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Article
Irresponsabilité pénale des élus : explication d’un débat confus
Irresponsabilité pénale des élus : explication d’un débat confus
Sensible à sa base électorale, le Sénat a introduit un amendement sur l’irresponsabilité pénale des élus dans le projet de loi de prorogation de l’état d’urgence. Depuis, ce sujet complexe a enflammé les débats.Au final, l’Assemblée puis la commission mixte paritaire ont fortement amoindri le dispositif. Le Parlement est également revenu sur les prolongations automatiques des détentions provisoires.
par Pierre Januelle 8 mai 2020
Article mis à jour le 9 mai
Cet amendement vise à répondre à l’angoisse des élus locaux et des chefs d’entreprise, contraints de déconfiner, mais qui craignent de devoir rendre des comptes judiciaires en cas d’infection. Même si la législation est plutôt protectrice pour les élus locaux, une mise en examen peut être traumatisante, les maires ne bénéficiant pas du filtre de la Cour de justice de la République
Le Sénat a donc saisi l’occasion du projet de loi de prorogation, étudié en urgence, pour imposer un amendement et en a fait une ligne rouge : si le gouvernement souhaitait une étude rapide du texte, il devait transiger.
Un amendement de Philippe Bas pour protéger les maires
L’irresponsabilité pénale sur les fautes intentionnelle des décideurs est encadrée, depuis vingt ans, par la loi Fauchon, codifiée à l’article 121-3 du code pénal. L’élu, ou le chef d’entreprise, qui, par ses décisions, aurait causé non intentionnellement et indirectement un dommage est responsable pénalement, s’il a « violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » ou s’il a « commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. »
L’amendement Bas, prévoit d’exonérer la responsabilité pénale des personnes ayant exposé autrui à un risque de contamination au coronavirus, sauf s’il a commis ces faits « intentionnellement », « par imprudence ou négligence dans l’exercice des pouvoirs de police administrative » de l’état d’urgence sanitaire, ou « en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative prise en application » de l’état d’urgence ou « d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ».
Cette rédaction fait donc disparaître la notion de « faute caractérisée » présente dans la loi Fauchon, ainsi que « l’imprudence » et la « négligence ». Les décideurs (maires, chefs d’entreprise) devraient avoir causé le dommage intentionnellement ou avoir violé une mesure de l’état d’urgence sanitaire ou une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement
La rédaction sénatoriale isole les préfets et les ministres, qui eux, pourraient être poursuivis en cas d’imprudence ou de négligence dans l’exercice des pouvoirs prévus par l’état d’urgence sanitaire.
Autre point, il ne concerne que la période de l’état d’urgence sanitaire (qui a débuté le 23 mars), et pas toute la crise sanitaire.
L’Assemblée réduit l’amendement à un neutron législatif
Au Sénat, l’amendement Bas a reçu une belle unanimité. Mais les amnisties d’élus sont rarement appréciées par l’opinion.
Le Sénat qui veut pouvoir revendiquer cette disposition devant ses électeurs, ne souhaite pas forcément l’assumer devant l’opinion. Et c’est le gouvernement, qui s’est pourtant opposé à l’amendement du Sénat, qui se retrouve accusé de vouloir une « loi d’autoamnistie ». Le débat déborde alors, la complexité juridique favorisant la confusion.
Au final, les mêmes groupes parlementaires (PS, LR, PCF) qui ont soutenu l’amendement au Sénat se sont déclarés choqués à l’Assemblée de ces dispositions. Les députés sont élus par le peuple, les sénateurs par les élus locaux.
En commission, les députés LREM et Modem ont totalement réécrit le dispositif. La nouvelle rédaction se contente de préciser dans le code pénal qu’il doit être « tenu compte, en cas de catastrophe sanitaire, de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits. » Un neutron législatif, destiné à envoyer un signal politique sans modifier les décisions judiciaires.
Si ce neutron n’est qu’un signal, pour certains il reste un mauvais signal. D’autant que la notion d’« état des connaissances scientifiques au moment des faits » est discutable, en cette époque où les experts s’entre-déchirent. Presque autant que les juristes.
Le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, s’est opposé à cette rédaction, ne souhaitant pas d’atténuation pour ceux qui posent les règles (préfets et ministres). Il reste pourtant confiant pour aboutir à un compromis en commission mixte paritaire. Le gouvernement va donc tenter de satisfaire les sénateurs sans mécontenter l’opinion.
Au final, une nouvelle rédaction a été retenue par la commission mixte paritaire : l’article 121-3 du code pénal s’appliquera « en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. » Soit exactement ce dont tiennent déjà compte les juges. L’option neutron législatif l’a donc emporté.
Détention provisoire
La question de la prolongation automatique des détentions provisoires a beaucoup mobilisé les parlementaires. Les députés avaient déjà conduit plusieurs auditions sur le sujet. Le projet adopté prévoit que la prolongation de plein droit ne sera plus applicable aux titres de détention dont l’échéance intervient à du 11 mai. Toutefois, si l’échéance du titre intervient avant le 11 juin, la juridiction aura jusqu’au 11 juillet pour se prononcer. Pour les prolongations automatiques de six mois, une nouvelle décision devra intervenir au moins trois mois avant le terme de la prolongation. Pour les personnes qui auront été prolongées automatiquement, une demande de mise en liberté pourra être déposée dans les deux mois suivant la prolongation de plein droit.
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