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Interception de télécommunication : obligation pour le JLD d’en préciser la durée

La mention de la durée pour laquelle l’interception de télécommunication est autorisée au visa de l’article 706-95 du code de procédure pénale constitue une garantie essentielle contre le risque d’une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée : son absence porte nécessairement atteinte aux intérêts des personnes concernées.

par Hugues Diazle 30 janvier 2018

Dans le cadre d’une procédure de flagrance, les enquêteurs parvenaient à identifier, grâce à l’exploitation d’un système de vidéo-protection, un véhicule potentiellement impliqué dans la commission de plusieurs vols aggravés. Ce véhicule, signalé par les services d’enquête, faisait l’objet d’un contrôle routier qui permettait l’identification d’un suspect dont les lignes téléphoniques étaient ultérieurement placées sous surveillance. Interpellé, puis mis en examen, le suspect déposait une requête en annulation de pièces de la procédure, puis il inscrivait un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction s’étant prononcée sur cette demande. Suivant examen immédiat, il reprenait devant la Cour de cassation les moyens de nullité qu’il avait soulevés devant la cour d’appel. Étaient notamment contestées : les conditions dans lesquelles les officiers de police judiciaire avaient pu accéder au système de vidéo-protection, les circonstances du contrôle routier ayant permis son identification, les modalités de rédaction d’un procès-verbal de perquisition, et enfin la régularité de plusieurs ordonnances d’autorisation et de prolongation d’interception de télécommunication.

La cassation partielle intervenait sur le quatrième et dernier moyen. Depuis une loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, les mesures d’interception de télécommunication ne sont plus uniquement réservées aux seules procédures d’instruction mais peuvent également être utilisées dans le cadre d’enquête préliminaire ou de flagrance portant sur une infraction relevant, comme ce fut le cas en l’espèce, de la criminalité organisée. L’article 706-95 du code de procédure pénale prévoit effectivement que, « si les nécessités de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 et 706-73-1 l’exigent, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance peut, à la requête du procureur de la République, autoriser l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques selon les modalités prévues par les articles 100, deuxième alinéa, 100-1 et 100-3 à 100-7, pour une durée maximum d’un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée. Ces opérations sont faites sous le contrôle du juge des libertés et de la détention » (C. pr. pén., art. 706-95, al. 1er). Une telle interception, réalisée après autorisation et sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD), ne peut donc être accordée que pour une durée maximum d’un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée : le point de départ de la mesure est fixé au jour de sa « mise en place effective » (Crim. 10 mai 2012, n° 11-87.328, Bull. crim. n° 116 ; Dalloz actualité, 7 juin 2012, obs. C. Girault ; AJ pénal 2016. 44, obs. L. Ascensi ; RTD eur. 2016. 374-35, obs. B. Thellier de Poncheville ).

Au terme d’une première branche de cassation, le demandeur affirmait que l’une des autorisations d’interception délivrées par le JLD était irrégulière, en ce qu’elle ne précisait pas la durée pour laquelle elle avait été accordée. La chambre de l’instruction avait considéré qu’il fallait déduire de cette absence de précision que l’autorisation avait été consentie pour la période maximale autorisée par la loi, à savoir un mois. La Cour de cassation censure les juges d’appel et approuve l’argumentation du demandeur : « la mention, dans la décision, de la durée pour laquelle la mesure est autorisée constitue une garantie essentielle contre le risque d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des personnes concernées, aux intérêts desquelles son absence porte nécessairement atteinte ».

Une seconde branche de cassation contestait, en la forme, une ordonnance distincte de prolongation d’interception : cette ordonnance portait reproduction d’un formulaire pré-imprimé à choix multiples au sein duquel la mention relative à l’autorisation n’avait pas été dûment complétée. Le demandeur en déduisait que l’ordonnance ne permettait pas d’établir clairement la volonté du JLD de prolonger, ou non, l’interception téléphonique. La Cour de cassation rejette le moyen en indiquant, comme l’avait fait avant elle la chambre de l’instruction, qu’elle était en mesure de s’assurer, « au vu de la teneur de l’ordonnance en cause, que le juge des libertés et de la détention [avait] prolongé pour une durée d’un mois l’autorisation précédemment accordée ». Cette branche de cassation a le mérite de mettre en exergue une précision fondamentale : aucune disposition légale n’impose expressément au JLD de motiver son ordonnance (Crim. 27 sept. 2011, n° 11-81.458, Bull. crim. n° 186 ; Dalloz actualité, 1er nov. 2011, obs. M. Léna , note T. Potaszkin ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2012. 43, obs. C. Girault ).

Les trois autres moyens de cassation articulés par le défendeur, mais rejetés par la chambre criminelle, méritent également une attention particulière.

En premier lieu, était contesté le contrôle routier ayant entraîné l’identification du suspect : ce contrôle, réalisé par un service d’enquête distinct, avait permis la collecte de diverses informations, dont notamment plusieurs numéros de téléphone intéressant potentiellement l’enquête en cours. Selon le demandeur, les policiers interpellateurs n’avaient pas procédé à un simple contrôle routier mais avaient profité de l’occasion pour contrôler son identité et recueillir des informations utiles à l’enquête menée par leurs collègues. Outre l’absence en procédure d’un procès-verbal de contrôle circonstancié, le demandeur protestait contre le recueil, selon lui abusif, d’éléments probatoires à l’occasion de cette mesure. La Cour de cassation rejette les griefs. Selon elle, « les informations transmises aux enquêteurs avaient été régulièrement recueillies à la suite d’un contrôle routier effectué en application des dispositions des articles L. 233-2 et R. 233-1 du code la route ». Une telle solution suscite néanmoins un certain nombre d’interrogations : n’y a-t-il pas là une contrariété avec le droit pour la personne poursuivie de garder le silence et de ne pas participer à sa propre incrimination (quand bien même, comme le relève la Cour, les éléments auraient été communiqués spontanément par le suspect) ? Est-il approprié de recueillir ainsi des éléments de preuve à l’occasion d’un contrôle routier auquel la loi ne fixe pourtant aucun objectif probatoire ? Le contrôle routier pouvait-il se substituer, dans les faits, à un contrôle d’identité ? L’absence de procès-verbal circonstancié ne préjudicie-t-elle pas à la discussion de la preuve ?

En deuxième lieu étaient discutées les conditions d’accès à un système municipal de vidéo-protection : en l’absence de toute précision au dossier, le demandeur soutenait qu’il n’était pas permis de déterminer les circonstances dans lesquelles les enquêteurs avaient pu annexer les images qui en avaient été extraites – étant précisé que seuls des fonctionnaires nommément désignés par arrêté préfectoral étaient limitativement autorisés à le consulter (CSI, art. L.252-1 s.). La chambre de l’instruction avait considéré que les officiers de police judiciaire disposaient d’un droit d’accès en vertu de leur devoir général « de veiller à la conservation des indices susceptibles de disparaître et de tout ce qui peut servir à la manifestation de la vérité » (C. pr. pén., art. 54, al. 2). Pour écarter le grief, la Cour de cassation en appelle à plus forte raison aux pouvoirs que tient l’officier de police judiciaire de l’article 60-1 du code de procédure pénale, lesquels ne sauraient être mis en échec par les dispositions du code de la sécurité intérieure et des arrêtés préfectoraux pris pour son application. Pour mémoire, cet article énonce que « le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l’enquête, y compris celles issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel » (C. pr. pén., art. 60-1).

En troisième et dernier lieu, le demandeur, qui constatait que le procès-verbal de perquisition ayant suivi son interpellation n’avait pas été établi « sur-le-champ » (C. pr. pén., art. 66) mais plusieurs heures après la réalisation effective de la mesure, en demandait, de ce fait, l’annulation. La Cour de cassation rejette le moyen : d’une part, la rédaction immédiate du procès-verbal n’est pas prévue à peine de nullité, d’autre part, la rédaction différée n’a pas affecté la régularité du procès-verbal ni même porté atteinte aux droits du suspect – lequel avait d’ailleurs assisté à la mesure, puis signé le procès-verbal sans formuler la moindre observation.