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Juge aux affaires familiales : rappel de l’exigence d’impartialité objective

Toute personne ayant droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial, un juge aux affaires familiales qui a rendu la décision contestée ne saurait figurer dans la composition de la cour d’appel saisi du recours à l’encontre de cette même décision.

par Mehdi Kebirle 16 octobre 2020

La question de l’impartialité fonctionnelle marque parfois un certain décalage entre la théorie et la pratique.

La théorie : en vertu de la dimension objective de l’impartialité (sur la distinction des deux dimensions de l’impartialité, v. CEDH 1er oct. 1982, Piersack c/ Belgique, § 30, Série A n° 53 ; Ann. fr. dr. int. 1985. 415, obs. Coussirat- Coustère; JDI 1985. 210, obs. Rolland et Tavernier. V. aussi, CEDH 22 juin 1989, Langborger c/ Suède, § 32 ; 26 oct. 1984, De Cubber c/ Belgique, § 24, Série A n° 86 ; 25 févr. 1997, Gregory c/ Royaume-Uni, § 44 s., RSC 1998. 392, obs. R. Koering-Joulin  ; CEDH 17 janv. 1970, série A, n° 11, p. 17, § 31, Delcourt c/ Belgique), le juge doit préserver son apparence de neutralité. Or, ce n’est pas le cas lorsque le juge saisi a exercé successivement, pour la même affaire et au cours de la même instance, des fonctions judiciaires distinctes au sein de l’organe exerçant la fonction juridictionnelle, qu’il s’agisse des contentieux de la matière pénale ou de ceux de la matière civile. Dans ce cas, il y a lieu de craindre que le juge développe un préjugement de l’affaire, ce qui est de nature à contrevenir au droit à un procès équitable fondé sur l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Or, un simple doute suffit à menacer la légitimé de l’intervention du juge. D’où l’importance de préserver les apparences : « justice must not only be done : it must also be seen to be done » (CEDH 17 janv. 1970, préc.).

La pratique : la situation des juridictions n’offre pas toujours la garantie qu’un magistrat ayant déjà connu d’une affaire sous un certain aspect ne soit pas appelé à en connaître ultérieurement sous un autre. Notamment, la mobilité fonctionnelle peut conduire les magistrats à exercer diverses fonctions au sein d’un même ressort, de sorte qu’ils sont parfois amenés à intervenir à différents stades et de différentes façons sur une même affaire.

C’est ce décalage qui explique sans doute le fait que l’impartialité fonctionnelle nourrit un contentieux relativement important.

En l’occurrence, l’affaire concernait un juge aux affaires familiales ayant accordé à une grand-mère un droit de visite médiatisé à l’égard de ses petits-enfants pendant une durée de six mois et, à l’issue, un droit de visite. Les parents ont interjeté appel de ce jugement.

La cour d’appel a confirmé le jugement entrepris et les modalités du droit de visite telles qu’elles avaient été initialement prévues.

Un pourvoi en cassation a été formé par les parents. Ils avançaient que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial. Or, en l’espèce, la magistrate ayant rendu la décision de première instance a participé au délibéré de la décision d’appel.

Au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation commence par indiquer que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial. Elle ajoute que l’exigence d’impartialité doit s’apprécier objectivement. La Haute juridique souligne que l’arrêt d’appel mentionne que l’affaire a été délibérée par la cour d’appel, composée notamment de la juge aux affaires familiales ayant prononcé le jugement déféré.

La cassation de l’arrêt est donc prononcée au motif que la décision initiale avait été rendue dans une composition comportant un magistrat qui avait déjà tranché le même litige en première instance.

Par cette censure, la Haute juridiction rappelle qu’un magistrat ayant statué comme juge de première ne saurait en connaître comme juge d’appel. La solution était prévisible. La Cour de cassation considère classiquement que les dispositions de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme interdisent qu’un magistrat ayant rendu une décision de caractère juridictionnel en première instance fasse partie de la composition de la juridiction d’appel amenée à en connaître en seconde instance (V. par ex., Civ. 3e, 27 mars 1991, n° 89-13.239, Bull. civ. III, n° 105 ; D. 1992. 129 , obs. P. Julien ; Civ. 1re, 11 mars 1997, n° 92-16.866, Bull. civ. I, n° 87). En pareil cas, les parties sont en droit de douter de l’impartialité de leur juge puisque celui-ci a nécessairement exprimé une position sur leur cause. Or, ce doute suffit à rompre l’exigence d’impartialité objective puisque le magistrat ne présente plus une apparence de neutralité satisfaisante. Il se peut parfaitement qu’il soit capable, en son for intérieur, de statuer en toute impartialité mais les garanties d’objectivité ne sont pas suffisantes.

Nul excès de prudence dans cette approche de l’impartialité. D’une part, la dimension objective de l’impartialité, qui renvoie aux apparences et non au croyances personnelles du juge, est nécessaire car elle conditionne la sérénité de la justice et l’adhésion des plaideurs au jugement censé mettre un terme au litige qui les oppose. Le fait que le juge d’appel soit le même que celui qui a rendu le jugement contesté est de nature à susciter un rejet de principe de la décision. Une telle situation ne ferait qu’ajouter du désordre au désordre et nuirait en définitive à la vocation première de l’intervention du juge : trancher une contestation pour rétablir la paix sociale.  D’autre part, lorsque le juge d’appel a connu précédemment de l’affaire en première instance, c’est la finalité même de l’appel qui est menacée. L’appel est une voie de reformation du jugement. Il conduit à provoquer un second regard sur l’affaire car il permet qu’une même cause soit à nouveau débattu en fait et en droit. Il est important que le regard qui soit porté à ce stade soit un regard neuf, libéré de tout a priori et de tout pré-jugement (et non de tout préjugé, lequel renvoie davantage à l’impartialité subjective) de l’affaire. En cela, l’exigence d’impartialité objective est la garantie d’une bonne justice.

En l’espèce, la cour d’appel a tenté de justifier sa décision en distinguant deux temps de l’instance : le temps des débats et le temps du délibéré. L’affaire avait en effet été débattue devant deux magistrats mais délibérée dans une composition qui incluait une troisième magistrate, en l’occurrence celle qui avait rendu la décision en première instance. Pour la Haute juridiction, cette circonstance suffisait à emporter méconnaissance de l’exigence d’impartialité. Elle confirme ainsi la fermeté avec laquelle elle envisage cette problématique et rappelle qu’en la matière, qu’il est certains principes essentiels du procès qui ne sauraient souffrir d’un quelconque aménagement : « quelles que puissent en être les modalités procédurales, un même juge ne peut connaître d’un recours afférent à une décision qu’il a précédemment rendue » (Civ. 1re, 26 janv. 1999, n° 96-04.230, Bull. civ. I, n° 29 ; RTD civ. 2000. 618, obs. J. Normand ).