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L’adaptation du droit pénal aux enjeux climatiques : vers un droit pénal climatique ?

L’exemple de la plainte déposée à l’encontre de TotalEnergies le 22 septembre 2023.

Le vendredi 22 septembre, quatre ONG (Darwin Climax Coalitions, Sea Shepherd France, Wild Legal et Stop EACOP-Stop Total en Ouganda) ont déposé plainte contre TotalEnergies SE en raison de sa stratégie de développement de projets pétroliers et gaziers, notamment en Afrique de l’Est.

Après plusieurs mises en cause de la société sur le fondement du devoir de vigilance1 devant le juge civil2, et une plainte en cours pour pratiques commerciales trompeuses3, cette action s’analyse comme inédite en raison des qualifications retenues qui relèvent du droit pénal général.

Ce nouveau « droit pénal climatique » soulève de nombreuses interrogations pour les praticiens, au vu de son entrée progressive dans les prétoires.

Les fondements juridiques visés par la plainte à l’encontre de TotalEnergies

La plainte précitée vise plusieurs infractions : abstention de combattre un sinistre (C. pén., art. 223-7), atteintes involontaires à l’intégrité de la personne (C. pén., art. 222-19 à 222-21), destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui de nature à créer un danger pour les personnes (C. pén., art. 322-5 à 322-11-1), ou encore homicide involontaire (C. pén., art. 221-6).

La mobilisation de ces instruments juridiques dans un contexte de contentieux climatique témoigne de la volonté des plaignants d’utiliser l’arme pénale pour l’adapter à l’urgence climatique.

Une analyse fine des moyens mobilisés dans la plainte et leur éventuelle application à TotalEnergies, conduit à constater une interaction évidente entre tous les délits visés, qui découleraient de l’abstention de combattre un sinistre. Ce délit visé à l’article 223-7 du code pénal prévoit que : « Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

La question de l’application de la notion de sinistre ne semble pas poser de difficulté, dès lors qu’il procède d’une appréciation large et sans condition temporelle. La doctrine le définit comme des « événements susceptibles d’occasionner de nombreux dommages : incendie, inondation, explosion, écroulement d’un immeuble »4. Les conséquences du dérèglement climatique sont majeures, protéiformes et n’épargnent aucun territoire. Les incendies canadiens, grecs, portugais et français, les inondations pakistanaises, libyennes et françaises, les risques d’engloutissement des territoires insulaires…

Les sinistres auxquels l’humanité est confrontée à l’heure actuelle répondent bien à l’exigence de matérialité de l’infraction (à l’inverse, il semble admis que la survenance d’un sinistre hypothétique ou futur ne saurait caractériser l’infraction). Quant à l’élément moral de l’infraction, tenant à la conscience par l’auteur visé du sinistre, la littérature scientifique depuis les cinquante dernières années, confortée par les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et les préconisations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE)5 ne peuvent que conclure à la connaissance, et en réalité à la conscience pleine et entière par la société visée de l’existence du sinistre qu’est le dérèglement climatique.

Enfin, sur l’abstention volontaire, la doctrine a pu soulever des interrogations quant à la matérialité infractionnelle et le résultat à atteindre. Un auteur a ainsi pu estimer, dans une analyse de la responsabilité des décideurs publics face à la covid, que l’adoption de mesures insuffisantes ou...

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