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Jeu vidéo et droit d’auteur : suite de l’affaire Steam c/ UFC

Par un arrêt du 21 octobre 2022, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la validité de clauses figurant dans les CGU de la plateforme Steam. Infirmant le jugement de première instance, les juges se sont notamment penchés sur les questions de l’épuisement et de l’existence d’un contrat de cession.

par Julie Groffe-Charrierle 14 décembre 2022

Il est loin, le temps où l’usage du jeu vidéo passait uniquement par le CD, la cartouche, et autres disquettes ! Avec l’essor des technologies, le jeu vidéo s’est très largement dématérialisé, au point d’être que ce mode d’utilisation soit aujourd’hui nettement supérieur au marché « physique ». Une étude portant sur le territoire nord-américain et réalisée par Ars technica en 2022 a ainsi mis en lumière le fait que le dématérialisé régnait désormais en maître sur les modes d’exploitation du jeu vidéo.

Loin de ne représenter qu’une mutation des modes de consommation sur le plan sociologique, ce basculement emporte aussi des conséquences de première importance sur le terrain juridique. La propriété du support physique d’une œuvre de l’esprit comme le jeu vidéo est différente, par nature, de la titularité d’une licence d’utilisation. C’est cette nuance qui permet notamment à la plateforme Steam, détenue par la société Valve, de s’opposer, via ses conditions générales d’utilisation, à la « revente » ou aux transferts des comptes et souscriptions diverses. Il n’en fallait pas plus à l’UFC-Que choisir, association de protection des consommateurs, pour attaquer ces conditions générales sur le terrain des clauses abusives.

Le juge de première instance avait largement accueilli les demandes de l’association (TGI Paris, 17 sept. 2019, UFC Que choisir c/ Valve, n° 16/01008, Dalloz IP/IT 2020. 118, obs. G. Brunaux ). Ainsi, le jugement avait notamment retenu que la clause qui interdisait le transfert (la « revente ») des comptes et souscriptions était abusive et devait être réputée non écrite, comme celle qui emportait « cession » non exclusive du droit d’utiliser, de reproduire, de modifier, de créer des œuvres dérivées, de distribuer, de transmettre, de transcoder, de traduire, etc. les « contenus générés par l’utilisateur », qui peuvent être, sans s’y limiter, des mods. La clause relative au porte-monnaie Steam (laquelle ne sera pas abordée ici, l’analyse se concentrant sur les enjeux relatifs aux droits d’auteur) connaissait le même sort.

La société Valve a interjeté appel de la décision. Et les juges du second degré lui ont donné raison, au terme d’un arrêt infirmatif. Selon eux (la plateforme Steam), l’épuisement du droit ne saurait jouer en matière de copies dématérialisées de jeux vidéo, la solution étant conforme à l’analyse européenne livrée par la Cour de justice. De même, Valve peut intégrer dans ses conditions générales une clause réglant le sort des droits sur les contenus générés par les utilisateurs, celle-ci correspondant à une licence et non à une cession.

Une inapplicabilité de l’épuisement du droit de distribution conforme à la jurisprudence européenne

L’un des nombreux intérêts intrinsèques à l’étude du jeu vidéo pris comme objet de droit d’auteur tient au fait qu’il s’agit là d’une création complexe, dont les différentes dimensions relèvent parfois de droits distincts. Ainsi, tandis que l’essentiel des créations incluses dans le jeu vidéo relève du droit commun du droit d’auteur et donc notamment de la directive 2001/29/CE (ainsi du scénario, des effets audiovisuels, mais aussi, contrairement à une croyance répandue, de la forme exécutée du logiciel), d’autres relèvent du droit d’auteur spécial logiciel et donc de la directive 2009/24/CE dans sa version codifiée (qui embrasse la forme programmée du logiciel, notamment l’organigramme et le code-source).

Après des années d’incertitudes durant lesquelles le juge avait exprimé la tentation très forte de retenir une qualification unitaire du jeu vidéo (v. not., qualifiant l’ensemble du jeu vidéo sur le terrain logiciel, Crim. 21 juin 2000, Mortal Kombat, n° 99-85.154, D. 2001. 2552 , obs. P. Sirinelli ; JCP E 2001. 312, chron. F. Sardain ; CCE 2001. Comm. 85, note C. Caron ; Expertises 2000. 352, obs. J. Drack), la Cour de cassation avait finalement consacré en 2009 une qualification distributive (Civ. 1re, 25 juin 2009, Cryo, n° 07-20.387, Dalloz actualité, 30 juin 2009, obs. J. Daleau ; RTD com. 2009. 710, obs. F. Pollaud-Dulian ; ibid. 2010. 319, chron. P. Gaudrat ; RIDA 3/2009, p. 509 et p. 305, obs. P. Sirinelli ; Propr. intell. 2009, p. 366, obs. J.-M. Bruguière ; CCE 2009. Comm. 76, note C. Caron ; JCP 2009. 328, note E. Treppoz ; Légipresse 2009.III.195, note N. Quoy, I. Boubekeur et E.-C. Vermynck), affirmant qu’« un jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l’importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature ». La Cour de justice avait confirmé cette analyse quelques années plus tard, avec l’arrêt Nintendo (CJUE 23 janv. 2014, aff. C-355/12, D. 2014. 272 ; ibid. 2078, obs....

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