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Interdiction de la GPA : quand l’inertie judiciaire tourne à l’imbroglio juridique

L’affaire pour le moins rocambolesque soumise à la cour d’appel de Rouen et jugée le 31 mai 2018 illustre à quel genre d’imbroglio juridique inextricable peut conduire le recours à la gestation pour autrui (GPA) sur fond d’inertie judiciaire. 

par Aude Mirkovicle 13 juillet 2018

Courant 2012, deux hommes pascés entrent en contact par internet avec une femme avec laquelle ils conviennent qu’elle porterait et leur remettrait l’enfant qu’elle concevrait à l’aide du sperme de l’un ou de l’autre, en échange de la somme de 15 000 €.

En cours de grossesse, la femme décide de ne plus leur confier l’enfant à naître « en raison de leur mode de vie et de leur activité de voyant ou de magnétiseur ». Elle établit un contact par internet avec un couple stérile, les époux R…, s’étant vu refuser l’agrément en vue de l’adoption, et convient avec eux que l’homme reconnaîtra l’enfant qu’elle porte et qu’elle le leur confiera dès sa naissance, à nouveau moyennant une rémunération de 15 000 €, sans leur parler de l’insémination artisanale à l’origine de sa grossesse et du couple d’hommes concerné.

À la naissance, le 8 mars 2013, la mère prétend au père biologique et à son ami que l’enfant est décédé tandis que l’enfant, reconnu par l’homme du second couple, est accueilli par ce dernier et son épouse dès sa sortie de la maternité.

À la suite d’une plainte déposée par le père biologique, le tribunal correctionnel de Blois condamne la mère à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis pour escroquerie et fraude aux prestations sociales. Le tribunal correctionnel condamne également le couple d’hommes ainsi que les époux R… à une peine de 2 000 € d’amende avec sursis pour provocation à l’abandon d’enfant né ou à naître. Dans le cadre de ce procès pénal, la paternité du père biologique est établie de façon certaine. Précisons qu’un autre enfant ayant subi les mêmes tractations, ainsi que deux autres couples ayant contracté avec la mère exactement dans les mêmes conditions étaient également concernés par ce procès pénal, pour la même issue.

Le 19 juillet 2013, le père biologique assigne le père légal, monsieur R…, en contestation de sa reconnaissance de paternité, aux fins de faire établir sa propre paternité sur l’enfant.

Par jugement du 23 mars 2017, le tribunal de grande instance de Dieppe accueille l’action du père biologique et le déclare père de l’enfant qui portera désormais son nom. Il lui attribue l’autorité parentale exclusive, fixe la résidence du mineur chez lui à compter du 9 décembre 2017 en précisant que, jusqu’à cette date, la résidence de l’enfant demeurera chez les époux R… avec lesquels il réside, en accordant au père biologique un droit de visite et d’hébergement progressif, le tout assorti de l’exécution provisoire.

Monsieur R… fait appel de ce jugement en arguant que le père biologique ne peut se référer à un contrat de gestation pour autrui, tout à fait illicite, pour fonder sa demande. Il invoque l’intérêt supérieur de l’enfant et le choc qui résulterait pour lui d’être séparé de ceux qu’il considère comme ses parents.

Le père biologique, au contraire, estime que la gestation pour autrui n’est pas l’objet du débat et fonde lui aussi son action sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui a le droit de connaître ses origines, de disposer d’un état civil conforme à celles-ci et de vivre avec sa vraie famille, sa famille biologique.

La cour d’appel se trouve dans une situation fort délicate car aucune des options envisageables n’est réellement satisfaisante au regard de l’intérêt de l’enfant. En effet, chacun des protagonistes qui se réclament de l’intérêt de l’enfant s’est rendu coupable de faits graves en contradiction directe avec cet intérêt. Ainsi, la cour a le choix entre faire prévaloir la paternité biologique d’un homme qui a programmé la conception de l’enfant pour le séparer de sa mère moyennant finance, une telle option supposant de séparer l’enfant du couple qui l’élève depuis sa naissance et qu’il considère comme ses parents, ou laisser l’enfant chez ces époux qui ne sont pas ses parents biologiques et l’ont obtenu eux aussi moyennant finance.

La cour d’appel n’hésite pourtant pas à trancher : elle infirme le jugement et déclare irrecevables les demandes du père biologique. Elle maintient par conséquent la reconnaissance souscrite par l’homme qui élève l’enfant, reconnaissance que seul le ministère public pourrait désormais contester, étant précisé que ce dernier a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de le faire en l’état.

Pour déclarer irrecevables les demandes du père biologique, la cour rappelle la prohibition légale de la gestation pour autrui et son caractère d’ordre public. Ces règles, qui figurent au chapitre II du code civil intitulé « du respect du corps humain », doivent être selon elle appliquées « de façon rigoureuse, s’agissant des principes fondateurs du droit civil ». La prohibition de la gestation pour autrui relève en effet d’un chapitre au frontispice duquel « l’article 16 rappelle de façon préliminaire que la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ».

Elle rappelle encore que « les juridictions doivent tenir compte de façon prioritaire de l’intérêt de l’enfant », au regard notamment de l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant qui énonce que, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, […] l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

La cour concède que l’action du requérant « repose bien sur le fait qu’il est le père biologique de cet enfant » mais, dès lors que « cette filiation biologique repose elle-même sur "l’insémination artisanale" […] qui a suivi la convention de gestation pour autrui déjà évoquée, passée, contre finances, entre la mère, son ami et lui-même », elle conclut que « les demandes présentées par [le père biologique] ne peuvent qu’être déclarées irrecevables comme reposant sur un contrat de gestation pour autrui prohibé par la loi, interdiction d’ordre public ».

Il est acquis que la filiation ne se réduit pas à la vérité biologique et peut être établie en marge du lien biologique. La loi n’exige pas la vérité biologique et, notamment, n’accompagne pas la reconnaissance d’un test de paternité. Elle exige seulement la vraissemblance de la filiation (C. civ., art. 320, 336, 336-1).

En revanche, en cas de contentieux, la vérité biologique a le dernier mot et le contentieux se règle sur la preuve que l’homme en question est ou n’est pas le père, dit sobrement la loi (C. civ., art. 332), le père s’entendant du géniteur, dit père biologique. Pour autant, le lien biologique ne donne pas de droit définitif d’obtenir l’établissement du lien juridique, notamment lorsque ce lien a été obtenu comme en l’espèce au moyen d’une convention de gestation pour autrui prohibée et rémunérée. Et la cour d’expliquer que la vérité biologique invoquée au nom de l’intérêt de l’enfant « n’apparaît pas une raison suffisante […] en l’état de la loi et au regard de la situation du petit Simon dont l’intérêt supérieur, au regard de son histoire, n’est pas obligatoirement de voir modifier sa filiation actuelle pour être le fils de son père biologique, alors que sa vie présente, chez les époux R… qui l’élèvent depuis sa naissance dans d’apparentes excellentes conditions, semble conforme à son intérêt […] et même si la façon dont [monsieur R…] a pu devenir le père de Simon, par une fraude à la loi sur l’adoption, n’est pas approuvée ».

Cette appréciation est conforme à celle du ministère public pour lequel, également, la vérité biologique ne permet pas « de passer au-dessus de la loi dans les cas où sa transgression contrevient à des principes fondamentaux comme celui de la prohibition de la "marchandisation” de la procréation et de la filiation ». Si la cour d’appel n’évoque pas la jurisprudence de la Cour de cassation qui a admis la transcription sur les registres français d’état civil de la mention paternelle de la filiation dès lors qu’elle correspond à la réalité biologique, le ministère public explique pourquoi cette jurisprudence n’est pas transposable ici : « si la Cour de cassation, par deux arrêts du 3 juillet 2015, a admis l’établissement de la paternité à l’égard d’enfants nés à la suite d’une convention de gestation pour autrui, c’était dans des circonstances différentes, ces conventions ayant été passées à l’étranger dans des pays ne prohibant pas une telle pratique ».

Si la mise à l’écart du lien biologique peut malgré tout laisser perplexe, il convient de faire état d’une option évoquée à titre subsidiaire par le mandataire ad hoc désigné en appel pour l’enfant : ce dernier demandait à la cour de déclarer le père biologique irrecevable mais, subsidiairement, et pour le cas où la paternité de ce dernier serait reconnue, il suggérait alors que soit ordonnée la déchéance de l’autorité parentale sur l’enfant.

Finalement, si la solution retenue par la cour d’appel peut apparaître comme la moins mauvaise parmi les options possibles, il convient de relever dans cette affaire l’inertie coupable du ministère public qui a suscité cette situation inextricable : comment ne pas s’étonner que, dès que les faits ont été dénoncés à la justice à la naissance de l’enfant, ce dernier n’ait pas immédiatement été placé en famille d’accueil en attendant une solution au fond ? Comment se fait-il que l’enfant, qui n’avait déjà pas été représenté à la procédure pénale alors qu’il est la seule vraie victime, ne se soit vu désigner un mandataire ad hoc dans le procès civil qu’en appel ? Et que dire de la condamnation de la mère pour escroquerie, comme si le fait de vendre et d’acheter des enfants ne méritait aucune poursuite, la justice se souciant uniquement de la tentative d’escroquerie ?

Au bout de cinq ans passés avec les époux R…, on voit mal comment les juges pourraient éloigner l’enfant du seul foyer qu’il connaît et dans lequel il est épanoui. Il faut en outre reconnaître que, contrairement au père biologique qui a suscité délibérément la conception de l’enfant par GPA, le second couple n’a pas provoqué la situation mais a « seulement » convenu avec une femme, désireuse de confier son enfant à l’adoption mais soucieuse de lui choisir un foyer aimant, de contourner la procédure d’adoption, « la mère leur ayant indiqué qu’elle avait l’intention d’abandonner son enfant à la demande de son mari, atteint d’un grave cancer, alors qu’ils avaient déjà quatre enfants ». On ne peut que suivre l’auteur de la reconnaissance, monsieur R…, qui demande « à ce que la différence soit faite entre l’attitude [du père biologique] qui a sciemment passé un contrat de mère porteuse et lui-même qui a accepté l’offre de recueillir un enfant déjà conçu dont la mère lui affirmait mensongèrement qu’elle ne pouvait le garder en raison de la maladie du père ». Il n’en reste pas moins que cet homme et son épouse ont, ni plus ni moins, acheté l’enfant : la morale de cette histoire est finalement que, pour entériner un achat d’enfant, il suffit de faire traîner les procédures de manière à ce qu’il ne soit plus possible, humainement, de séparer l’enfant de ceux qui sont sans doute des parents aimants mais sont à l’origine des acheteurs.

À contre-courant de l’inertie regrettable des procureurs en l’espèce, on rappellera l’affaire italienne jugée par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme l’année dernière (CEDH 24 janv. 2017, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c. Italie, Dalloz actualité, 10 févr. 2017 , note L. de Saint-Pern ; ibid. 663, chron. F. Chénedé ; ibid. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2017. 301, obs. C. Clavin ; ibid. 93, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2017. 426, note T. Kouteeva-Vathelot ; RTD civ. 2017. 335, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 367, obs. J. Hauser ). Dans cette affaire, le gouvernement italien avait retiré à un couple d’Italiens un enfant obtenu par GPA en Russie pour le placer dans une famille d’accueil en vue de son adoption (l’affaire révélera que l’enfant n’avait en réalité aucun lien biologique avec le couple), et la Cour européenne a estimé que cette mesure, pour le moins radicale, ne méconnaissait pas les droits des intéressés. S’il suffisait en effet de s’occuper d’un enfant pour développer avec lui une vie familiale protégée par la Convention européenne des droits de l’homme, abstraction faite de la manière dont l’enfant a été obtenu, il y aurait là le moyen de régulariser toutes formes de trafics d’enfants.

Pour revenir à notre affaire française, il serait sans doute inhumain de séparer, après cinq ans d’attentisme, l’enfant de la famille qui l’élève. Mais est-ce vraiment le propre d’une société humaine que de tolérer que des acheteurs d’enfant puissent finalement parvenir à leurs fins ?

La cour d’appel, avec prudence, annonce qu’il semble aussi conforme à l’intérêt de l’enfant « qu’il apprenne, le moment venu, la vérité sur ses origines et que soient envisagés d’éventuels contacts avec [le père biologique] ». On imagine le séisme psychologique vécu par l’enfant lorsqu’il apprendra la vérité sur son histoire, et on ne peut que déplorer un immense gâchis qu’une justice plus diligente eût pu, sinon éviter totalement, au moins limiter sérieusement en intervenant dans l’intérêt de l’enfant dès sa naissance au lieu d’attendre qu’une situation quasi irréversible se soit constituée.