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L’Agence Frontex se dote de contrôleurs des droits fondamentaux des migrants

Le règlement (UE) 2019/1896 a décidé d’une augmentation sans précédent des effectifs des gardes-frontières en renforcement de l’Agence Frontex. Celle-ci se dote par ailleurs d’un nouveau maillon de protection des droits des migrants : les contrôleurs des droits fondamentaux.

par Charlotte Collinle 22 novembre 2019

Le règlement (UE) 2019/1896 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2019 relatif au corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes a décidé d’une augmentation sans précédent des effectifs des gardes-frontières en renforcement de l’Agence Frontex (10 000 d’ici à 2027). Si cette dernière, créée en 2004, avait déjà vu ses ressources augmentées en 2016, cette décision représente le plus gros investissement de l’Union européenne en direction de la protection de ses frontières extérieures, dans un contexte de flux migratoires croissants. Le renforcement des gardes-frontières touche par ailleurs, au-delà de leur nombre, leurs pouvoirs. Les membres opérationnels déployés devraient en effet disposer de tous les pouvoirs nécessaires pour effectuer des tâches relatives au contrôle aux frontières et au retour, y compris celles nécessitant des pouvoirs d’exécution (§ 58-59). Si l’Agence devrait être tenue pour responsable de leurs agissements selon les termes du règlement, une telle augmentation des pouvoirs n’est pas sans présager quelques contentieux futurs en matière d’attribution de la responsabilité.

À noter cependant : le Parlement et le Conseil ont toutefois pris soin, sans doute pour répondre à la multiplication des critiques (v. P. de Bruycker, Le corps européen des gardes-frontières, les limites d’une nouvelle forme d’agence européenne, RFDA 2017. 922 ; Berramdane, La militarisation des frontières de l’Union européenne, Rev. UE 2018. 222 ) et des accusations d’abus et de mauvais traitements infligés aux migrants, de renforcer également les procédures de protection de leurs droits fondamentaux. Le règlement insiste en particulier sur le respect de la dignité humaine, du droit à la vie, de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, de l’interdiction de la traite des êtres humains, du droit à la liberté et à la sécurité, du droit à la protection des données à caractère personnel, du droit d’accès aux documents, du droit d’asile et du droit à la protection contre l’éloignement et l’expulsion, au non-refoulement, à la non-discrimination et aux droits de l’enfant (§ 103). Le règlement précise aussi qu’il est nécessaire d’instaurer un mécanisme de traitement des plaintes pour l’Agence en coopération avec l’officier aux droits fondamentaux. Celui-ci devra prendre la forme d’« un mécanisme administratif par lequel l’officier aux droits fondamentaux devrait être chargé du traitement des plaintes reçues par l’Agence conformément au droit à une bonne administration. L’officier aux droits fondamentaux devrait examiner la recevabilité d’une plainte, enregistrer les plaintes recevables, transmettre toutes les plaintes enregistrées au directeur exécutif, transmettre les plaintes concernant les membres des équipes à l’État membre d’origine et enregistrer le suivi assuré par l’Agence ou par cet État membre. Le mécanisme devrait être efficace et garantir que les plaintes font l’objet d’un suivi correct » (§ 104). L’Agence devrait en outre rendre compte du mécanisme dans son rapport annuel.

Plus que la création d’un tel mécanisme de plainte, le règlement prévoit le renforcement du mécanisme existant, issu du règlement (UE) 2016/1624 du 14 septembre 2016. En effet, l’article 108 du règlement (UE) 2019/1896 prévoit le maintien du forum consultatif, prévu par l’article 70 du règlement (UE) 2016/1624 et renforce les pouvoirs et les garanties d’indépendance des officiers aux droits fondamentaux (règl. [UE] 2019/1896, art. 109 et règl. [UE] 2016/1624, art. 71). Le nouveau règlement comporte cependant une innovation majeure : il crée des contrôleurs des droits fondamentaux (art. 100). Ceux-ci, employés en tant que membres du personnel statutaire, évalueront en permanence le respect des droits fondamentaux dans les activités opérationnelles, fourniront des conseils et une assistance lors de la préparation, de la conduite et de l’évaluation des activités opérationnelles de l’agence. Ils pourront notamment effectuer des visites et informer l’officier aux droits fondamentaux sur toute préoccupation concernant une violation éventuelle des droits fondamentaux. Une telle possibilité d’enclenchement du mécanisme de traitement des plaintes vient donc s’ajouter aux possibilités qui existaient auparavant (v. règl. [UE] 2019/1896, art. 111 et règl. [UE] 2016/1624, art. 72). Celui-ci prévoyait en effet déjà que toute personne directement touchée par les actions ou inactions du personnel participant à une opération de l’Agence qui estimait qu’il y avait eu une atteinte à ses droits fondamentaux pouvait soumettre une plainte écrite à l’Agence. La création d’un observateur supplémentaire de ces droits, indépendant même s’il est institutionnellement intégré à l’Agence, participera sans doute au renforcement des mécanismes de contrôle en corrélation avec l’extension des pouvoirs de Frontex (v., en ce sens, Bouveresse, Frontex : une agence responsable et sous contrôles ? Ni blanc-seing ni dirty hands, RTD eur. 2017. 477 et, plus généralement, v. le dossier de la RTD eur. sur la réforme de Frontex ).