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Irrecevabilité et déclaration de saisine

Les irrégularités des mentions de la déclaration de saisine qui affectent le contenu de l’acte, et non le mode de saisine, ne peuvent entraîner l’irrecevabilité du recours. Mais si la déclaration de saisine est jugée irrecevable, la partie n’est plus recevable à régulariser une seconde déclaration de saisine.

par Romain Lafflyle 21 novembre 2017

Par deux arrêts rendus le même jour et destinés à la publication, la deuxième chambre civile livre une interprétation, au sujet de la déclaration de saisine sur renvoi après cassation, dans un cas emprunte de classicisme (1°), et dans l’autre véritablement déroutante (2°).

1°) La cour d’appel de Nancy, sur renvoi après cassation, juge ainsi irrecevable une « déclaration d’appel valant déclaration de saisine » régularisée devant elle par une société et visant « à faire réformer ou annuler par la cour d’appel la décision entreprise ». La cour de renvoi ajoute encore « que ce défaut de saisine régulière ne constitue pas une exception de procédure mais une fin de non-recevoir susceptible d’être présentée en tout état de cause sans que celui qui l’invoque ait à justifier d’un grief ».

La deuxième chambre civile, cassant et annulant en toutes ses dispositions cet arrêt, considère que la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce recours dès lors qu’elle avait été saisie par un acte qualifié « de déclaration de saisine de la cour de Nancy sur renvoi après cassation » et, par un second attendu, « qu’affectant le contenu de l’acte de saisine de la juridiction et non le mode de saisine de celle-ci, l’irrégularité des mentions de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation ne constitue pas une cause d’irrecevabilité de celle-ci, mais relève des nullités pour vice de forme ».

Le rappel de la Haute juridiction est ici logique et bienvenu tant la cour de renvoi avait confondu les sanctions de nullité et d’irrecevabilité. D’une part, si la déclaration de saisine avait été improprement qualifiée de déclaration d’appel valant déclarant de saisine, c’était bien une déclaration de saisine et non une déclaration d’appel qui avait été formée devant la cour de renvoi, c’est-à-dire selon les exigences de l’article 1033 du code de procédure civile – inchangé depuis l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017 – qui précise que « la déclaration contient les mentions exigées pour l’acte introductif d’instance devant cette juridiction ; une copie de l’arrêt de cassation y est annexée ». En toute hypothèse, il ne pouvait s’agir que d’une exception de nullité de forme devant causer grief conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation qui rappelle, invariablement depuis plus de dix ans, que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d’un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l’article 117 du nouveau code de procédure civile (Cass., ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026, D. 2006. 1984, obs. E. Pahlawan-Sentilhes ; RTD civ. 2006. 820, obs. R. Perrot ). Et dès lors qu’il ne s’agissait ni d’un défaut de pouvoir, ni d’un défaut de capacité tels que visés à l’article 117, la nullité encourue était subordonnée à la preuve d’un grief et ne pouvait consister ni en une nullité de fond, ni en une irrecevabilité. En effet, c’était le contenu de l’acte qui était discuté et non le recours lui-même, qui consistait bien en une déclaration de saisine en dépit d’une erreur d’intitulé de sorte que la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la saisine de la cour de renvoi ne pouvait prospérer. Cela ne signifie bien évidement pas que la partie qui exerce le recours peut se désintéresser de la manière dont elle l’exerce car c’est à ce moment-là que l’irrecevabilité surgit. C’est ainsi qu’un recours formé par lettre remise au secrétariat-greffe et non au greffier en chef est irrecevable (Civ. 1re, 29 juin 2016, n° 15-19.589, D. 2017. 74, obs. T. Wickers ) et que la déclaration d’appel adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au lieu et place d’un appel par voie électronique est irrecevable. Et inversement, la requête en récusation formalisée par voie électronique sans qu’un arrêté technique le prévoie est irrecevable (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 17-01.695, Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kebir isset(node/186054) ? node/186054 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186054). L’irrecevabilité qui affecte la voie de recours stricto sensu n’est donc pas le vice de procédure qui affecte le contenu de l’acte et n’a d’ailleurs aucun effet interruptif, à la différence de la nullité, sur la prescription ou la forclusion (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-15.568 et n° 16-14.300, Dalloz actualité, 28 juin 2017, obs. R. Laffly isset(node/185585) ? node/185585 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>185585). Voilà pour la solution classique du premier arrêt.

2°) Quant au second arrêt rendu le même jour, également publié, l’orthodoxie juridique n’est plus de mise. Alors que les demandeurs au pourvoi, qui avaient vu juger leur première déclaration de saisine irrecevable, reprochaient à la Cour de renvoi, en suite de la formalisation d’une seconde déclaration de saisine, d’avoir fait fi des irrégularités alléguées affectant la signification de l’arrêt de cassation, la Cour de cassation opérant par substitution de motif, juge que « l’irrecevabilité de la déclaration de saisine confère force de chose jugée au jugement de première instance, lorsque la décision cassée a été prononcée sur appel de ce jugement, rendant irrecevable toute nouvelle déclaration de saisine tendant à déférer à la cour d’appel la connaissance de ce jugement ».

Cet attendu, qui résonne comme un attendu de principe, est pour le moins surprenant tant la Cour de cassation n’a cessé de rappeler que l’irrecevabilité prononcée ne pouvait interdire l’exercice d’une autre voie de recours, même identique à la première, puisque la demande n’avait, par définition, pas été jugée. Alors certes la question de la chose jugée est une des plus complexes qui soient (V. sur ce point les divergences qui ont prévalues entre les différentes chambres de la Cour de cassation, depuis l’arrêt Cesareo du 7 juillet 2006, sur l’obligation de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits) mais l’Assemblée plénière elle-même enseigne que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a été tranché dans le dispositif (Cass., ass. plén., 13 mars 2009, n° 08-16.033, D. 2009. 879, et les obs. ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; RDI 2009. 429, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2009. 366, obs. R. Perrot ) et qu’elle ne porte pas, précisément, sur les prétentions qui n’ont pas été jugées. C’est l’autorité de la chose jugée, non pas l’autorité de la chose qui n’a pas été jugée. Or, en jugeant irrecevable le recours, la demande n’est pas même examinée. Cette position est d’autant plus étonnante que la deuxième chambre de la cour de cassation avait depuis longtemps une conception souple de la chose jugée considérant la première au regard de l’article 1351 du code civil, puis dans son sillage les autres chambres, que dès lors que les demandes n’avaient pas le même objet (dol et réduction du prix par exemple) un nouveau recours était toujours possible s’il était bien sûr intenté dans le délai. Il faut une identité d’objet des demandes successives pour que la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée puisse être retenue. Ainsi, le chef d’un arrêt qui déclare irrecevable une demande comme nouvelle en cause d’appel ne bénéficie pas de l’autorité de la chose jugée de sorte qu’une nouvelle instance peut être introduite (Civ. 2e, 9 juill. 2009, n° 08-17.600 P ; 2 déc. 2010, n° 09-68.295, Dalloz actualité, 10 janv. 2011, obs. C. Tahri isset(node/138835) ? node/138835 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>138835). Cette position, totalement nouvelle, qui est affirmée pour la déclaration de saisine n’a pas même de fondement légal à la différence de l’article 911-1 nouveau qui dispose désormais que la partie dont la déclaration d’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie. C’est très discutable juridiquement, mais, à compter du 1er septembre 2017, il existe au moins un texte. On sait bien que la tendance actuelle de la Cour de cassation vise à limiter l’accès au juge, et particulièrement au juge d’appel et l’on pourrait estimer que cette prise de position s’explique, dans le présent arrêt, par le fait que le plaideur vienne saisir à nouveau la même juridiction ou bien que l’irrecevabilité affecte non pas la demande mais le recours en tant que tel, mais comment expliquer alors qu’un mois auparavant, la deuxième chambre civile jugeait, dans un arrêt également publié, que l’autorité de la chose jugée de la décision qui déclare irrecevable un appel à défaut de dépôt d’une requête pour procéder à jour fixe ne fait pas obstacle à un nouvel appel en se conformant à ce formalisme (Civ. 2e, 7 sept. 2017, n° 16-16.847, Dalloz actualité, 26 sept. 2017, obs. F. Mélin isset(node/186512) ? node/186512 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186512). Interprétation à géométrie variable des principes juridiques, sanctions sans texte, jurisprudence contradictoire, qu’il est difficile pour l’avocat de conseiller et de prévoir l’avenir juridique de son client !