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Juge de l’excès de pouvoir et pluralité de moyens pouvant justifier l’annulation

Le juge de l’excès de pouvoir est tenu d’examiner prioritairement les moyens qui se rattachent à la demande principale du requérant si ce dernier hiérarchise ses prétentions.

par Jean-Marc Pastorle 8 janvier 2019

La section du contentieux fait à nouveau évoluer l’office du juge de l’excès de pouvoir, illustrant le fait que, lorsque le juge administratif est saisi, « il l’est d’une situation juridique, d’un conflit, qu’il lui appartient de régler le plus complètement et le plus profondément possible » (J.-H. Stahl et X. Domino, Injonctions : le juge administratif face aux réalités, AJDA 2011. 2226 ). Tout en rappelant le principe dit « de l’économie de moyens », suivant lequel, « sauf dispositions législatives contraires, le juge de l’excès de pouvoir n’est en principe pas tenu, pour faire droit aux conclusions à fin d’annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d’autres moyens que celui qu’il retient explicitement comme étant fondé », elle lui apporte des tempéraments lorsque les conclusions à fin d’annulation sont assorties de conclusions à fin d’injonction et lorsque les prétentions du requérant sont hiérarchisées.

L’affaire en cause concernait le renouvellement de l’agrément d’un établissement de formation à la conduite des navires de plaisance à moteur. La société Eden avait introduit un recours pour excès de pouvoir contre la décision du préfet du Var lui ayant refusé le renouvellement de son agrément, demandant qu’il soit enjoint à celui-ci, à titre principal, de délivrer l’agrément sollicité ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande. Le tribunal administratif de Toulon a partiellement fait droit à la demande mais a rejeté les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de délivrer l’agrément sollicité. La société Eden a fait appel mais la cour administrative d’appel de Marseille a, à son tour, rejeté la demande d’injonction présentée à titre principal par la société. Cette dernière s’est donc pourvue en cassation. La section du contentieux va en profiter pour détailler l’office du juge de l’excès de pouvoir afin de tirer les conséquences du fait que « la portée de la chose jugée et les conséquences qui s’attachent à l’annulation prononcée par le juge de l’excès de pouvoir diffèrent […] selon la substance du motif qui est le support nécessaire de l’annulation ».

Ainsi, lorsqu’il annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l’annulation, « il lui revient, en principe, de choisir de fonder l’annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire ».

Mais, si des conclusions à fins d’injonction lui sont présentées, le juge administratif doit alors retenir des priorités. En effet, précise, le Conseil d’État, « lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d’annulation, des conclusions à fin d’injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l’autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l’excès de pouvoir d’examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l’injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d’injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de la justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l’article L. 911-2 ».

Et, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l’expiration du délai de recours, les prétentions qu’il soumet au juge de l’excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d’annulation, il incombe alors au juge de l’excès de pouvoir « de statuer en respectant cette hiérarchisation, c’est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant ».

Et, dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, « le juge de l’excès de pouvoir n’est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu’il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale ».

Office du juge d’appel

Sur l’intérêt à faire appel du jugement en tant qu’il n’a pas été fait droit à la demande principale, la haute juridiction estime que « si le jugement est susceptible d’appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n’a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d’appel, statuant dans le cadre de l’effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale ». En statuant ainsi sur l’appel de la société Eden, sans le rejeter comme irrecevable, et en jugeant que le tribunal administratif avait retenu le motif le mieux à même de régler le litige, qu’il n’était pas tenu de se prononcer sur les autres moyens de la requête et qu’il avait à bon droit rejeté les conclusions à fin d’injonction dont il était saisi à titre principal, la cour administrative d’appel n’a pas méconnu l’office du juge de l’excès de pouvoir.