Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Invincible erreur de droit

La réponse de l’administration fiscale ne portant pas sur l’objet de la demande formée par l’expert-comptable engagé par deux cogérantes ne permet pas de retenir l’erreur de droit à leur profit alors qu’elles étaient, dès le début de l’activité de la société, redevables de leurs obligations fiscales.

par Méryl Recotilletle 28 mai 2018

L’erreur de droit est une cause d’irresponsabilité pénale prévue à l’article 122-3 du code pénal, cependant sa consécration législative s’est accompagnée par la suite d’un encadrement jurisprudentiel très rigoureux. À ce propos, le professeur Jean Pradel expose que « notre droit n’admet que sur la pointe des pieds l’erreur comme cause d’irresponsabilité » (J. Pradel, Droit pénal général, 21e éd., Cujas, 2016, p. 450, n° 541). Les occasions où la Cour de cassation a reconnu l’existence d’une erreur de droit sont effectivement peu nombreuses (Crim. 24 nov. 1998, n° 97-85.378, D. 2000. 114 ; Dr. soc. 1999. 520, obs. G. Giudicelli-Delage ; ibid. 1999. II. 10208, note M.-A. Houtmann ; Dr. pénal 2000. 22, obs. J.-H. Robert ; JCP 2000. I. 235, n° 2, obs. M. Véron ; 11 mai 2006, n° 05-87.099, Bull. crim. n° 128 ; AJ pénal 2006. 358, obs. J. Leblois-Happe ; RSC 2007. 73, obs. E. Fortis ; JCP 2006. II. 10207, note Fardoux ; Dr. pénal 2006. 109, obs. M. Véron). La jurisprudence de la chambre criminelle fait davantage état d’une interprétation stricte, voire restrictive, des conditions posées par l’article 122-3 du code pénal de sorte qu’il est difficile, voire impossible, d’invoquer le bénéfice de l’erreur de droit. Une énième illustration de la sévérité des juges de la Cour de cassation lors de l’examen des conditions d’existence d’une erreur de droit nous est donnée par un arrêt du 3 mars 2018.

En l’espèce, deux cogérantes organisaient, par l’intermédiaire d’une société, des soirées loto à destination d’associations. Les loteries sont en principe interdites, sauf à relever du cadre dérogatoire prévu par l’article L. 322-4 du code de la sécurité intérieure, selon lequel la loterie doit être organisée dans un cercle restreint et uniquement dans un but bien spécifique (social, culturel, scientifique, éducatif, sportif ou d’animation sociale) et se caractérise par des mises de faible valeur, inférieures à 20 €. À défaut, ces loteries sont soumises à l’impôt sur les spectacles tel que le prévoient les articles 1559 et suivants du code général des impôts (R.F., À la Une - Manifestations - Loteries : nul n’est censé ignorer la loi, JA 2014, n° 504, p. 11). Tout manquement à cet assujettissement est sévèrement réprimé. Ainsi, il est préférable de faire tout son possible pour éviter de se méprendre sur la législation en vigueur au risque de ne pas pouvoir se prévaloir d’une erreur de droit comme l’illustrent les faits de l’arrêt du 3 mai 2018 (rappr. Crim. 25 juin 2014, nos 13-85.506, 13-85.507, 13-83.940, 13-81.394 et 13-83.94, JA 2014, n° 504, p. 11, obs. R.F.). Étant donné que les cogérantes informaient les personnes concernées par la presse régionale, le caractère restreint exigé par la loi disparaissait. Dès lors, la société organisait une activité de jeux prohibée et devait donc être considérée comme une maison de jeux mais puisqu’elle ne s’était pas considérée comme telle, la société n’a pas respecté les règles matérielles d’établissement de compte et de déclaration mensuelle en cette qualité. Les prévenues ont par conséquent été poursuivies des chefs d’infraction d’ouverture d’une maison de jeux sans déclaration et de défaut de comptabilité. Les juges du premier et du second degré ont prononcé la relaxe aux motifs que les précautions prises par les cogérantes démontraient l’absence de tout caractère de dissimulation de sorte que l’élément intentionnel faisait défaut. La doctrine a déjà fait remarquer que les juridictions du fond étaient moins réticentes à admettre l’erreur de droit (v. en ce sens J-CI. pén. fasc. 20, n° 2, v° Erreur sur le droit, par G. Barbier, n° 4). Insatisfaite de cette décision, l’administration des douanes a formé un pourvoi en cassation, arguant que « le recours à un conseil extérieur et la réponse d’une administration sur un autre point, et dont le caractère de rescrit est par ailleurs douteux, ne permettaient pas d’établir l’erreur de droit inévitable ». Dans ces conditions, la Cour de cassation devait se demander si l’erreur de droit aurait pu être évitée par les cogérantes ? Après avoir examiné les deux séries de conditions, objectives d’une part et subjectives d’autre part (v. not. Rép. pén., v° Erreur sur le droit, par D. Viriot-Barrial, nos 9 s.), permettant de déterminer l’existence d’une erreur de droit que le justiciable ne pouvait vaincre, la Cour de cassation a accueilli favorablement le pourvoi et infirmé l’arrêt de la cour d’appel car les motifs de cette dernière n’ont pas suffi à « caractériser une erreur sur le droit que les prévenues ne pouvaient éviter quant à la légalité de leur activité, ajoutant que celles-ci étaient, dès le début de l’activité de la société, redevables de leurs obligations fiscales en matière de contributions indirectes ».

Les conditions objectives indiquent que pour invoquer l’erreur de droit, il est nécessaire que la connaissance erronée ait été fondée sur une information inexacte fournie par une autorité compétente préalablement à l’acte. Le citoyen doit donc tout faire afin d’obtenir des informations concernant l’existence ou l’interprétation de la règle applicable auprès d’une source qui doit être compétente (v. Rép. pén., ibid., n° 30). La source de l’information était-elle en l’espèce compétente ? Les prévenues ont employé un expert-comptable, qui est une personne privée, et donc n’est pas reconnu par la jurisprudence comme étant une autorité compétente contrairement à l’administration (Crim. 11 oct. 1995, n° 94-83.735, Bull. crim. n° 301 ; D. 1996. 469 , note M. Muller ; RSC 1996. 646, obs. B. Bouloc ; ibid. 1997. 827, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 1996. Comm. 56-I, obs. M. Véron ; JCP 1996. I. 3950 ; 7 janv. 2004, n° 03-82.337, Bull. crim. n° 5 ; D. 2004. 419 , obs. A. Lienhard ; AJ fam. 2004. 102, obs. F. Bicheron ; AJ pénal 2004. 114, obs. F. Bicheron ; RSC 2004. 635, obs. E. Fortis ; JCP 2004. II. 10060, note C. Pomart ; Dr. pénal 2004. 49, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 2004. 2. Somm. 3307, obs. Y. Monnet). Néanmoins, ce dernier a pris soin de contacter l’administration fiscale qui, elle, est une autorité compétente au sens de la circulaire du 14 mai 1993 présentant les dispositions du nouveau code pénal et de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à son entrée en vigueur.

L’administration a répondu par un rescrit, or un tel support semblait poser une difficulté comme l’ont soulevé les juridictions du fond et le demandeur. Afin de sécuriser une opération fiscale ou de se conforter dans l’analyse d’une situation, il est possible de prendre l’initiative d’interroger l’administration fiscale (B. Guillaume, Le rescrit fiscal à la loupe, JA 2014, n° 496, p. 20 ; Le rescrit fiscal au peigne fin, JA 2017, n° 560, p. 24 ; v. égal. Rép. com., v° Contrôle fiscal, par E. Cruvelier). Toutefois, la réponse de l’administration fiscale est opposable uniquement si le contribuable est de bonne foi, et s’il a une situation identique à celle sur laquelle l’administration a pris position (B. Guillaume, Fiscal - Rescrit fiscal - Entre confiance et défiance…, JA 2011, n° 439, p. 39). Dans l’arrêt soumis à commentaire, les juridictions du fond ont mis en avant que « la nature opposable du courrier en tant que rescrit et son opposabilité à l’administration des douanes pouvait faire débat ». Le pourvoi soulignait lui aussi le caractère douteux du rescrit. Il semblerait donc que l’information reposait sur un support inopposable à l’administration des douanes, toutefois la Cour de cassation ne s’est pas étendue sur la question.

Une information a donc bel et bien été donnée par une autorité compétente mais était-elle erronée ? En l’espèce, l’information ne pouvait pas véritablement être considérée comme inexacte car l’administration fiscale a répondu sur un autre point que celui qui faisait l’objet de la question. Or, pour retenir l’erreur de droit, la jurisprudence estime que l’information délivrée doit avoir eu une influence sur la réalisation de l’infraction (par ex., tel n’est pas le cas de la décision administrative qui ne traite pas du même objet, v. Crim. 5 août 1997, n° 96-81.135 ; 5 sept. 2007, n° 07-81.029). Puisque l’administration a répondu « à côté » et n’a pas formulé de remarque particulière, les prévenues auraient manifestement dû mieux s’informer, de sorte que l’erreur n’était pas inévitable.

Les juges ont finalement apprécié les conditions dites subjectives, à savoir le caractère inévitable de l’erreur par rapport aux qualités du prévenu et une croyance absolue dans la légitimité de l’acte. La jurisprudence se montre assez sévère lorsque la personne qui invoque l’erreur sur le droit est un professionnel (par ex., un professionnel qui invoquait sa méconnaissance des textes applicables a été condamné du chef d’exportation de capitaux sans déclaration préalable, v. Crim. 7 nov. 1996, n° 96-80.403, Bull. crim. n° 398 ; RSC 1997. 633, obs. B. Bouloc ; RTD com. 1997. 522, obs. B. Bouloc ; Gaz. Pal. 1997, 1, p. 71). En l’espèce, la chambre criminelle a mis en avant que « les cogérantes étaient, dès le début de l’activité de la société, redevables de leurs obligations fiscales en matière de contributions indirectes ». Autrement dit, en leur qualité de gérantes d’une société, les prévenues étaient, quoi qu’il en soit, obligées de se soumettre au paiement de l’impôt, d’autant qu’elles avaient embauché un expert-comptable.