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Le juge pénal : meilleur allié des titulaires de droit de propriété intellectuelle ?

Si la voie pénale a longtemps été délaissée par les titulaires de droits de propriété intellectuelle, notamment pour une indemnisation considérée comme déceptive par rapport au juge civil, la situation semble s’améliorer ces dernières années sous l’impulsion salutaire de la chambre criminelle de la Cour de cassation (v. encore réc., un arrêt imposant un juge correctionnel de mieux motiver chaque poste d’indemnisation, Crim. 15 févr. 2023, n° 21-84.417). L’arrêt de la chambre criminelle du 27 mai dernier en est une nouvelle illustration.

Les faits concernaient un vaste trafic en bande organisée de contrefaçons de sacs Hermès, avec une implication à différents niveaux de personnes aussi physiques que morales, conduisant la Cour d’appel de Paris à prononcer des sanctions relativement lourdes, aussi bien sur l’action publique (l’un des prévenus ayant par ex. été condamné à une peine de 3 ans de prison, partiellement assortie d’un sursis, 400 000 € d’amende, dont la moitié avec sursis, et à une peine complémentaire de confiscation à hauteur de 70 000 €) que sur l’action civile (condamnation solidaire des prévenus à hauteur de plus de 600 000 € de dommages-intérêts rien qu’au titre du profit généré par la contrefaçon).

Certains prévenus ont saisi la Cour de cassation de pourvois posant plusieurs questions de droit assez rarement posées au juge correctionnel.

Cumul possible des sanctions pécuniaires pénales avec l’indemnisation de la partie civile au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur

L’une de ces questions concernait le cumul des sanctions pénales avec l’indemnisation de la partie civile au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur.

L’on sait que depuis les réformes introduites par les lois n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 et n° 2014-315 du 11 mars 2014, trois critères d’indemnisation du préjudice ont été introduits dans le code de la propriété intellectuelle, à savoir : (i) conséquences économiques négatives, (ii) préjudice moral et (iii) bénéfices réalisés par le contrefacteur.

Selon les prévenus, la cour d’appel aurait dû vérifier que leur condamnation à restituer les bénéfices réalisés avec la contrefaçon en sus des sanctions pécuniaires pénales (amende, confiscation) était proportionnée à la gravité des faits et nécessaire, et ce, en application, d’une part, du principe de proportionnalité de la peine prévu par l’article 49.3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« L’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction ») et, d’autre part, celui de nécessité du cumul de sanctions déduit de l’article 50 de la Charte (« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi »).

La Cour de cassation répond en deux temps.

Pas de dommages-intérêts punitifs

Dans un premier temps, concernant la possibilité d’un cumul d’une condamnation à verser des dommages-intérêts avec une sanction pénale, la Cour de cassation considère que l’indemnisation octroyée à la partie civile au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur se fonde sur la transposition en droit français de l’article 13 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (Directive DPI) qui liste les différents postes d’indemnisation envisageables.

Il ne saurait donc y avoir de violation du droit de l’Union, comme le soutenaient les demandeurs au pourvoi, puisque la condamnation à restituer le bénéfice réalisé par le contrefacteur est elle-même prévue par ce même droit de l’Union.

Pour autant, lister des postes de préjudices ne signifie pas nécessairement qu’on peut les cumuler, et encore moins avec une sanction pénale.

À cet égard, le considérant 28 de la directive DPI (« En plus des mesures, procédures et réparations de nature civile et administrative prévues au titre de la présente directive, des sanctions pénales constituent également, dans des cas appropriés, un moyen d’assurer le respect des droits de propriété intellectuelle »), visé également par la Cour, prévoit un cumul possible entre réparation civile et administrative, d’un côté, et sanction pénale, de l’autre, principe au demeurant repris à l’article 16 de la même directive (« Sans préjudice des mesures, procédures et réparations de nature civile et administrative prévues par la présente directive, les États membres peuvent appliquer d’autres sanctions appropriées en cas d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle »).

Plus encore, le considérant 32 (« La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes, qui sont reconnus notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En particulier, la présente directive vise à assurer le plein respect de la propriété intellectuelle, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de cette Charte »), visé aussi par la Cour, rappelle explicitement que l’ensemble de la directive est conforme à la Charte des droits fondamentaux, celle-là même qui est invoquée par les prévenus pour justifier une violation de leurs droits fondamentaux.

Ces règles ainsi posées par le droit de l’Union sont tellement claires que la Cour de cassation se retranche derrière et rejette toute possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

La Cour rappelle enfin que l’évaluation des bénéfices réalisés par le contrefacteur se fonde sur une base objective de critères économiques (bénéfices...

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