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L’appréciation casuistique de l’originalité des photographies publicitaires

Susciter l’achat d’un objet du quotidien en une image est un savoir-faire précieux. Pour cela, de nombreuses sociétés nouent des relations avec des photographes professionnels par des licences temporaires. Mais l’utilisation des photographies au-delà de la durée prévue suscite l’émoi des auteurs qui dénoncent une atteinte à leurs droits. Un droit d’auteur est reconnu lorsque le photographe témoigne de choix libres et créatifs, preuves délicates dans le cadre de photographies publicitaires commanditées.

À ce titre, l’arrêt commenté mérite notre intérêt à plusieurs égards. Entre 2013 et 2015, une photographe professionnelle conclut plusieurs contrats de commande avec une célèbre société de cosmétique, L’ORÉAL, pour plusieurs produits des gammes de la marque KÉRASTASE, à savoir des tubes, des pots et des flacons de soins capillaires. Pour chaque photographie, une autorisation d’une durée de douze à dix-huit mois est octroyée en faveur de l’ensemble des filiales et pour tout support.

En 2019, la photographe informe l’entreprise de la persistance de vingt-sept photographies toujours disponibles sur les réseaux sociaux en dehors du contrat et signale plus de deux-cents adaptations de trente-trois autres photographies utilisées en décor, diffusées en ligne et sur les packagings sans autorisation. Elle exige une énième régularisation des paiements pour ces utilisations. Face au refus, elle assigne l’entreprise en justice et dénonce le non-respect du contrat, ainsi que l’atteinte à ses droits moraux et patrimoniaux.

Le 6 juillet 2021, le Tribunal judiciaire de Paris n’engage pas la responsabilité contractuelle. Concernant l’action en contrefaçon, il conteste l’originalité des vingt-quatre photographies et juge l’action, pour les trois autres, prescrite, ainsi que pour l’ensemble de celles adaptées.

L’appel interjeté par la photographe laisse place à un combat d’arguments principalement concentrés sur l’originalité. Sur la prescription, l’appelante mentionne que la durée quinquennale commence à compter du jour où le titulaire a eu connaissance des actes litigieux, soit en 2017/2018. Elle réitère ensuite les atteintes à ses droits moraux et patrimoniaux, ce qui nécessite la preuve de l’originalité des vingt-quatre photographies en cause. Pour chacune d’entre elles, elle détaille le processus créatif par un argumentaire approfondi des choix techniques et créatifs opérés. Enfin, elle reproche les centaines d’adaptations des trente-trois photographies adaptées sans autorisation, considérant l’action non prescrite. Elle exige la suppression totale et mondiale sous huitaine de l’ensemble du contenu litigieux, ainsi qu’un dédommagement de plus d’un demi-million d’euros.

À cela, la société répond que les photographies ne peuvent être originales : ce sont des packshots à visée publicitaire, des clichés de produits seuls ou groupés qui doivent rester fidèles à l’image et à l’univers de la marque, ce qui contraint les choix entrepris. Elles sont le fruit d’un savoir-faire purement technique attendu de la part d’un photographe professionnel et ne peuvent être distinguées de celles réalisées par tout autre photographe. De plus, au-delà du manque de preuve, aucune nouvelle exploitation n’a été effectuée et les publications reprochées ont été « écrasées » par les publications suivantes. Quant aux adaptations, celles-ci entrent dans le champ contractuel.

La Cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement de première instance. Elle confirme l’absence de responsabilité contractuelle qu’il s’agit d’évacuer pour s’intéresser à la contrefaçon. À cet égard, elle rappelle que le point de départ du commencement de la prescription est fixé à la date de connaissance des faits, soit en 2018/2019. L’action n’est donc pas prescrite.

S’agissant des atteintes aux droits moraux et patrimoniaux, les juges apprécient d’abord l’originalité des photographies au cas par cas. Pour onze d’entre elles, ils ne reconnaissent aucune « démarche personnelle et créatrice qui porterait l’empreinte de la personnalité de la photographe ». Les photographies commandées sont des packshots, des visuels sans mise en scène particulière destinés à promouvoir des produits de consommation courante. Les choix, contraints par l’objet même du contrat, ne sont que révélateurs d’une technique photographique. Les juges confortent leur raisonnement par une comparaison avec les photographies analogues d’autres photographes apportées par l’entreprise.

Pour les seize photographies jugées originales, il s’agit d’analyser la licéité des reproductions et représentations. Là encore, la cour infirme la première approche.

Depuis l’expiration de l’autorisation, douze d’entre elles étaient toujours disponibles en ligne en 2019 par d’anciennes publications. Mais, les publications n’étant plus consultées, le dédommagement est minime, chiffré à 12 000 €. Concernant les adaptations des...

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