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, de sorte que le délai de prescription de six ans avait vocation à s’appliquer, une durée inférieure à ce délai s’étant en l’espèce écoulée entre la délivrance des citations de première instance aux prévenus, les 7 et 11 avril 2016, et la déclaration d’appel. La question était de savoir d’où les juges du fond ont fait partir la prescription ? L’hypothèse de l’infraction continuée semble la mieux à même d’y répondre. En effet, le prévenu a souligné dans son pourvoi que les juges du fond auraient allégué d’une infraction commise « du 4 juillet 2010 au 12 novembre 2010 comme s’il s’agissait d’un délit continu ». Il serait plus exact de parler d’infraction continuée (telle que la jurisprudence la conçoit, v. à ce propos E. Dreyer, Droit pénal général, 4e éd., LexisNexis, 2016, p. 554, n° 711), une infraction constituée par la réitération d’un délit instantané (J. Pradel, Droit pénal général, 21e éd., Cujas, coll. « Références », 2016, p. 349, n° 407). Le but de retenir une infraction continuée à l’égard de quatre infractions instantanées commises à quelques semaines d’intervalle est finalement de repousser le point de départ du délai de prescription (v. B. Bouloc, Droit pénal général, 25e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, p. 228, n° 238).

Toutefois, une telle pratique est discutable (v. not. E. Dreyer, préc., p. 554, n° 711 ; J. Pradel, préc., p. 350, n° 408) et la Cour de cassation ne s’est pas rangée du côté de la cour d’appel, cassant partiellement sa décision. En effet, la chambre criminelle a estimé que, lorsque des poursuites pour le délit d’atteinte à l’autorité de la justice prévu par l’article 434-25 du code pénal, dans sa rédaction applicable antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, sont engagées en raison de la diffusion, sur internet, d’un message figurant sur un site, le point de départ du délai de trois mois de prescription de l’action publique édicté par cet article doit être fixé à la date du premier acte de publication et que cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs. Elle a ajouté que les juges du fond, en prononçant, sans constater, comme ils étaient invités à le faire, que, comme la Cour de cassation est en mesure de s’en assurer par le contrôle des pièces de procédure, l’action publique se trouvait éteinte par la prescription pour le texte diffusé le 4 juillet 2010, le premier acte d’enquête interrompant la prescription étant intervenu le 14 octobre 2010, ont méconnu les dispositions législatives visées.

La décision est satisfaisante dans la mesure où la chambre criminelle fait l’exacte application des règles de droit transitoire lorsque la prescription n’est pas acquise. De plus, elle sanctionne un raisonnement de la cour d’appel certainement source d’insécurité juridique. Enfin, cette décision s’inscrit dans la lignée d’un arrêt du 13 décembre 2017 et on voit ainsi se construire peu à peu une jurisprudence relative à l’application dans le temps de la réforme de la prescription en matière pénale (rappr. Crim. 13 déc. 2017, n° 17-83.330, Dalloz actualité, 11 janv. 2018, obs. V. Morgante ; AJ pénal 2018. 97, obs. M. Lacaze ; RSC 2018. 129, obs. R. Parizot ). D’ailleurs, en ce qui concerne la prescription de l’action publique, il est intéressant de constater la Cour de cassation refuse de renvoyer les QPC posées. En témoigne l’arrêt du 7 mai 2018 (Crim. 7 mai 2018, n° 17-85.742, CCE 2018, n° 7, comm. 55, A. Lepage). En effet, à l’occasion de son pourvoi en cassation, le prévenu a également soulevé une QPC qui portait notamment sur la prescription du délit de discrédit jeté sur une décision de justice. La chambre criminelle a conclu au non-renvoi de la QPC au motif qu’en ce qu’elle est relative à l’application immédiate, lorsque la prescription n’est pas encore acquise, de l’article 434-25 du code pénal, dans sa version issue de la loi du 27 février 2017, allongeant le délai de prescription de l’action publique, aux faits commis avant son entrée en vigueur, la question est étrangère aux droits et libertés garantis par les articles 6, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dès lors que cette prescription a pour seul effet de faire obstacle à l’exercice des poursuites (rappr. Cass., ass. plén., 20 mai 2011, nos 11-90.025, 11-90.032 et 11-90.033, D. 2011. 1346, obs. A. Lienhard ; ibid. 1426, point de vue D. Chagnollaud ; ibid. 1775, chron. N. Maziau ; ibid. 2231, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2011. 516 , note J. Gallois ; Rev. sociétés 2011. 512, note H. Matsopoulou ; RSC 2011. 611, obs. H. Matsopoulou ; ibid. 656, obs. J. Danet ; ibid. 2012. 221, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2011. 654, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2011, comm. n° 95, note J.-H. Robert ; JCP 2011, aperçu rapide n° 670, B. Mathieu ; Rev. sociétés 2011. 512, note H. Matsopoulou ; v. égal. CEDH 25 août 2015, n° 3569/12, Dalloz actualité, 23 sept. 2015, obs. D. Poupeau isset(node/174594) ? node/174594 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>174594).