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Infraction à la législation du travail de nuit : preuve par procès-verbal

Les procès-verbaux de l’inspection du travail constatant des infractions font foi jusqu’à preuve contraire et la valeur probante des constatations s’étend à celles qui résulteraient des documents fournis par l’employeur.

par Méryl Recotilletle 15 novembre 2018

Les infractions au droit du travail sont constatées par un procès-verbal daté et signé de l’inspecteur qui a pris une part personnelle et directe à la constatation de l’infraction (Crim. 21 juin 2005, n° 05-81.491, Bull. crim. n° 181, arrêt n° 1 ; D. 2005. 2104 ; ibid. 2006. 617, obs. J. Pradel ; v. égal. Rép. trav., Droit pénal du travail, par. A. Cerf-Hollender, nos 287 s.). Un tel procès-verbal appartient à une catégorie dérogatoire au droit commun et vaut jusqu’à preuve du contraire (pour un rappel concis des règles en matière de procès-verbaux, v. Dalloz actualité, 18 nov. 2014, obs. L. Priou-Alibert isset(node/169382) ? node/169382 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>169382, obs. Crim. 28 oct. 2014, n° 13-84.840). C’est sur la valeur probante de procès-verbaux émanant de l’inspection du travail que la chambre criminelle s’est prononcée dans un arrêt du 30 octobre 2018.

En l’espèce, au cours de deux contrôles dans un magasin, un inspecteur a constaté la présence de salariés en position de travail après 21 heures. Peu de temps après ces visites, une lettre recommandée a été adressée au directeur de l’établissement pour lui signaler les irrégularités observées. Par la suite, l’inspecteur s’est fait remettre les relevés des heures de pointage des salariés, au vu desquels il a constaté que certains d’entre eux avaient effectué un travail de nuit illégalement et en a dressé la liste qu’il a annexée à son procès-verbal. Le tribunal de police a déclaré la société exploitant le magasin coupable des faits reprochés. Cette dernière a relevé appel de la décision, ainsi que les parties civiles et le procureur de la République. La cour d’appel a infirmé le jugement de première instance en ce qu’il a notamment condamné la société à réparer le préjudice des parties civiles. Pour ce faire, elle a relevé que l’ensemble des lacunes, des imprécisions et des contradictions dans le rapport de l’inspection du travail ont créé un doute sur la matérialité des infractions et qu’il convenait en conséquence d’entrer en voie de relaxe à l’égard de la société prévenue. Les parties civiles ont alors formé un pourvoi en cassation saisissant la chambre criminelle de la question relative à la valeur probante des procès-verbaux établis par l’inspection du travail.

Au visa de l’article L. 8113-7 du code du travail, dans sa version en vigueur au moment des faits, et des articles 537 et 593 du code de procédure pénale, la chambre criminelle a invalidé l’arrêt de la cour d’appel.

Dans un premier temps, la Haute cour a souscrit à l’argument des parties civiles selon lequel aucune preuve contraire rapportée par écrit ou par témoin n’est venue contredire les procès-verbaux (V., par ex., Crim. 15 déc. 2015, n° 15-81.322, Dalloz actualité, 13 janv. 2016, obs. D. Goetz ; v. égal. Crim. 20 juin 2012, n° 12-81.024, D. 2012. 1890 ; AJ pénal 2013. 53, obs. G. Poissonnier ; RSC 2012. 624, obs. J. Danet ).

Dans un second temps, la Cour de cassation devait se prononcer sur la question de savoir si les observations réalisées par l’inspecteur du travail sur la base des listings de pointage qui lui ont été remis après ses visites avaient une valeur probante. La Cour a répondu par l’affirmative, considérant que « la valeur probante des constatations de l’inspecteur du travail s’étend à celles qui résulteraient des documents fournis par l’employeur ». En d’autres termes, et c’est là l’intérêt de la décision, les constatations de l’inspecteur du travail à partir de documents remis ultérieurement à ses contrôles ont la même valeur probante que toute observation réalisée par lui au moment de ses visites. En conséquence, la chambre criminelle a estimé que la cour d’appel ne pouvait sans contradiction constater, d’abord, que les listings de pointage des salariés avaient été remis par l’employeur à l’inspecteur du travail et en déduire, ensuite, que, parce que ces listes n’étaient pas jointes à la procédure, cela ne permettait pas d’établir la réalité du travail de salariés. La chambre criminelle a alors cassé la décision de la cour d’appel pour avoir débouté les parties civiles de leurs demandes s’agissant des faits poursuivis à l’encontre de la société prévenue.

Pour conclure, on notera tout de même que cette cassation n’est que partielle, la Haute cour ayant jugé que « toutes les autres dispositions étaient expressément maintenues ». Ces autres dispositions concernaient le refus de la cour d’appel d’engager la responsabilité pénale de la société parce qu’il existait un doute sur la personne agissant pour le compte de cette personne morale. Donc a priori, la Cour de cassation semble réaffirmer son exigence d’identification de l’organe ou du représentant qui a commis l’infraction pour le compte de la personne morale afin d’engager la responsabilité pénale de celle-ci (Crim. 11 oct. 2011, n° 10-87.212, Bull. crim. n° 202 ; D. 2011. 2841, obs. M. Bombled , note N. Rias ; ibid. 2012. 1698, obs. C. Mascala ; ibid. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2012. 35 , note B. Bouloc ; Rev. sociétés 2012. 52, note H. Matsopoulou ; Dr. soc. 2012. 93, obs. F. Duquesne ; ibid. 720, chron. R. Salomon et A. Martinel ; RSC 2011. 825, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2012. 201, obs. B. Bouloc ; RJDA 2012, n° 54 ; Dr. pénal 2011. Comm. 149, obs. M. Véron ; JCP E 2011, n° 1925, note J.-F. Césaro ; RJS 2012, n° 93 ; 11 avr. 2012, n° 10-86.974, Bull. crim. n° 94 ; D. 2012. 1381 , note J.-C. Saint-Pau ; ibid. 1698, obs. C. Mascala ; ibid. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2012. 415, obs. B. Bouloc ; Dr. soc. 2012. 720, chron. R. Salomon et A. Martinel ; ibid. 2013. 142, chron. R. Salomon et A. Martinel ; RSC 2012. 375, obs. Y. Mayaud ; ibid. 377, obs. A. Cerf-Hollender ; RTD com. 2012. 627, obs. B. Bouloc ; RJDA 2012, n° 770 ; RJS 2012. 515, note A. Coeuret et F. Duquesne ; RJS 2012, n° 668 ; JCP 2012, n° 740, note J.-H. Robert ; JCP S 2012, n° 1269, note S. Brissy ; Procédures 2012. Comm. 191, obs. A.-S. Chavent-Leclère ; Gaz. Pal. 21 juin 2012. 5, note R. Hervet et F. Benouniche ; 17 oct. 2017, n° 16-87.249 P, Dalloz actualité, 2 nov. 2017, obs. D. Goetz ; Dr. soc. 2018. 187, étude R. Salomon ; RSC 2017. 733, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2017. 1011, obs. L. Saenko ).