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Intelligence artificielle : nouvelle résolution du Parlement européen

Le 12 février 2019, le Parlement européen, en séance à Strasbourg, a adopté une nouvelle résolution sur une politique industrielle européenne globale sur l’intelligence artificielle. Dans ce document, riche de nombreuses réflexions passionnantes sur cette évolution technologique majeure, le Parlement insiste sur la nécessité de mettre en place un cadre juridique pour l’intelligence artificielle et la robotique, reposant sur l’identification de principes éthiques, tout en évoquant l’importance, pour l’Europe, d’être pionnière dans ce domaine.

par Thibault de Ravel d’Esclaponle 20 février 2019

Comme le fait observer très justement le Parlement européen, dans une résolution votée à Strasbourg le 12 février 2019, toute avancée technologique majeure nécessite un temps d’adaptation. L’innovation et la mutation, tout aussi disruptives qu’elles puissent être, s’inscrivent nécessairement dans une certaine chronologie. En effet, « l’ensemble des avancées technologiques notables ont nécessité une période de transition, au cours de laquelle la majeure partie de la société a dû acquérir une meilleure compréhension de la technologie pour l’intégrer dans sa vie quotidienne » (résolution, pt 29). Et l’intelligence artificielle (ci-après, l’IA), « l’une des technologies stratégiques du XXIe siècle » (ibid., pt D), n’y échappe pas. Or ce récent document participe assurément de ce travail de compréhension. Comme la résolution précédente (sur la résolution adoptée le 16 février 2017 « contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique », v. A. Bensamoun et G. Loiseau, L’intelligence artificielle : faut-il légiférer ?, D. 2017. 581  ; Dalloz actualité, 1er mars 2017, obs. N. Maximin ), celle-ci se trouve fort bien rédigée, résumant utilement et de manière très claire les principaux éléments des débats agitant le développement exponentiel de l’IA. D’ailleurs, l’on pourra se féliciter de ce qu’elle évite, cette fois-ci, l’écueil de « la représentation allégorique » (A. Bensamoun et G. Loiseau, art. préc., à propos de la résolution du 16 février 2017, faisant observer que « le temps de la loi n’est pourtant pas celui de la chimère et il faut éviter l’écueil du fantasme qui conduirait, sans raison valable et de façon précipitée, à remettre en cause l’existant normatif »).

L’approche est plus générale : il s’agit de s’intéresser à une politique industrielle européenne globale sur l’IA et la robotique. La résolution envisage l’IA avec une réelle bienveillance, considérant qu’« une intelligence artificielle et une robotique transparentes et intégrant l’éthique sont potentiellement en mesure d’enrichir nos vies et de renforcer nos capacités, tant sur le plan individuel que pour le bien commun » (ibid., pt A). Les aspects sociaux ne sont pas appréhendés avec la circonspection systématique que l’on peut parfois percevoir ailleurs dès que l’on évoque l’IA. Ainsi, « certains emplois seront remplacés, mais […] de nouveaux emplois seront également créés, qui transformeront les vies et les pratiques professionnelles » (ibid., n° 1 : ceci étant, le texte invite les États « à se concentrer sur la reconversion des travailleurs des secteurs les plus touchés par l’automatisation des tâches »). L’IA favorise tout à la fois l’innovation, la productivité, la compétitivité et le bien-être (ibid., pt E). Et la résolution du Parlement décline ensuite ces avantages dans différents domaines (santé, agriculture, transports, etc.), sans pour autant éluder les difficultés potentielles notamment en termes de cybersécurité. On comprend dès lors les ambitions de l’Union européenne dans cette matière, lesquelles sont très clairement réaffirmées dans la résolution. Le texte du Parlement est particulièrement net : « une approche coordonnée au niveau européen est instamment nécessaire afin que l’Union soit en mesure de rivaliser avec les investissements de masse effectués par des pays tiers, notamment les États-Unis et la Chine » (pt I). Ceci étant, la résolution s’inscrit dans une démarche plus globale et il faut citer à cet égard, dans l’approche européenne, le récent rapport du High-Level Expert Group on artificial intelligence : Draft. Ethics Guidelines for Trustworthy AI. Working Document for stakeholders’ consultation, publié en décembre 2018.

La résolution encourage l’investissement dans la recherche et appelle de ses vœux la multiplication de partenariats public-privé. Les techniques susceptibles de favoriser l’innovation sont mises en avant. Pour cette raison, il assez logique que le texte se « félicite de l’utilisation de “bacs à sable réglementaires” pour introduire en coopération avec les régulateurs, de nouvelles idées innovantes permettant de mettre en place des garanties dans la technologie dès le début, en facilitant et en encourageant ainsi son entrée sur le marché » (ibid., n° 32). L’introduction de sandbox en droit communautaire sera certainement très discutée.

Enfin, la résolution du 12 février 2019 se propose d’établir un cadre juridique pour l’IA, axé sur la notion d’éthique, laquelle interviendrait, selon une logique désormais bien connue, dès la conception de l’application. Il est important de « réévaluer régulièrement » la législation « afin de s’assurer qu’elle soit adaptée à son objectif en ce qui concerne l’IA », en vertu d’un principe « d’amélioration de la réglementation » (ibid., n° 114). Sur le plan de la méthode, le Parlement estime qu’« il convient d’envisager avec précaution toute loi ou réglementation globale de l’IA, car la réglementation sectorielle peut prévoir des politiques suffisamment générales mais également affinées jusqu’à un niveau significatif pour le secteur industriel » (ibid., n° 116).

Sur le plan du contenu, diverses idées sont développées. Bien sûr, la protection des données demeure un sujet majeur. Mais la résolution véhicule, parmi plusieurs propositions, cette idée d’une « technologie centrée sur l’homme », insistant par ailleurs, à plusieurs reprises, sur le visage d’une IA marquée par une « complémentarité capacitante », pour reprendre les mots utilisés dans le rapport Villani (C. Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle. Pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018, p. 112). De surcroît, la résolution insiste sur le principe de transparence, fustigeant les risques liés aux algorithmes « statiques et opaques » (ibid., n° 156). Selon le Parlement, « tout système d’IA doit être développé dans le respect des principes de transparence et de la responsabilité des algorithmes, de manière à permettre la compréhension de ses actions par les êtres humains » (ibid., n° 158). Des lignes directrices devraient être établies pour ce qui concerne la transparence, l’explicabilité, la responsabilité et l’équité des algorithmes. Ceci étant, la résolution va plus loin et ne se borne pas à exiger une divulgation de l’algorithme, qui découragerait les entreprises de R&D (ibid., n° 169). Tout au contraire, elle prend soin de préciser que « la divulgation du code informatique lui-même ne résoudra pas le problème de la transparence de l’IA, parce qu’il ne révèlerait pas les biais inhérents qui existent et ne permettrait pas d’expliquer le processus d’apprentissage automatique » (ibid., n° 166). En vérité, une « IA digne de confiance » pourrait être obtenue par des moyens divers : analyses d’impact, audit, certification.

Enfin, plusieurs propositions sont formulées pour améliorer la gouvernance de l’IA. Ainsi en est-il de la création d’une agence réglementaire européenne de l’IA et de la prise de décision algorithmique.

La résolution du 12 février 2019 ancre véritablement le Parlement européen dans la réflexion relative au développement de l’IA, tout autant qu’elle continue d’ancrer l’IA dans la réflexion des instances communautaires. Celle-ci est au cœur des préoccupations, notamment parce qu’elle représente, avec le renouvellement profond impliqué par l’apprentissage machine, une évolution majeure de notre société. Compte tenu de l’impact considérable de la transformation dont elle est porteuse, l’attention impressionnante dont l’IA fait aujourd’hui preuve n’est guère étonnante et n’est certainement pas près de s’arrêter.