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Intelligence artificielle générative : entre adoption d’un règlement européen et nouvelle action américaine contre la violation massive du copyright du New York Times

Alors que le projet de règlement sur l’intelligence artificielle connaissait une avancée importante, avec un accord du Parlement et du Conseil de l’Union sur cette « législation sur l’IA », telle que proposée par la Commission en avril 2021 (COM [2021] 206 final), amendée par le Parlement, le 9 décembre 2023, une nouvelle plainte contre les acteurs essentiels de l’IA générative que sont OpenAI et Microsoft saisissait les juges américains pour contrefaçon massive des droits d’auteur du New York Times. C’est à l’aune des dispositions du règlement, tel que « validé » par les vingt-sept États membres (version de la présidence belge du 26 janv. 2024), après des mois d’opposition française et allemande, il y a quelques jours, le 2 février dernier, que nous revenons sur cette plainte américaine.

Soutenant notamment que « l’apprentissage » des modèles GPT implique des reproductions non autorisées de plusieurs milliers d’œuvres protégées, et que les « productions » de l’IA générative constituent parfois des reproductions à l’identique des articles du New York Times ou des œuvres dérivées, alors que des licences pouvaient être obtenues, le New York Times sollicite des dommages et intérêts et une injonction interdisant la poursuite de la contrefaçon à grande échelle par OpenAI et Microsoft.

Bien entendu l’intelligence artificielle (IA) et les nombreuses questions soulevées, en droit d’auteur notamment, par son développement et utilisation, sont sur toutes les lèvres. Plus d’une centaine d’articles, en français et dans la doctrine anglophone traitent de ces différentes interrogations et de plus en plus s’intéressent à la question de savoir si les systèmes algorithmiques d’intelligence artificielle générative supposent et conduisent à des actes soumis à autorisation, actes de reproduction ou de représentation de certaines œuvres protégées par le droit d’auteur ou, outre-Atlantique, par le copyright, et, si tel est le cas, sur la question de savoir si l’usage réalisé est susceptible de relever d’exceptions. Si aux États-Unis on s’interroge sur l’application de l’exception de fair use, dans l’Union européenne, c’est essentiellement sur l’application de l’exception de fouilles de textes et de données, que la doctrine se concentre. Le règlement, dans ses dernières versions, n’envisage d’ailleurs explicitement que cette exception et paraît clairement en admettre l’application aux bases d’apprentissage et de spécialisation des systèmes d’intelligence artificielle, en exigeant des fournisseurs qu’ils respectent notamment l’opt-out choisi par les titulaires de droits d’auteur (consid. 60 f, 60 i et 60 j).

De nombreuses actions collectives ont été initiées contre OpenAI, à propos de ChatGPT (en plus de celle qui nous retient, celles de Sancton v. OpenAI Inc. et al, 21 nov. 2023, de Authors Guild et al v. OpenAI Inc. et al, 19 sept. 2023, de Chabon v. OpenAI, Inc., 8 sept. 2023, de OpenAI, Inc. v. Open Artificial Intelligence, Inc., 4 août 2023, de Doe 3 et al v. GitHub, Inc. et al, 10 nov. 2022, de Doe 1 t al v. GitHub, Inc. et al, 3 nov. 2022, de T. et al v. OpenAI LP et al, 5 sept. 2023, de Walters v. OpenAI LLC, 4 juil. 2023, de Silverman, et al v. OpenAI Inc., 7 juil. 2023, de Tremblay v. OpenAI Inc., 28 juin 2023, et de PM et al v. OpenAI LP et al, 28 juin 2023). D’autres actions concernent également des sociétés impliquées dans le développement et la mise à disposition d’autres intelligences artificielles génératives – l’expression est aujourd’hui celle communément usitée – et notamment de Midjourney ou du grand modèle linguistique Meta AI.

La plainte du New York Times contre OpenAI est la 12e action contre cet acteur essentiel du développement des différentes versions de ChatGPT et la seconde mettant en cause la société Microsoft du fait de son implication dans ce développement et dans la commercialisation de produits dérivés de l’IA générative.

En effet, le 21 novembre, à l’initiative de M. Sancton, une « demande » pour une action collective contre ces deux sociétés était déposée devant la District Court Southern District of New York (US District Court Southern District of New York, 21 nov. 2023, Sancton v. OpenAI Inc. et al., n° 23-cv-10211-UA). À l’origine de cette action sans doute, la réponse de ChatGPT au demandeur : « Oui, le livre de J. Sancton (..) est inclus dans mes données d’entraînement » (§ 66). La plainte du New York Times – de 69 pages –, comme ce recours, sont bien plus précis et détaillés s’agissant du fonctionnement de l’IA, des actes argués réalisés par OpenAI et Microsoft que les précédents recours.

Le New York Times s’est particulièrement attaché à répondre à une exigence essentielle : la preuve des actes soumis par principe à autorisation. On relèvera d’ailleurs que les décisions des juges fédéraux déjà intervenues aux États-Unis s’agissant d’actions contre les fournisseurs de systèmes d’intelligence artificielle génératifs, pour des faits allégués de collecte, de stockage d’œuvres et de production d’œuvres dérivées, répondent à des incidents de procédures, sans mettre fin à ces dernières : les demandes formulées ont en effet été considérées, à raison, imprécises ou manquant de preuve suffisante des faits allégués. Dans ces deux procédures, les juges fédéraux ont, par voie d’ordonnance, accordé aux demanderesses l’autorisation de modifier leur assignation afin de leur permettre de clarifier leurs arguments (District Court, California, 30 oct. 2023, Andersen v. Stability AI Ltd., n° 23-cv-00201, Dalloz actualité, 10 nov. 2023, obs. B. Jeulin ; 20 nov. 2023, Richard Kadrey et al. v. META Platforms Inc., n° 23-cv-03417-VC).

Après avoir rappelé l’histoire du journal et l’importance d’une presse de qualité pour le débat démocratique, la plainte du New York Times évoque l’histoire d’OpenAI. Elle souligne que l’intention de départ, altruiste, des sociétés OpenAI (ci-après nommées collectivement OpenAI), avec une politique d’open-source, a disparu très vite pour une finalité lucrative, une politique du secret, et une association avec Microsoft. La clarification de ce contexte est louable. Elle permet de mettre en lumière le but lucratif des activités de ces sociétés. D’ailleurs, selon l’agence Reuters, OpenAI espérait réaliser en 2023 un chiffre d’affaires de 200 millions de dollars et d’un milliard en 2014 – et le New York Times précise dans ses écritures qu’OpenAI génère 80 millions par mois et serait sur le point de dépasser le billion pour l’année à venir.

La plainte du New York Times explicite les rapports entre...

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