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Interception d’un papier remis par un avocat à ses clients sous escorte

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) vient, une fois de plus, rappeler les règles protégeant le secret professionnel des avocats et applicables à leurs correspondances.

par David Lévyle 8 juin 2018

Les faits de l’affaire sont simples et tout à la fois surprenants.

Cyril Laurent, avocat au barreau de Brest, défendait deux personnes mises en examen et placées sous escorte policière. À l’issue du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention, dans l’attente du délibéré, il s’entretint en robe, dans la salle des pas perdus, avec ses clients qui lui demandèrent sa carte de visite professionnelle. N’en ayant pas sur lui, l’avocat nota ses coordonnées professionnelles sur un morceau de papier, qu’il plia en deux et remit ostensiblement à l’un de ses deux clients. Le chef d’escorte, sous-brigadier de police, se fit remettre le papier, le déplia, le lut puis le rendit au client. L’avocat reprocha alors au policier de ne pas respecter la confidentialité de ses échanges avec son client. La même scène se déroula avec le second client.

Cet avocat initia alors une série de plaintes aux fins de faire reconnaître ce qu’il considérait être des faits d’atteinte au secret des correspondances par une personne dépositaire de l’autorité publique sanctionnés par les dispositions de l’article 432-9 du code pénal.

Le 28 octobre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes décida que, si l’interception de ces papiers avait « indéniablement pu porter atteinte au principe de la libre communication d’un avocat avec son client », elle ne pouvait cependant pas constituer une atteinte au secret de la correspondance telle que prévue et réprimée par le droit interne au motif que le fait de plier une feuille de papier, comme en l’espèce, avant de la remettre à son destinataire ne permettrait pas d’analyser cette feuille comme une correspondance au sens des articles 226-15 et 432-9 du code pénal.

Par arrêt du 16 octobre 2012 (Crim. 16 oct. 2012, n° 11-88.136, Bull. crim. n° 216 ; D. 2012. 2521 ; ibid. 2013. 124, chron. C. Roth, B. Laurent, P. Labrousse et M.-L. Divialle ; ibid. 136, obs. T. Wickers ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 41, obs. P. Belloir ; D. avocats 2013. 30, obs. F. Saint-Pierre ), la chambre criminelle rejeta le pourvoi contre la décision de la cour d’appel de Rennes jugeant que les billets en cause circulaient à découvert et qu’ils ne répondaient donc pas à la notion de correspondance protégée au sens de l’article 432-9 du code pénal.

Il revenait à la CEDH de décider si l’interception et la lecture par un officier de police d’un papier remis par un avocat à ses clients privés de liberté constituaient une atteinte au secret des correspondances.

La réponse est dénuée de toute ambiguïté : un papier remis par un avocat à ses clients est une correspondance au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En l’espèce, son interception et sa lecture par un policer n’étaient pas justifiées. Cette solution se justifie au regard de la mission fondamentale des avocats dans une société démocratique.

Un papier plié remis par l’avocat à ses clients est une correspondance au sens de l’article 8 de la Convention européenne.

1. L’avocat requérant, se référant à l’arrêt Frérot c. France (CEDH 12 juin 2007, n° 70204/01, D. 2007. 2632 , obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; ibid. 2008. 1015, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2007. 336, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2008. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; ibid. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; ibid. 404, chron. P. Poncela ), estimait que la notion de correspondance ne fait l’objet d’aucune définition en droit interne et qu’il revenait alors à la CEDH de la préciser, particulièrement lorsque sont en cause des échanges entre un avocat et son client. Le gouvernement français s’opposait à une telle interprétation, considérant que, d’une part, la notion de correspondance ne soulève pas de question nouvelle d’interprétation de la Convention et, d’autre part, en droit interne, les dispositions du code pénal sont suffisamment protectrices du secret des correspondances. Il ajoutait enfin que la jurisprudence Frérot ne s’applique pas au cas d’espèce, qui concerne des requérants privés de liberté mais non détenus.

2. La réponse de la CEDH porte à la fois le contenu et la forme de la notion de correspondance.

En premier lieu, sur le principe, elle rappelle que le droit de toute personne au respect de sa correspondance posé par l’article 8 de la Convention européenne protège la confidentialité des communications, « quel que soit le contenu de la correspondance dont il est question et quelle que soit la forme qu’elle emprunte » (CEDH 6 déc. 2012, Michaud c. France, n° 12323/11, § 90, AJDA 2013. 165, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 284, et les obs. , note F. Defferrard ; ibid. 1647, obs. C. Mascala ; ibid. 2014. 169, obs. T. Wickers ; AJ pénal 2013. 160, obs. J. Lasserre Capdeville ; D. avocats 2013. 8, obs. L. Dargent ; ibid. 96, note W. Feugère ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; RSC 2013. 160, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2013. 664, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2015. 353, étude M. Mezaguer ; 12 juin 2007, Frérot, préc., § 53).

Cette confidentialité s’attache également à « tous les échanges auxquels les individus peuvent se livrer à des fins de communication qui se trouve garantie par l’article 8 y compris lorsque l’envoyeur ou le destinataire est un détenu (CEDH 25 mars 1983, série A n° 61, Silver et autres c. Royaume-Uni, § 84; 11 janv. 2011, nos 15672/08 et 10 autres, Mehmet Nuri Özen et autres c. Turquie, § 41 ;  12 févr. 2013, n° 152/04, Yefimenko c. Russie, § 144) ».

En second lieu, et au cas d’espèce, la CEDH « considère qu’une feuille de papier pliée en deux, sur laquelle un avocat a écrit un message, remise par cet avocat à ses clients, doit être considérée comme une correspondance protégée au sens de l’article 8 de la Convention » (§ 36).

Il en résulte que le chef d’escorte, en interceptant et en prenant connaissance du contenu des papiers pliés transmis par l’avocat à ses clients, a commis une ingérence dans le droit au respect de la correspondance entre l’avocat et ses clients.

La CEDH a examiné classiquement si une telle ingérence, qui enfreint l’article 8 de la Convention européenne, est justifiée en ce qu’elle serait « prévue par la loi », répondrait à un ou des buts légitimes prévus par le paragraphe 2 de cet article et serait « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.

L’interception et la lecture du papier plié remis par l’avocat à ses clients n’étaient pas justifiées en l’espèce.

1. La CEDH écarte rapidement les deux premières conditions justificatives de l’ingérence.

D’une part, considérant que la violation de l’article 8 de la Convention européenne était encourue pour d’autres motifs, la Cour évite le débat portant sur le point de savoir si l’ingérence était « prévue par la loi » (§ 38-41).

D’autre part, elle juge, de manière lapidaire, que l’ingérence « poursuivait les buts légitimes de prévention des infractions pénales et de défense de l’ordre » (§ 42).

2. L’interception de la correspondance entre l’avocat et ses clients n’était pas nécessaire pour prévenir une infraction pénale.

La recherche de la nécessité de l’ingérence au sens de l’article 8 de la Convention européenne conduit la Cour à déterminer s’il existait un besoin social impérieux et à mettre en œuvre un contrôle de proportionnalité de l’ingérence par rapport au but légitime poursuivi.

2.1. Les courriers échangés entre un avocat et son client privé de liberté jouissent d’un « statut privilégié ».

La CEDH raisonne de manière très pragmatique en l’espèce. Elle part du fait que les personnes auxquelles le papier a été remis par leur avocat étaient privées de liberté et sous contrôle policier au moment de l’ingérence.

Or sa jurisprudence a constamment rappelé que si un certain contrôle de la correspondance des détenus pouvait être mis en œuvre sans heurter frontalement la Convention (CEDH 25 mars 1992, Campbell c. Royaume-Uni, § 45, série A, n° 233, n° 13590/88, AJDA 1992. 416, chron. J.-F. Flauss ), les échanges entre un avocat et son client détenu sont protégés par l’article 8 de la Convention européenne qui leur accorde un « statut privilégié » (§ 44).

Ainsi, il ne doit être procédé à l’ouverture de tels courriers que s’il existe « des motifs plausibles de penser qu’il y figure un élément illicite non révélé par les moyens normaux de détection ». En outre, ils ne peuvent être lus que « dans des cas exceptionnels, si les autorités ont lieu de croire à un abus du privilège en ce que le contenu de la lettre menace la sécurité de l’établissement ou d’autrui ou revêt un caractère délictueux d’une autre manière » (§ 44).

2.2. En l’espèce, il n’existait aucun motif plausible de penser qu’un élément illicite figurait dans la correspondance transmise par l’avocat à ses clients détenus.

Poursuivant dans son approche concrète de l’espèce, la Cour relève qu’aucune raison plausible de penser que la correspondance remise par l’avocat à ses clients comportait un élément illicite ne justifiait le contrôle des papiers remis par leur avocat à ses clients privés de liberté dès lors qu’ils ne suscitaient pas de soupçons particuliers et que la remise de la correspondance a été faite ostensiblement par l’avocat sans tenter de dissimuler son action au chef d’escorte (§ 47).

La CEDH ajoute que le contenu de la correspondance est indifférent en l’espèce et ne saurait être invoqué comme justification car le principe est que, « quelle qu’en soit la finalité, les correspondances entre un avocat et son client portent sur des sujets de nature confidentielle et privée » (§ 47).

La Cour conclut alors que l’interception et l’ouverture de la correspondance du requérant, en sa qualité d’avocat, avec ses clients ne répondaient à aucun besoin social impérieux et n’étaient donc pas « nécessaires dans une société démocratique », au sens de l’article 8, § 2, de la Convention européenne.

La protection du secret professionnel de l’avocat trouve également sa justification dans sa mission fondamentale dans une société démocratique.

Bien que les motifs de l’arrêt Laurent c. France ne le rappellent pas, c’est bien la mission de l’avocat dans une société démocratique qui fonde la protection de son secret professionnel et de ses correspondances.

1. L’article 8 de la Convention européenne protège le droit au respect de la correspondance et garantit le secret qui s’y attache notamment pour la profession d’avocat ainsi que les échanges entre les avocats et leurs clients. Cela tient au fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Un avocat ne peut remplir cette mission s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels. La relation de confiance entre eux, indispensable à l’accomplissement de cette mission, repose notamment sur la garantie de cette confidentialité. De cette relation et de cette confidentialité dépend nécessairement le respect du droit du justiciable à un procès équitable, notamment en ce qu’il comprend le droit de tout « accusé » de ne pas contribuer à sa propre incrimination (v. CEDH 6 déc. 2012, Michaud c. France, n° 12323/11, spéc. § 118, AJDA 2013. 165, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 284, et les obs. , note F. Defferrard ; ibid. 1647, obs. C. Mascala ; ibid. 2014. 169, obs. T. Wickers ; AJ pénal 2013. 160, obs. J. Lasserre Capdeville ; D. avocats 2013. 8, obs. L. Dargent ; ibid. 96, note W. Feugère ; RFDA 2013. 576, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; RSC 2013. 160, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2013. 664, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2015. 353, étude M. Mezaguer ).

Ces principes ont justifié les condamnations pour violation de l’article 8 de la Convention européenne prononcées dans des cas d’interception de communications et d’écoutes téléphoniques (v. CEDH 3 févr. 2015, Pruteanu c. Roumanie, n° 30181/05, D. 2015. 322, obs. A. Portmann ; 16 juin 2016, Versini-Campinchi et Crasnianski c. France, n° 49176/11, D. 2016. 1852 , note E. Raschel ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ), ainsi que dans des affaires de perquisitions et saisies effectuées au cabinet ou au domicile d’un avocat (v. CEDH 16 déc. 1992, Niemietz c. Allemagne, n° 13710/88, AJDA 1993. 105, chron. J.-F. Flauss ; D. 1993. 386 , obs. J.-F. Renucci ; RFDA 1993. 963, chron. V. Berger, C. Giakoumopoulos, H. Labayle et F. Sudre ; 27 sept. 2005, Petri Sallinen et al. c. Finlande, n° 50882/99 ; 24 juill. 2008, André c. France, n° 18603/03, D. 2008. 2353, et les obs. ; 2 avr. 2015, Vinci Construction et GTM Génie civil et Services c. France, n° 60567/10 et 63629/10).

2. La Cour de justice de l’Union européenne consacre elle aussi le principe de confidentialité des communications entre l’avocat et son client (CJCE 18 mai 1982, aff. 155/79, AM & S Europe Limited contre Commission des Communautés européennes) qui est un corollaire de l’exercice des droits de la défense et trouve son fondement dans le principe d’indépendance de l’avocat (CJUE 14 sept. 2010, aff. C–550/07, Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd c. Commission européenne).

3. Malheureusement, les avocats doivent, en l’état, se contenter de la protection conventionnelle du secret professionnel auquel ils sont soumis et qui ne trouve pas d’écho constitutionnel.

Le juge constitutionnel protège constitutionnellement le secret des correspondances sur le fondement des articles 2 (droit au respect de la vie privée) et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Cons. const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, D. 2004. 2756 , obs. B. de Lamy ; ibid. 956, chron. M. Dobkine ; ibid. 1387, chron. J.-E. Schoettl ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RSC 2004. 725, obs. C. Lazerges ; ibid. 2005. 122, étude V. Bück ; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri ; 9 oct. 2014, n° 2014-420/421 QPC, D. 2014. 2278 , note A. Botton ; AJ pénal 2014. 574, note J.-B. Perrier ). Il a ainsi plusieurs fois rattaché le secret professionnel en matière médicale au droit au respect de la vie privée (21 déc. 1999, n° 99-422 DC, Rec. p. 143 ; AJDA 2000. 48 , note J.-E. Schoettl ; D. 2000. 426 , obs. D. Ribes ; RFDA 2000. 289, note B. Mathieu ; 12 août 2004, n° 2004-504 DC, Rec. p. 153).

Cependant, il a toujours refusé valeur constitutionnelle au secret professionnel qui s’impose aux avocats. La décision symbolisant ce refus est celle du 24 juillet 2015, French Data Network (Cons. const. 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, AJDA 2015. 1514 ; D. 2015. 1647, et les obs. ; ibid. 2016. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ) dans laquelle il a jugé qu’aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats dont bénéficieraient les avocats (v. aussi Cons. const. 7 avr. 2017, n° 2017-623 QPC, D. 2017. 824 ).

On mesure le chemin qu’il reste à parcourir au Conseil constitutionnel pour consacrer le droit constitutionnel du public au secret professionnel qui s’impose à l’avocat ou qui s’attache à son activité et à ses communications, quelle que soit leur forme.

Il faut pourtant continuer à solliciter le Conseil constitutionnel sur cette question car, au regard de la jurisprudence constitutionnelle développée sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, on peut considérer que le secret des correspondances garanti au titre de cet article 2 couvre, d’une part, les courriers échangés entre des avocats ainsi qu’avec leurs clients et, d’autre part, éventuellement d’autres documents entrant dans le champ de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.