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Justice négociée et lutte contre la fraude fiscale : quels enseignements tirer de la dernière CJIP Google ?

Les filiales française et irlandaise de la société Google ont conclu, le 3 septembre 2019, la septième convention judiciaire d’intérêt public des chefs de fraude fiscale et complicité de ce délit. Elles acceptaient ainsi le paiement d’une amende d’intérêt public à hauteur de 500 millions d’euros en contrepartie de l’extinction des poursuites pénales. 

par Pauline Dufourqle 17 octobre 2019

Le 3 septembre dernier, les sociétés Google France (GF), Google Ireland Limited (GIL) et le procureur de la République financier (PRF) concluaient la septième Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) pour des faits de fraude fiscale et complicité de ce délit. Google acceptait aux termes de la Convention de payer une amende d’intérêt public d’une somme de 500 millions d’euros, en contrepartie de l’extinction des poursuites pénales. 

Cette CJIP s’accompagne d’un accord avec l’administration fiscale, signé avec la direction générale des finances publiques permettant ainsi de clôturer les différents contentieux de Google en matière fiscale en France.

Le cœur du litige se cristallise autour de l’existence présumée par l’administration fiscale d’un établissement stable de la société Google basé en France.

L’étude du rappel des faits permet de comprendre que le groupe Google détient une filiale irlandaise (GIL) ayant pour activité la vente de produits et services sur le marché EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique) et par conséquent sur le territoire français. Un contrat d’assistance marketing et commercial était conclu courant 2002 entre cette filiale et la société Google Inc., ce contrat était par la suite transmis à la filiale irlandaise GIL en 2004. Une telle relation contractuelle aboutissait selon le rappel des faits à ce qu’« à compter de 2004, les prestations vendues par le groupe Google à des clients français relevaient d’une fiscalité irlandaise sur les sociétés commerciales au taux inférieur à celui de l’impôt français ». Autrement dit, il était reproché à la société Google d’avoir un établissement payant une fiscalité sur les bénéfices les plus faible.

L’affaire débute le 12 novembre 2012. C’est à cette date que la Direction des vérifications nationales et internationales de la Direction générale des finances publiques adresse une proposition de rectification à la filiale irlandaise de Google pour les exercices 2005 et 2010, alléguant que la société avait un établissement stable en France.

Une enquête préliminaire était finalement ouverte le 16 juin 2015 à la suite de la plainte déposée par la Direction régionale des finances publiques d’Île-de-France des chefs de violations présumées des articles 1741 et suivants du code général des impôts ainsi que de l’article 324-2 du code pénal couvrant la période de 2011 à 2016.

Parallèlement, le juge administratif était saisi de ce dossier ; il décidait tant en première instance qu’en appel d’annuler les redressements fiscaux dont Google avait fait l’objet en France pour les années 2005 à 2010. Le Conseil d’Etat était par la suite saisi.

Pour autant, selon le procureur de la République financier « la rémunération de GF par GIL, était insuffisante au regard de l’étendue des fonctions exercées et des risques supportés par GF ». Il poursuivait en indiquant « la rémunération insuffisante de GF par GIL doit donner lieu à un réajustement en application de l’article 57 du code général des impôts, et qu’elle est susceptible de caractériser pour GF une soustraction volontaire à l’établissement de l’impôt sur les sociétés par dissimulation, d’une part, des sommes sujettes à cet impôt sur les sociétés par dissimulation et, d’autre part, des sommes sujettes à cet impôt, et pour GIL une complicité de ces faits ».

C’est dans ce contexte que les sociétés GF et GIL débutaient des négociations avec le procureur de la République financier en vue de la conclusion d’une CJIP, qui – depuis la loi relative à la fraude du 24 octobre 2018 – est permise en matière de fraude fiscale, étant jusqu’alors réservée aux cas de corruption, de trafic d’influence, de blanchiment de fraude fiscale et d’infractions connexes.

De façon subtile, la CJIP relevait que les sociétés prenaient acte des qualifications retenues conformément aux dispositions légales qui précisent que ce dispositif n’entraîne pas de reconnaissance de culpabilité.

Plus intéressant encore ; la CJIP expose les modalités de calcul de l’amende d’intérêt public en rappelant le principe selon lequel l’amende d’intérêt public est fixée : « de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé à partir des trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements. »

Sur cette base, il était déterminé le montant maximal théorique de l’amende d’intérêt public encourue par les sociétés, à savoir respectivement 103 587 237 € pour la filiale française et 8 105 096 700 € pour la filiale irlandaise. Ces considérations étant apportées, la Convention rappelait la règle selon laquelle « le cumul des sanctions pénales étant admis sous la réserve que le montant global des sanctions éventuellement appliquées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. »

Cette référence fait écho à la jurisprudence désormais constante du Conseil constitutionnel qui avait retenu une telle formule à l’occasion des décisions n° 2016-546 QPC (Cons. const. 24 juin 2016, D. 2016. 2442 , note O. Décima ; ibid. 1836, obs. C. Mascala ; ibid. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; ibid. 2017. 1328, obs. N. Jacquinot et R. Vaillant ; Constitutions 2016. 436, chron. C. Mandon ; RSC 2016. 524, obs. S. Detraz ) et n° 2016-545 QPC (Cons. const. 24 juin 2016, D. 2016. 2442 , note O. Décima ; ibid. 1836, obs. C. Mascala ; ibid. 2017. 1328, obs. N. Jacquinot et R. Vaillant ; AJ pénal 2016. 430, obs. J. Lasserre Capdeville ; Constitutions 2016. 361, Décision ; ibid. 436, chron. C. Mandon ; RSC 2016. 524, obs. S. Detraz ), au visa de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, posant le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

C’est ainsi que le PRF a décidé de plafonner le montant de l’amende d’intérêt public de la filiale française à la somme de 46 728 709 € prenant ainsi en considération les intérêts de retard et les pénalités fiscales qui ont été établis par l’administration fiscale au titre des années 2011 à 2018 d’un montant de 56 858 528 € que la société acceptait de régler. Une amende d’intérêt public de 453 271 291 € était mis à la charge de GIL.

Le raisonnement posé par cette convention n’est d’ailleurs pas sans rappeler les exigences conventionnelles récemment rappelées par l’arrêt A. B. c/ Norvège du 15 novembre 2016 (CEDH 15 nov. 2016, n° 24130/11, AJDA 2016. 2190 ; D. 2017. 128, obs. J.-F. Renucci et A. Renucci ; AJ pénal 2017. 45, obs. M. Robert ; RSC 2017. 134, obs. D. Roets ) ou encore les arrêts Nodet c/ France du 6 juin 2019 (CEDH 6 juin 2019, n° 47342/14, RSC 2019. 383, obs. F. Stasiak ) et Bjarni Armasson c/ Islande du 16 avril 2019 rendus au visa de l’article 4 du protocole n° 7. Parmi les critères relevés par la jurisprudence conventionnelle pour conclure à la violation du principe non bis in idem, la Cour vérifie l’existence de lien matériel suffisamment étroit entre les deux procédures, fiscales et pénales, compte tenu, d’une part, de l’identité des buts visés et d’une répétition dans le recueil des éléments de preuve par différents services d’enquête ; d’autre part et surtout, qu’il n’existe pas de lien temporel suffisamment étroit pour considérer les procédures comme s’inscrivant dans le mécanisme intégré de sanctions, prévu par le droit du pays membre.

Une telle solution est également riche d’enseignements en ce qu’elle vient dénoncer une des critiques qui pouvait être formulée à l’encontre de ce dispositif ; de s’éloigner du principe d’interprétation stricte du droit pénal. En rappelant cette exigence de proportionnalité dans le cumul des sanctions pénales et fiscales, le PRF vient ici contredire ses détracteurs en adoptant une lecture respectueuse des exigences légales.

Cette affaire fait l’objet d’une profonde actualité en s’inscrivant dans une problématique plus large au sujet de la taxation des multinationales du numérique. Le 9 octobre dernier, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) présentait les contours de la nouvelle politique de taxation destinée à imposer les GAFA (Google, Appel, Facebook, Amazon) et les principales sociétés dans le secteur du numérique.

Parmi les thématiques mises en exergue par l’OCDE figurent la répartition des droits d’imposition entre les États, les principales règles de fiscalité internationale, en clarifiant les contours de certains concepts tels que celui d’établissement stable, l’avenir de la coopération fiscale multilatérale, la prévention des stratégies d’optimisations fiscales agressives ou encore la mise en place de nouvelles règles fiscales destinées à la taxation des multinationales dans le secteur du numérique.

La proposition OCDE vient en somme redéfinir les règles de fiscalité internationale en cherchant à adopter une répartition de la fiscalité entre les différents pays et en encadrant les stratégies d’optimisation fiscale. Plus concrètement, il s’agirait d’ouvrir le droit à taxer aux pays dans lesquels sont réalisés les chiffres d’affaires, et ce même si les entreprises n’y ont pas d’établissement stable.

Cette proposition sera soumise, les 17 et 18 octobre prochain à Washington, aux ministres des Finances composant le G20 et ouvre la porte à de multiples chantiers. La France s’est d’ailleurs récemment dotée d’une nouvelle taxe provisoire dite « GAFA » destinée à taxer les services numériques en imposant aux entreprises technologiques qui réalisent 750 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le monde et 25 millions d’euros en France dans le domaine de la publicité publique et des services d’intermédiation numérique aux consommateurs de payer une taxe de 3 % du chiffre d’affaires annuel total.