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JLD, comparution immédiate et droit au silence

En ne prévoyant pas que le prévenu traduit devant le juge des libertés et de la détention doit être informé de son droit de se taire, les dispositions de l’article 396 du code de procédure pénale portent atteinte à ce droit mais aussi aux droits de la défense et doivent être déclarées contraires à la Constitution.

par Victoria Morgantele 12 mars 2021

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2020 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité s’agissant des dispositions de l’article 396 du code de procédure pénale, jugées contraires à la Constitution.

En l’espèce, le requérant fait grief à l’article 396 du code de procédure pénale, de méconnaître le principe de présomption d’innocence et plus précisément du droit de se taire dans la mesure où les dispositions dudit article ne prévoient pas que le juge des libertés et de la détention, saisi aux fins de placement en détention provisoire dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, doit notifier au prévenu la possibilité de garder le silence. En effet, l’article 396 du code de procédure pénale mentionne qu’« après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat (…) », dispositions qui manquent de porter à la connaissance du prévenu, la possibilité de faire valoir son droit au silence.

Ainsi, le prévenu traduit devant le juge des libertés et de la détention, n’est pas expressément averti de la possibilité qui lui est offerte de bénéficier du droit de se taire. Il pourrait être tenté de s’auto-incriminer pour éviter un placement en détention provisoire et ce, alors même que le procès-verbal de comparution est porté à la connaissance du tribunal correctionnel chargé de se prononcer sur sa culpabilité.

Pour déclarer les dispositions contestées non conformes à la Constitution, le Conseil constitutionnel s’appuie sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 rappelant que tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable et a fortiori, n’est pas tenu de s’auto-incriminer ce dont découle le droit de se taire.

Le Conseil rappelle utilement dans un second temps que l’article 395 du code de procédure pénale vise la possibilité pour le procureur de la République de saisir le tribunal correctionnel en comparution immédiate si l’affaire est en état d’être jugée et, en application de l’article 396, de traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention en vue de procéder à un placement en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel qui statuera dans le cadre de la comparution immédiate au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. Dans une telle situation, le juge des libertés et de la détention qui doit statuer par ordonnance motivée énonçant les considérations de droit et de fait, doit apprécier les faits retenus à titre de charges par le procureur de la République dans sa saisine.

Le risque de porter une appréciation des faits retenus à titre de charge par le procureur de la République mais aussi le risque pour le prévenu, d’être amené à reconnaitre les faits lorsque le juge des libertés et de la détention l’invite à présenter ses observations, portent atteinte, selon le Conseil constitutionnel, au droit de se taire et les dispositions doivent dès lors être déclarées contraires à la Constitution. Le fait même que le juge des libertés et de la détention invite le prévenu à présenter des observations peut être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire.

Rappelons que le droit de se taire est consacré par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 6 de la Convention. Ce droit signifiant que la personne entendue a le droit « de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination et s’applique au niveau européen à l’ensemble de la procédure pénale » (Rép. pén., Impact de la question prioritaire de constitutionnalité sur la matière pénale, par A. Cappello). Ce droit a été consacré au niveau constitutionnel, à l’occasion de la décision du 30 juillet 2010 relative à la garde à vue (Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, AJDA 2010. 1556 ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. de La Rosa ; RSC 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig ) mais celle-ci n’a pas eu de portée générale. Il a fallu attendre le rétablissement du droit de se taire dans la procédure pénale par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue (JO 15 avr.), d’une part, dont la portée est restreinte puisqu’elle ne concerne que la personne gardée à vue, et la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la dir. n° 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 28 mai), d’autre part, dont la portée est beaucoup plus large puisqu’elle concerne l’ensemble de la procédure pénale.

La Cour de cassation a en ce sens, à diverses reprises, considéré que le défaut d’information initiale du droit de garder le silence fait nécessairement grief au mis en cause (Crim. 8 juill. 2015, n° 14-85.699, Dalloz actualité, 29 juill. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2015. 1600 ; AJ pénal 2015. 555, obs. C. Porteron ). Elle a toutefois précisé qu’en matière d’instruction, du fait des nombreux actes successifs, qu’il ne résultait « d’aucun texte que le magistrat instructeur ait l’obligation de renouveler, à l’occasion de chaque mise en examen supplétive, l’avertissement du droit de se taire » (Crim. 24 avr. 2013, n° 12-80.750 : pour un autre ex. ; Crim. 26 sept. 2012, n° 12-80.750, D. 2012. 2607 ).

La question restait néanmoins entière appliquée aux faits de l’espèce puisqu’il s’agissait d’une présentation à un juge des libertés et de la détention, dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate.

Désormais et jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, le juge des libertés et de la détention doit informer le prévenu qui comparait devant lui, de son droit de garder le silence. Aussi, le droit de se taire offert aux personnes mises en cause dans la procédure pénale a fait couler beaucoup d’encre et on ne peut que se réjouir d’une telle décision en faveur des droits fondamentaux et des droits de la défense.