Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

L’affaire Fualdès. Le sang et la rumeur

Accompagnant une exposition qui s’est tenue à la fin de l’année 2017 au musée Fenaille de Rodez consacrée à la spectaculaire affaire Fualdès, cet ouvrage – qui fait également office de catalogue – est un document passionnant, réunissant de très riches contributions sur ce curieux fait divers à propos duquel s’enflamma la France de la Restauration. Excellemment bien documentées et parfaitement illustrées, les contributions se lisent comme un roman.

par Thibault de Ravel d’Esclaponle 24 janvier 2018

L’affaire Fualdès, exceptionnelle à tant d’égards, est devenue, au cours du XIXe siècle, un véritable motif littéraire. Balzac, à plusieurs reprises, s’en était fait l’écho. Une ténébreuse affaire est l’occasion pour lui d’en souligner le caractère remarquable. Dans L’Interdiction, il y revient encore ; tout comme dans Les Employés ou dans Le Curé du village. Bref, Balzac, comme tous les lecteurs de l’époque, a été frappé non seulement par les conditions atroces dans lesquelles le procureur Antoine Bernardin Fualdès a été assassiné mais également par le sort judiciaire que le dossier a ensuite connu. Flaubert, Hugo et Huysmans, parmi d’autres, ne manquent pas, de leur côté, de faire allusion à ce feuilleton d’assises. En somme, l’affaire Fualdès est particulièrement classique de son époque et cette postérité littéraire de belle facture lui a permis, en un sens, de faire partie de l’imagerie classique de la Restauration. Ce d’autant que Géricault a favorisé, dans une abondante iconographie sur ce drame, la possibilité d’en asseoir définitivement les traits. La période difficile que connaît la France entre 1815 et 1820, traversée de mouvements contraires, au sortir d’une révolution et d’un empire, se trouve, au moins pour une part, illustrée par cette affaire tragique.

Il reste qu’avec la patine du temps l’affaire, Fualdès avait peut-être pris un tour trop rocambolesque, sans doute au-delà de ce que les faits et le déroulement exact des événements dévoilaient. Et c’est déjà de ce point de vue que s’illustre l’excellent ouvrage dirigé par Jacques Miquel, docteur en histoire, et Aurélien Pierre, directeur adjoint des musées de Rodez agglomération. À travers une série de contributions très érudites, tout en demeurant très accessibles, le crime de l’Aveyron est analysé sous tous ses angles et selon une approche scientifique. Il faut que dire que la panoplie d’auteurs mis au service de l’étude de cette célèbre affaire criminelle, au-delà des deux responsables précités de la publication (qui signent tous deux nombre de notices), est impressionnante et comprend tout à la fois de grands spécialistes de l’histoire de la criminalité, de la justice et du monde judiciaire, et de fins connaisseurs du contexte local : Frédéric Chauvaud, Jean-Michel Cosson, Benoît Decron, Diane Joy, Dominique Kalifa et Jean-Noël Tardy.

L’affaire avait tout pour devenir l’une des premières à occuper avec autant de vigueur le devant de la scène. La victime était un notable local, un procureur. Le crime, dans la nuit du 19 au 20 mars 1817, est horrible et, comme le remarque Aurélien Pierre, « l’affaire frappe l’imaginaire de toutes les couches de la société avec porosité, suscitant une forme de fascination inavouable pour l’horreur » (p. 12). Le lieu du supplice de Fualdès a quelque chose d’épouvantable : la maison Bancal (signalons tout de suite la très intéressante maquette des lieux réalisée par les soins de David Niépce – un peu moins célèbre que son cousin Nicéphore – et dont l’on trouve, dans l’ouvrage [p. 193-195] quelques reproductions). L’endroit a aujourd’hui disparu, rappelle Jean-Michel Cosson (p. 40). À cette curieuse atmosphère s’ajoute un zeste politique se déployant dans ce moment conspirationniste du début de la Restauration où s’entremêlent allègrement complots et sociétés secrètes, l’affaire étant liée à la Terreur blanche (v. J.-N. Tardy, p. 33). Mais la dimension nationale du procès, provoquée par cette incroyable médiatisation qui a permis l’irruption de l’opinion publique dans le débat (v. J. Miquel, p. 69), ne doit pas faire omettre le contexte local et c’est tout l’intérêt de la contribution de Diane Joy que d’en faire ressortir l’importance : « le moment dans lequel prend place l’assassinat de Fualdès est singulier dans l’histoire de Rodez, suspendu entre le fort impact de la Révolution et le début de la lente métamorphose au cours de laquelle la bourgade va muer en préfecture » (p. 25). Il faut en effet se garder, comme le fait très justement observer Patrice Gueniffey à propos de la période révolutionnaire (La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire. 1789-1794, Gallimard, coll. « Tel », 2000, p. 12), de dupliquer exactement le local sur le national. Il y a, dans tous les cas, une « irréductible originalité » (ibid.) régionale dans l’affaire Fualdès, et l’ouvrage la met parfaitement en valeur.

Les procès furent hors normes. Trois ont été organisés : à Rodez et à Albi par deux fois. Au premier, plus de trois cents témoins ont défilé. Clarisse Manzon, particulièrement fantasque, est au centre de l’attention. Elle « constituera l’incontestable égérie » de l’affaire (J. Miquel, p. 75), une « vedette » (F. Chauvaud, p. 96). Ses mémoires, on le sait, ont constitué un succès éditorial d’ampleur. L’iconographie du procès s’est trouvée très vite fixée dans les mentalités, véhiculée par la presse de l’époque qui a fait de l’événement, selon la jolie formule d’Aurélien Pierre, « un crime lithographié d’après nature » (p. 109). Mais il faut aussi compter avec cet « air de Fualdès », une complainte qu’étudie Dominique Kalifa et qui fut un « exceptionnel vecteur de communication » (p. 106). Enfin, cet ouvrage collectif s’empare directement de la question des coupables et Frédéric Chauvaud s’intéresse à la fabrique de l’erreur judiciaire à travers le prisme de l’affaire Fualdès (p. 62).

Le cas Fualdès est tentaculaire, ses ramifications judiciaires, historiques, culturelles et sociales sont impressionnantes et ne cessent de s’étirer. Avec son impressionnante galerie d’images et la qualité et la précision de ses contributions, cet ouvrage permet assurément d’en appréhender certains des tenants et des aboutissants de ce dossier extraordinaire. L’on ne sait pas vraiment si, un jour, celui-ci dévoilera tous ses secrets. Il y a une part de mystère insoluble qui s’est écoulé dans les eaux de l’Aveyron. Et, ce qui est sûr, c’est que le sang et la rumeur ont brouillé les pistes.

 

 

J. Miquel et A. Pierre (dir.), L’affaire Fualdès. Le sang et la rumeur, Musée Fenaille-Rouergue, 2017.