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L’amiable compositeur face aux règles d’ordre public de direction et de protection

L’arrêt rapporté apporte d’utiles précisions sur la mission de l’amiable compositeur confronté aux règles d’ordre public et sur l’intensité du contrôle auquel se livre le juge de l’annulation.

par Vincent Chanteboutle 14 janvier 2020

Dans le cadre d’un contrat de partenariat qui le lie à la SNCF Réseau, un groupement d’intérêt économique (GIE) a conclu deux contrats de sous-traitance avec un groupement pour la réalisation de travaux préparatoires de terrassement, d’ouvrage d’art et de rétablissement de communication. Les conditions générales auxquelles se réfère le contrat prévoyaient un arbitrage en amiable composition sous l’égide de l’Association française d’arbitrage.

À la suite de différends entre les parties, un tribunal arbitral annula le contrat de sous-traitance en application de l’article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. Il semble en effet qu’en violation de ce texte d’ordre public, le GIE n’avait pas fourni au moment de la conclusion du contrat une copie de l’acte général de cautionnement, seul document donnant au sous-traitant l’assurance de l’existence de la garantie exigée par la loi pour assurer la sécurité financière de l’opération.

Le recours en annulation introduit contre cette sentence par le GIE s’articulait principalement autour de la décision de l’arbitre d’appliquer strictement ce texte alors que le tribunal arbitral aurait méconnu sa mission d’amiable compositeur en refusant d’écarter la nullité prévue par la loi du 31 décembre 1975, un tel refus n’étant justifié, selon le recours, qu’en présence de dispositions d’ordre public de direction et non de protection. Le demandeur soutenait encore que l’interprétation erronée de ce texte constituait une violation d’une règle d’ordre public.

L’arrêt rapporté rejette le recours en jugeant que « l’amiable compositeur qui s’estime tenu de respecter les dispositions d’ordre public de direction agit conformément à sa mission ». En outre, selon la cour d’appel de Paris, « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ».

En jugeant ainsi, la cour d’appel de Paris précise la mission de l’amiable compositeur vis-à-vis de la règle d’ordre public et le contrôle du juge de l’annulation sur l’application de ces règles.

La mission de l’amiable compositeur confronté à une règle d’ordre public

Le rôle de l’amiable compositeur ne se limite pas à un pouvoir. Il doit être compris comme un devoir d’utiliser ses prérogatives afin d’éliminer l’inéquité (v. E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, Joly, 1980, n° 401, p. 326 ; adde, E. Loquin, note sous Civ. 1re, 1er févr. 2012, ETE c. Gascogne paper, Rev. arb. 2012. 91, spéc. p. 102 ; P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, Bruylant, 2017, nos 203 et 372). Ainsi, l’arbitre qui applique à la lettre la règle de droit sans s’interroger sur le caractère équitable de sa décision ne motive pas sa sentence en équité et méconnaît donc sa mission (Civ. 2e, 18 oct. 2001, Rev. arb. 2002. 361, note C. Jarrosson ; Civ. 2e, 10 juill. 2003, n° 01-16.964, D. 2003. 2474 , obs. T. Clay ; RTD com. 2003. 698, obs. E. Loquin ; ibid. 2004. 252, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2003. 1361, note J.-G. Betto ; Civ. 28 nov. 2007, Rev. arb., 2008. 99, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 1er févr. 2012, Rev. arb. 2012. 91, note E. Loquin ; v. E. Loquin, Pouvoirs et devoirs de l’amiable compositeur, Rev. arb. 1985. 99). Sa sentence encourt donc l’annulation (v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, nos 789 s., p. 502).

Précisément, en l’espèce, le recours en annulation reprochait à l’amiable compositeur d’avoir méconnu sa mission en appliquant l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975.

L’amiable compositeur peut pourtant employer des règles de droit s’il justifie qu’elles aboutissent à un résultat équitable. Surtout, le pouvoir d’éviction de l’arbitre statuant ex aequo et bono n’est pas illimité : « l’amiable compositeur ne peut pas écarter toute règle de droit. Il peut uniquement écarter les droits nés de l’application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 884 p. 878).

L’amiable compositeur peut donc, en principe, écarter les règles supplétives mais reste tenu d’appliquer les règles auxquelles on ne saurait déroger. Comme le rappelle ici la cour d’appel, « la clause d’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, […] sauf lorsqu’est en cause une disposition d’ordre public au bénéfice de laquelle une partie ne peut renoncer ».

La sentence et l’arrêt rapporté rappellent à juste titre qu’il convient, même en matière d’amiable composition, d’établir une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection.

Pour justifier l’application stricte de la loi du 31 décembre 2019, le tribunal arbitral avait estimé que « l’ordre public de la loi du 31 décembre 1975 a pour fonction de protéger l’organisation sociale et économique de la société française contre les faillites en cascade résultant pour les sous-traitants et leurs créanciers de la défaillance de l’entrepreneur principal » et que « la loi du 31 décembre 1975 rend indisponible le droit de demander la nullité du contrat de sous-traitance d’une manière absolue, dès lors que, comme paraît l’admettre la jurisprudence, la nullité est une nullité de direction ». Le tribunal en avait conclu qu’« à peine d’un risque d’annulation de la sentence, ses pouvoirs d’amiable compositeur ne lui permettaient pas en l’espèce d’écarter en équité la nullité prévue par la loi du 31 décembre 1975 ».

Ce motif de la sentence fut critiqué par le recours qui soutenait qu’en retenant une solution dictée par des dispositions légales l’arbitre ne s’était pas acquitté de sa mission d’amiable compositeur. L’argument est rejeté par la cour qui juge qu’« en constatant qu’il demeurait tenu de respecter les dispositions de l’ordre public de direction au risque d’encourir l’annulation de la sentence, l’arbitre statuant en amiable composition a respecté sa mission ».

Cette décision, fondée sur la distinction entre ordre public de direction et ordre public de protection, mérite l’approbation mais fait naître une part d’inquiétude.

L’arrêt rappelle à juste titre que l’amiable compositeur ne peut passer outre les règles d’ordre public de direction, quand bien même le recourant se prévaudrait de leur caractère inéquitable. En l’espèce, on doit saluer les efforts de pédagogie de l’arbitre qui, conscient des devoirs que lui impose sa mission, explique les raisons qui le conduisent à retenir la solution dictée par la stricte application de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975. La sentence rappelle que, si ce texte impose quelques obligations de forme, dont la violation ne semble certes pas en équité mériter l’annulation du contrat de sous-traitance, elles ne constituent pas de simples formalités mais visent à « l’assurance pour le sous-traitant de la fourniture effective d’un cautionnement le garantissant de façon certaine en cas de défaillance de l’entrepreneur principal ».

Comme elle poursuit l’objectif d’éviter des faillites en cascade, la loi du 31 décembre 1975 constitue, dans ses dispositions visant à assurer le paiement du sous-traitant, une loi de police (v. M.-E. Ancel, La protection internationale du sous-traitant, Trav. Com. fr. DIP 2010. 225), notion qui recoupe l’ordre public de direction en ce que l’une et l’autre visent respectivement la sauvegarde des intérêts économiques du pays et la préservation de l’intérêt général. Le respect de cette loi ne saurait donc dépendre du bon gré des parties, qui ne peuvent valablement y renoncer. C’est donc à juste titre que l’arbitre, approuvé par la cour d’appel, retient que ses pouvoirs d’amiable compositeur, conférés par des volontés individuelles, ne lui permettent pas d’écarter les dispositions de ce texte.

Doit-on en conclure, a contrario, que les pouvoirs d’amiable compositeur autoriseraient l’arbitre à écarter les règles d’ordre public de protection ? Une telle solution poserait une série de difficultés.

Comme nous l’avons vu, l’amiable composition permet « uniquement [d’]écarter les droits nés de l’application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer » (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit.) ou, comme le dit la cour d’appel, elle trouve sa limite « lorsqu’est en cause une disposition d’ordre public au bénéfice de laquelle une partie ne peut renoncer ».

La distinction opérée par l’amiable compositeur entre ordre public de direction préservant l’intérêt général et règles impératives visant à la protection d’intérêts particuliers semble donc à première vue justifiée puisque la volonté individuelle ne peut renoncer qu’aux secondes. Mais peut-on estimer que, par la clause d’amiable composition les parties renoncent valablement aux règles d’ordre public de protection ? Un arrêt récent semble avoir admis, au sujet d’une clause de non-concurrence qu’« en stipulant dans les statuts de la société une clause d’arbitrage en amiable composition, et en réitérant ce choix dans l’acte de mission, les parties ont affranchi le tribunal arbitral du respect des règles d’ordre public de protection » (Paris, 19 déc. 2017, n° 16/11404, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 28, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 292). Une réponse positive n’est pas donc pas exclue d’emblée. Quatre objections doivent néanmoins être soulevées.

Tout d’abord, le principe d’effectivité du droit de l’Union semble conduire la Cour de justice de l’Union européenne à considérer avec réticence la renonciation devant l’arbitre aux règles de protection édictées par l’Union européenne. C’est du moins le cas du droit de la consommation (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Mostaza Claro, Dalloz actualité, 5 déc. 2006, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry  ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb., 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal., 29 avr.-3 mai 2007, p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; ibid., n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot).

De plus, la renonciation au bénéfice des règles protectrices comporte une condition temporelle : elle n’est valable que lorsqu’a disparu le motif qui justifiait l’impérativité, soit, le plus souvent, après la naissance du litige. Dès lors, dans la mesure où la clause d’amiable composition est le plus souvent acceptée lors de la signature du contrat, cette condition ne sera que rarement satisfaite (v. M. de Fontmichel, Le faible et l’arbitrage, Economica, 2013, n° 485, p. 264). Ainsi, selon E. Loquin, « la clause d’amiable composition, insérée dans la clause compromissoire, ne permettra jamais aux arbitres d’écarter les droits des parties protégés par l’ordre public de protection. La renonciation qu’elle manifeste intervient, par hypothèse, à une époque où les parties n’ont pas acquis la libre disposition des droits protégés » (E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, op. cit., n° 405, p. 331 ; adde, J.-Cl pr. civ., fasc. 1038, spéc. n° 91). Ainsi, l’arrêt du 19 décembre 2017 précité, qui admet que la clause d’amiable composition permet à l’arbitre d’écarter les règles de protection, prend soin de noter que les parties avaient réitéré leur choix dans l’acte de mission.

Surtout, l’amiable compositeur n’est censé écarter la loi que pour des motifs d’équité. Or on conçoit difficilement que les règles conçues pour protéger les plus faibles puissent être jugées inéquitables. Le législateur met en place des règles destinées à venir en aide à certaines catégories réputées faibles en compensant un déséquilibre économique par une faveur juridique. Ainsi sont protégés, parmi d’autres catégories, le consommateur, le salarié, le franchisé ou, comme en l’espèce, le sous-traitant qui, s’il n’est pas toujours en état de faiblesse, se trouve du moins fragilisé du fait des menaces que sa position dans l’opération contractuelle fait peser sur sa rémunération.

On peut admettre que ces règles de protection deviennent inéquitables lorsque la présomption de faiblesse posée par la loi n’est pas justifiée au regard des faits de la cause et/ou lorsque la situation économique des litigants ne correspond pas à la catégorie à laquelle la loi les assigne. Tel serait le cas lorsque, par exemple, le sous-traitant est une grande entreprise à laquelle un modeste maître d’œuvre n’est pas en mesure de dicter ses conditions.

Mais peut-on dire que, par la clause d’amiable composition, la partie réputée faible renonce en connaissance de cause à une mesure protectrice ? Certes, selon la cour d’appel, « la clause d’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit » (v. déjà, Paris, 28 nov. 1996, Rev. arb. 1997. 381, note E. Loquin ; 4 nov. 1997, Rev. arb. 1998. 704, obs. Y. Derains). Cependant, selon la théorie générale de l’acte abdicatif, le fait de se départir de ses prérogatives est un acte grave qui, à ce titre, ne se présume pas (v. Rép. civ., Renonciation, par F. Dreifuss-Netter, nos 39 s ; Les renonciations au bénéfice de la loi en droit privé, Travaux de l’association Henri-Capitant, 1959-1960, vol. XIII) mais doit résulter d’une manifestation de volonté claire et dépourvue d’ambiguïté (v. not. Paris, 14 mars 1991, Esso c. Sarl Stationnement du Stade, D. 1991. 127 ). Peut-on dire que la partie faible qui demande à être jugée en équité abdique sans équivoque les mesures par lesquelles la compassion du législateur entend secourir sa détresse ?

Une réponse catégorique semblerait bien téméraire. On peut même considérer qu’une telle solution n’est pas sans danger dans le contexte actuel d’extension de l’arbitrabilité ratione personae (réforme de C. civ., art. 2061) et de faveur envers les modes alternatifs de résolution des litiges (v. L. n° 2019-222, 23 mars 2019). L’extension des matières arbitrables aux parties qui ne contractent pas dans le cadre de leur activité professionnelle ne devrait pouvoir s’envisager qu’à la condition d’assurer le respect des règles protectrices prévues par le législateur, quand bien même elles bénéficieraient à de riches consommateurs dans des litiges qui les opposeraient à de modestes commerçants.

Reste à savoir si l’amiable compositeur qui choisirait d’appliquer strictement la loi au motif erroné qu’il s’agit d’une règle d’ordre public de direction exposerait sa sentence à un risque d’annulation. Dans la mesure où ils peuvent mettre leur décision à l’abri de toute critique en se contentant de la déclarer équitable (v. P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, op. cit., n° 377 ; E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, op. cit., n° 402 p. 327 in fine ; Civ. 2e, 8 juill. 2004, JCP 2004. I. 179, obs. C. Seraglini ; contra Paris, 10 mai 2007, Rev. arb., 2007. 825, note V. Chantebout), il est peu probable qu’un amiable compositeur paresseux use volontairement de cette manœuvre pour méconnaître les devoirs attachés à sa mission. C’est donc sur le fondement de l’ordre public que cette qualification erronée doit être contrôlée. La cour juge à ce sujet que « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ». L’erreur dans l’application d’une règle impérative ne se confond en effet pas avec une violation de l’ordre public.

Le contrôle de la violation de l’ordre public

Le recours reprochait encore à l’arbitre d’avoir violé l’ordre public en retenant une interprétation erronée de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975, ce qui, selon le demandeur, aurait conduit à l’annulation injustifiée du contrat de sous-traitance.

La Cour écarte le grief en jugeant que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne porte que sur la solution donnée au litige, l’annulation n’étant encourue que dans la mesure où cette solution heurte l’ordre public. Mais ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ».

La Cour confirme ici sa jurisprudence en vertu de laquelle c’est dans la solution du litige et non dans la motivation de la sentence que réside le siège de l’atteinte à l’ordre public (v. J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1998, n° 972, p. 543). Dès lors, la mauvaise application d’une règle d’ordre public, à la supposer établie, ne suffit pas en soi à constituer une violation de l’ordre public justifiant l’annulation d’une sentence arbitrale. Il faut encore que la solution retenue porte atteinte aux objectifs protégés par cette loi.

Violation de l’ordre public et erreur dans l’application d’une règle impérative ne sont en effet pas synonymes. Une telle violation résulte certes le plus souvent d’une mauvaise application d’une règle impérative mais l’erreur de droit peut ne pas donner lieu à une telle atteinte s’il n’en découle pas une solution contraire à l’ordre public.

Ainsi, si un tribunal arbitral estime à tort qu’un contrat licite constitue une entente prohibée, sa solution ne porte pas atteinte à l’ordre public malgré l’appréciation erronée d’une règle impérative dans la mesure où la libre concurrence n’est pas affectée par la sentence (v. P. Mayer, La sentence contraire à l’ordre public au fond, Rev. arb. 1994. 615, spéc. n° 18, p. 631 ; J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, op. cit., n° 977, p. 546 ; P. Fouchard, L’arbitrage international en France après le décret du 12 mai 1981, JDI 1982. 374 ; P. Bellet et E. Mezger, L’arbitrage international dans le NCPC, Rev. crit. DIP 1981. 611, spéc. p. 648).

En l’espèce, l’erreur de l’arbitre, à la supposer établie, aurait consisté en l’annulation injustifiée d’un contrat de sous-traitance faute de caution garantissant le paiement du sous-traitant. La sentence qui annule le contrat n’exposerait pas le sous-traitant à un risque de non-paiement ; l’économie nationale ne serait donc pas confrontée au danger de faillites en cascade. Seul l’intérêt de l’entrepreneur serait lésé alors que sa protection n’est pas l’objectif de la loi du 31 décembre 1975.

Le contrôle du juge de l’annulation n’a en effet pas pour but de protéger les droits des parties au regard des règles impératives mais doit se contenter de contrôler si la solution de la sentence porte atteinte aux objectifs et valeurs que les règles d’ordre public ont pour but de sauvegarder. On peut toutefois penser que l’extension de l’arbitrabilité ratione personae aux parties faibles appelle un infléchissement de la jurisprudence sur ce point.

Curieusement, la cour retient en outre que « l’arbitre n’a pas annulé le contrat de sous-traitance au seul motif de l’absence de remise par l’entrepreneur principal au sous-traitant d’une garantie bancaire au moment de la signature du contrat de sous-traitance, mais a aussi constaté l’absence de toute caution ». Elle se livre ici à un examen approfondi de la motivation de la sentence pour juger qu’au surplus, l’arbitre a retenu une interprétation correcte de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 (pour un ex. récent d’un contrôle étendu de la bonne application par l’arbitre de la loi du 31 déc. 1975, v. Paris, 23 oct. 2018, CMO c. Lavalin, Rev. arb. 2019. 508, note V. Chantebout).

Le bien-fondé et la rectitude du raisonnement de l’arbitre confortent donc la décision de rejet du recours en annulation. On a ainsi vu les cours d’appel se livrer à un contrôle très approfondi de la motivation des sentences lorsqu’un tel contrôle permettait de sauver des sentences qui auraient autrement été compromises (v. V. Chantebout, Le principe de non-révision des sentences arbitrales, thèse Paris II, ss la dir. de C. Jarroson, 2007, spéc. nos 266 s.). Dans la mesure où un tel examen n’était pas nécessaire en l’espèce pour rejeter le recours, il est permis d’y voir le signe que la cour d’appel de Paris entend maintenir à l’avenir l’intensité du contrôle auquel elle se livre en matière d’ordre public depuis 2014 (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 1004, p. 996). La décennie qui s’ouvre nous le dira.