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L’action en contribution au passif et le sort des cautions associées

Dans un arrêt rendu le 6 juillet 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient préciser le régime applicable à une action en contribution au passif exercée contre des associés cautions des dettes de ladite société. 

La proximité entre le droit des sûretés et le droit des obligations est particulièrement perceptible dans certaines facettes particulières des garanties à disposition du créancier (P. Delebecque et P. Simler, Droit civil. Les sûretés, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 13, n° 9). Mais les comparaisons ne s’arrêtent pas là : au sein même du cautionnement personnel, la place du régime général des obligations reste de choix puisqu’elle permet de mieux comprendre comment la dette de la caution s’éteint notamment. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 6 juillet 2022 insiste sur la distinction entre l’obligation du débiteur principal et celle de la caution, ce qui permet de retrouver de belles problématiques de droit des sociétés, de procédure civile et de droit des obligations entremêlées. Rappelons les faits ayant donné lieu au pourvoi pour mieux comprendre la portée de cet arrêt à la croisée des chemins.

Un établissement bancaire consent à une EARL plusieurs concours financiers garantis par les cautionnements des fondateurs de celle-ci. L’EARL est plus tard transformée en société civile d’exploitation agricole (une SCEA). Sont entrées dans le capital, dans cette optique, deux nouvelles sociétés tandis que les fondateurs initiaux restaient détenteurs de 29 % des parts du capital social. La société agricole est mise en redressement judiciaire par jugement publié le 8 juin 2003. La banque a donc assigné ses deux garants en leur qualité de caution. Par une décision devenue irrévocable, les cautions ont été condamnées à payer diverses sommes à l’établissement bancaire. Mais la banque a également été condamnée à payer à l’un des fondateurs de la société une certaine somme de dommages-intérêts d’un montant égal à celui au paiement duquel il était condamné en sa qualité de caution. Par assignation du 11 octobre 2007, les deux associés cautions ont demandé sur le fondement de l’article 1857 du code civil la condamnation des deux sociétés entrées en capital tardivement à leur payer des sommes correspondantes au montant des dettes dont la SCEA était tenue à l’égard du créancier, et ce à due concurrence de la participation des sociétés dans le capital de ladite société. Par assignation en intervention forcée du 7 mai 2008, l’une des deux sociétés entrées en capital appelle en garantie la banque, laquelle a notifié des conclusions par lesquelles elle demandait la condamnation de tous les associés de la SCEA au titre de l’article 1857 du code civil. La cour d’appel saisie déclare recevable la demande formée par la banque. Les juges du fond condamnent les deux associés à payer à la banque la somme de 110 957,77 € pour la cofondatrice et 246 572,85 € pour le cofondateur.

Les deux associés forment un pourvoi reprochant deux griefs distincts : le premier est tiré de la prescription des demandes de la banque. Le second s’intéresse à l’action en contribution au passif. L’arrêt du 6 juillet 2022 aboutit à un rejet du pourvoi sur ces deux moyens distincts. Nous allons examiner pourquoi il faut accueillir cette décision avec bienveillance en étudiant successivement la question de la prescription et celle de la compensation.

Interruption de la prescription et intervention forcée

La question de l’interruption de la prescription occupe une place centrale dans le contentieux civil si bien que tous les arrêts de la Cour de cassation promis aux honneurs du Bulletin s’y intéressant sont intéressants pour les praticiens. La décision du 6 juillet 2022 ne fait pas exception, notamment après une autre solution importante rendue en mai dernier que nous avons commentée dans ces colonnes (Com. 18 mai 2022, n° 20-23.204 P, Dalloz actualité, 23 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 992 ). Dans l’arrêt étudié aujourd’hui, l’argumentation des demandeurs au pourvoi résidait sur une donnée factuelle évoquée ci-dessus : la banque avait été appelée en garantie au présent contentieux par une intervention forcée de la société attraite par les associés. Or ces derniers déniaient tout lien d’instance en pareille situation. Le demandeur à l’action principale et le garant n’étaient pas, selon eux, en situation de lien d’instance propre à interrompre la prescription.

Le raisonnement a été purement et simplement refusé par les juges du fond qui ont considéré que l’intervention forcée avait conféré la qualité de partie à l’instance à la banque. Dès lors, cette dernière était parfaitement recevable à former des demandes contre toute partie à l’instance, dont les associés garants. La chambre commerciale ne trouve rien à redire à cette solution qui est respectueuse d’une lecture classique des règles communes de procédure civile en matière d’intervention forcée (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 289, nos 361 s.). Le paragraphe 9 de l’arrêt rappelle utilement l’article 68 du code de procédure civile pour bien préciser que l’assignation forcée du 7 mai 2008 avait pu utilement conférer la qualité de partie à l’instance à la banque. Par conséquent, les premières conclusions du 5 juin 2008 mentionnant la demande de celle-ci avaient interrompu la prescription à l’égard des associés.

La solution permet de préserver le recours de la banque, appelée en garantie par la société à la suite de la mise en mouvement de l’article 1857 du code civil contre les sociétés entrées en capital. Une solution inverse aurait été peu compréhensible eu égard à la conception de l’intervention forcée qui permet d’intégrer une partie non assignée initialement dans le lien d’instance créé par l’acte introductif originel.

Le second moyen présentait une difficulté plus épineuse.

Contribution au passif et compensation

Les demandeurs au pourvoi avaient songé à un second moyen pour remettre en cause leur condamnation. Ils pensaient que la compensation, en tant qu’exception inhérente à la dette, emportait extinction de l’obligation principale garantie. Rappelons-nous de ce que nous avons évoqué au titre des faits : les fondateurs de la SCEA avaient été condamnés en qualité de cautions dans un jugement précédent devenu irrévocable mais le cofondateur avait bénéficié d’une condamnation de la banque du même montant que la somme à régler. Ce dernier invoquait alors la compensation dans cette nouvelle instance dédiée à l’action en contribution au passif.

Le raisonnement avait été balayé par les juges du fond qui avaient considéré que la compensation n’avait aucune utilité ici. Les indemnités dues à la caution en raison de la condamnation de la banque ne sauraient, en effet, avoir un quelconque lien avec la contribution au passif exercée par la banque. L’arrêt du 6 juillet 2022 vient rejeter le pourvoi. Il estime ce raisonnement parfaitement fondé en droit. Ceci vient utilement distinguer les deux contentieux successifs qui se sont enchaînés dans cette situation. Reprenons de manière synthétique :

• dans le premier contentieux opposant la banque et la caution, la compensation pouvait évidemment avoir une utilité : l’obligation de la seule caution diminuant alors à hauteur de la condamnation de la banque ;

• dans le second contentieux, c’est-à-dire celui de l’action en contribution au passif, la compensation n’a plus aucun intérêt. Cette dernière n’a, en effet, pas de lien avec l’obligation principale qui fonde le recours de la banque contre les associés. Les soldes impayés des prêts cautionnés pouvaient donc parfaitement être réclamés dans cette instance où la banque n’avait été qu’appelée en garantie et donc attraite en intervention forcée.

En somme, le piège se referme contre les associés : initialement demandeurs à l’action contre les sociétés entrées tardivement en capital, ils se retrouvent débiteurs envers la banque au titre des soldes impayés des prêts cautionnés. L’intérêt de la distinction entre les obligations du débiteur principal et de la caution conserve donc une force importante pour le créancier. Celui-ci conserve, en pareille situation, ses pleins recours eu égard à la situation de redressement judiciaire connue par la société. D’où l’on voit l’importance de pouvoirs jouer sur plusieurs tableaux.