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Injonction de payer européenne : irrégularité de la signification et (in)compétence du juge de l’exécution

Le juge de l’exécution n’est pas compétent pour connaître de la demande de nullité de l’acte de signification d’une injonction de payer européenne, déclarée entre-temps exécutoire par la juridiction de l’État membre d’origine à défaut d’opposition formée par le défendeur dans les conditions prévues par le règlement (CE) n° 1896/2006.

par Guillaume Payanle 18 juillet 2019

La définition des contours de l’office du juge de l’exécution, tel que déterminé à l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, ne cesse d’alimenter la jurisprudence de la Cour de cassation. L’originalité de la présente affaire réside dans le fait d’envisager cette problématique dans le contexte offert par la mise en œuvre du règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JOUE n° L 399, 30 déc. 2006, p. 9).

Ce règlement a créé, en matière civile et commerciale, une procédure européenne « uniforme » pour le recouvrement transfrontière de créances pécuniaires liquides et exigibles à la date à laquelle la demande d’injonction de payer européenne est introduite (règl. [CE] n° 1896/2006, art. 3 et 4). Dans le cas où la demande formée en application de cette procédure comporte l’ensemble des éléments exigés à l’article 8 du règlement, la juridiction compétente délivre l’injonction de payer européenne, laquelle doit alors être notifiée ou signifiée au défendeur (règl. [CE] n° 1896/2006, art. 12). Cette notification ou signification est très importante puisqu’elle permet d’informer le défendeur non seulement de la procédure dirigée à son encontre mais également de l’alternative qui s’offre à lui. Dans une première option, il peut contester la créance. Dans ce cas, il doit former une opposition (règl. [CE] n° 1896/2006, art. 16) et la procédure peut se poursuivre devant les juridictions compétentes de l’État membre d’origine conformément aux règles de la « procédure civile nationale appropriée » ou de « la procédure européenne de règlement des petits litiges prévue dans le règlement (CE) n° 861/2007 » (règl. [CE] n° 1896/2006, art. 17, tel que réformé par le règl. (UE) n° 2015/2421, 16 déc. 2015). Dans une seconde option, le défendeur ne conteste pas la créance. Dans ce cas, à l’issue du délai imparti pour former opposition, la juridiction d’origine déclare « sans tarder » l’injonction de payer européenne exécutoire (règl. [CE] n° 1896/2006, art. 18, § 1). Or, conformément aux dispositions de l’article 19 du règlement (CE) n° 1896/2006, une fois que cette injonction est devenue exécutoire dans l’État membre d’origine, elle est « reconnue et exécutée dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance ». Les procédures civiles d’exécution susceptibles d’être mises en œuvre pour en assurer l’exécution forcée sont alors régies par le droit de l’État membre d’exécution (règl. [CE] n° 1896/2006, art. 21, § 1).

En l’espèce, à la requête d’une société de droit néerlandais, une ordonnance d’injonction de payer européenne a été délivrée par une juridiction néerlandaise, puis signifiée à une société de droit français. Par la suite, à défaut d’opposition dûment formée, cette juridiction a déclaré l’ordonnance exécutoire et, deux mois plus tard, la société créancière a fait procéder en France à une saisie-attribution et délivrer un commandement de saisie-vente à l’encontre de sa débitrice. Contestant la régularité de la signification de l’ordonnance d’injonction de payer, cette dernière demande la mainlevée des saisies, sans succès. En première instance, comme en appel, la société française débitrice est déboutée de ses demandes, les juges du fond estimant que le juge de l’exécution est incompétent pour connaître d’une telle contestation, au motif que, postérieurement à sa signification, l’ordonnance d’injonction de payer européenne a été rendue exécutoire par le for d’origine. La société française forme alors un pourvoi, en vain.

Au soutien du rejet du pourvoi, la Cour de cassation commence son raisonnement en rappelant le principe – consacré à l’article 19 précité du règlement (CE) n° 1896/2006 – de la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’Union européenne. Elle poursuit en indiquant que c’est à bon droit que la cour d’appel a déduit que le juge de l’exécution n’était pas compétent pour connaître de la demande de nullité de l’acte de signification de l’injonction de payer européenne « qui tendait à remettre en cause la régularité de ce titre déclaré exécutoire, par la juridiction de l’État membre d’origine », à défaut d’opposition de la société débitrice française formée dans les conditions prévues par l’article 18 du règlement. Or, si le juge de l’exécution est compétent pour connaître « des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » (COJ, art. L. 213-6, al. 1), il ne saurait remettre en cause le titre qui sert de fondement aux poursuites (rappr. C. pr. exéc., art. R. 121-1). À dire vrai, en pratique, la frontière n’est pas toujours très nette entre ce qu’il est permis de soumettre à l’examen du juge de l’exécution et ce qui ne l’est pas.

Plus généralement, dès lors que le juge français de l’exécution n’est pas compétent dans une telle situation, il y a lieu de se demander si la contestation de la régularité de la signification de l’injonction de payer européenne peut être valablement portée à la connaissance d’une autre juridiction et, singulièrement, d’une juridiction de l’État membre d’origine. À ce sujet, la Cour de justice de l’Union européenne a déjà été sollicitée, au moyen de questions préjudicielles, dans une affaire où une injonction de payer européenne n’avait pas été correctement signifiée au défendeur (CJUE, 3e ch., 4 sept. 2014, aff. C-119/13, Eco cosmetics GmbH & Co. KG contre Virginie Laetitia Barbara Dupuy et C-120/13, Raiffeisenbank St. Georgen reg. Gen. mbH contre Tetyana Bonchyk, Dalloz actualité, 17 sept. 2014, obs. F. Mélin ; ibid. 2015. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke , Procédures 2014. comm., n° 297, note C. Nourissat ; F. Picod [dir.], Jurisprudence de la CJUE 2014. Décisions et commentaires, Bruylant, 2015, p. 836, note M. Laazouzi et p. 873, note E. Guinchard ; Europe 2014, comm. 505, note L. Idot ; Lexbase Hebdo, éd. privée, n° 587, 16 oct. 2014, note G. Payan). Dans son arrêt, la Cour de justice a précisé que, lorsque ce n’est qu’après la déclaration de force exécutoire d’une injonction de payer européenne, que l’irrégularité de la signification est révélée, le défendeur « doit avoir la possibilité de dénoncer cette irrégularité, laquelle doit, si elle est dûment démontrée, entraîner l’invalidité de cette déclaration de force exécutoire ».

Au regard de cette jurisprudence européenne, la société française débitrice aurait peut-être eu davantage de chance de succès en saisissant la juridiction néerlandaise d’une telle contestation, à charge pour elle de démontrer que l’irrégularité de fond affectant selon elle l’acte de signification de l’ordonnance s’analyse en une violation des « normes minimales » établies à l’article 13 du règlement (CE) n° 1896/2006. Pour rappel, cet article dispose que l’« injonction de payer européenne peut être signifiée ou notifiée au défendeur, conformément au droit national de l’État dans lequel la signification ou la notification doit être effectuée, par l’un des modes suivants : a) signification ou notification à personne, le défendeur ayant signé un accusé de réception portant la date de réception ; b) signification ou notification à personne au moyen d’un document signé par la personne compétente qui a procédé à la signification ou à la notification, spécifiant que le défendeur a reçu l’acte ou qu’il a refusé de le recevoir sans aucun motif légitime, ainsi que la date à laquelle l’acte a été signifié ou notifié ; c) signification ou notification par voie postale, le défendeur ayant signé et renvoyé un accusé de réception portant la date de réception ; d) signification ou notification par des moyens électroniques, comme la télécopie ou le courrier électronique, le défendeur ayant signé et renvoyé un accusé de réception portant la date de réception ».