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Inspection générale de la justice : le sort de la Cour de cassation est entre les mains du Conseil d’État

Le décret du 5 décembre 2016 portant création de l’inspection générale de la justice porte-t-il atteinte aux principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de l’autorité judiciaire ? « Non », a répondu le rapporteur public, Louis Dutheillet de Lamothe.

par Emmanuelle Maupinle 19 mars 2018

La publication du texte qui a procédé à la fusion des trois services d’inspection du ministère de la justice et a inclus discrètement la Cour de cassation dans le champ de compétence de l’inspection avait déclenché une levée de boucliers. Le premier président Bertrand Louvel et le procureur général Jean-Claude Marin avaient d’ailleurs adressé au nouveau premier ministre une lettre officielle de protestation (v. Dalloz actualité, 8 déc. 2016, art. C. FleuriotLe droit en débats, 13 janv. 2017, par J.-J. Urvoas). Plusieurs requêtes en annulation ont été déposées au Conseil d’État contre le décret et son arrêté.

Les syndicats requérants estimaient que le décret créant une inspection placée sous l’autorité du ministre méconnaît les principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de l’autorité judiciaire. L’indépendance des fonctions juridictionnelles est double. D’un côté, l’indépendance du magistrat pris individuellement : « personne ne peut lui dicter la position à prendre dans une décision ». De l’autre, l’indépendance de l’autorité juridictionnelle. « Mais cette indépendance n’est pas absolue », estime Louis Dutheillet de Lamothe. « L’existence d’une faculté d’inspection peut se rattacher à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à la condition que l’indépendance de l’autorité judiciaire ne soit pas méconnue. »

Un risque de pression limité

Y a-t-il atteinte ? L’inspection générale de la justice est sous l’autorité hiérarchique du garde des Sceaux. Les inspections peuvent porter sur le fonctionnement des juridictions et sur la manière de servir d’un magistrat, sur son comportement. De plus, relève le rapporteur public, elle dispose d’un pouvoir d’investigation important. Les rapports de l’inspecteur n’entraînent aucune conséquence. Il ne contraint pas le magistrat dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles. Mais si le rapport est rendu public ? « Il pourrait, dans ce cas, constituer un moyen de déstabiliser une juridiction. Il pourrait alimenter les procédures disciplinaires », reconnaît Louis Dutheillet de Lamothe.

Ce risque de pression serait limité, selon lui, par l’existence de garanties relatives notamment au statut des inspecteurs ou au fonctionnement de l’inspection. Ces garde-fous limiteraient la possibilité d’utiliser l’inspection pour influencer un litige.

La constitutionnalité de ce pouvoir d’inspection a, en outre, été validée dans son principe par le Conseil constitutionnel à l’occasion de l’examen de la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ou de celle du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.

Le rattachement de la Cour de cassation est conforme à la Constitution

La seconde question que devra trancher la section du contentieux du Conseil d’État est celle du rattachement de la Cour de cassation à l’inspection générale de la justice. « Aux premiers abords, on ne voit aucune règle ni aucun principe établissant une distinction pour la Cour de cassation. » Pour autant, déstabiliser la juridiction suprême, « c’est potentiellement déstabiliser toute l’autorité judiciaire », précise le rapporteur public. La France est le seul pays où un ministre a la faculté d’inspecter les juridictions, y compris maintenant la Cour de cassation, sur leur fonctionnement et sur ses magistrats. « Cette singularité est la conséquence de notre modèle qui confie une grande importance au pouvoir réglementaire. »

Selon lui, pour estimer inconstitutionnel un texte revenant sur cette exception posée dans un décret de 1965 du général de Gaulle, il faudrait trouver un fondement juridique à la protection particulière de la Cour de cassation. Or rien… Le fondement le plus solide serait celui tiré de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature : « mais ceux qui y siègent ne représentent pas la Cour de cassation ». Cette extension ne mériterait d’être censurée que si elle fait courir un risque nouveau à l’indépendance de l’autorité judiciaire. N’en voyant aucun, Louis Dutheillet de Lamothe estime que la suppression de l’exception concernant la Cour de Cassation n’est pas contraire à la Constitution et à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

« Jugez ce dossier, c’est vous juger vous-même », a mis en garde Patrice Spinosi, avocat de l’un des syndicats requérants. Et d’insister : « accepteriez-vous qu’une inspection générale puisse vérifier le fonctionnement, les performances ou la manière de servir des juges administratifs et exercer les mêmes prérogatives au Conseil d’État ? Selon le rapporteur public, la marche est un peu haute et il appartiendrait au politique de modifier cet état des choses en plaçant sous le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature cette inspection. Mais il faudrait être particulièrement naïf pour croire que le gouvernement accepterait de donner plus d’indépendance à ses juges pour se libérer d’une influence qui existe. C’est à vous de juger de cour suprême à cour suprême. C’est une main tendue de l’un et l’autre côté de la Seine qui vous est faites pour garantir cette indépendance ».

La décision sera rendue d’ici la fin du mois.