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« L’art de la chronologie » ou la nullité du CCMI conclu alors que le maître n’est pas (encore) propriétaire

La validité du CCMI est conditionnée à la propriété du terrain par le maître de l’ouvrage ou, à tout le moins, au bénéfice d’une promesse de vente. 

par Gatien Casu et Stéphane Bonnetle 12 juin 2020

Il semble normal, d’un point de vue chronologique, que la personne souhaitant faire construire une maison soit préalablement propriétaire du terrain sur lequel cette construction doit être assise. Cette évidence se retrouve formalisée à l’article L. 231-2 du code de la construction et de l’habitation, lequel impose aux parties de désigner le terrain destiné à l’implantation de la construction et de mentionner le titre de propriété du maître de l’ouvrage ou les droits réels lui permettant de construire.

Il reste que la logique du droit ne suit pas nécessairement la logique du temps et qu’il s’avère parfois nécessaire d’en renverser le cours naturel. En effet, la règle posée à l’article L. 231-2 méconnaît cette réalité que le terrain est parfois proposé indirectement par le constructeur, si bien que la signature du contrat de construction de maison individuelle conditionne, en fait, la vente de ce dernier. Or, si l’acquisition du terrain doit précéder la conclusion du contrat, comment s’assurer qu’une fois le terrain acquis, le maître d’ouvrage n’ira pas prospecter ailleurs et signer la construction de la maison chez un concurrent ?

Fort heureusement, l’article L. 231-4 a du code de la construction et de l’habitation permet au constructeur et au maître d’ouvrage de signer le CCMI, alors même que le second n’est pas encore officiellement propriétaire. Le texte pose toutefois une exigence : le contractant doit au moins bénéficier d’une promesse de vente, laquelle rend vraisemblable l’acquisition définitive du terrain dans le délai imparti pour lever les conditions suspensives.

Il restait à savoir comment il fallait interpréter cette exception.

Devait-elle s’interpréter strictement, conformément à l’adage ? N’était-il pas possible, au contraire, d’en étendre le champ d’application ? C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans l’arrêt commenté du 14 mai 2020.

En l’espèce, Madame G. conclut le 29 juin 2011 un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan auprès d’un constructeur. Toutefois, ce contrat est signé alors que le terrain d’assiette de la construction appartient encore aux parents de Madame G., précisant toutefois qu’une donation est « en cours » et qu’elle doit intervenir dans le délai de réalisation des conditions suspensives.

L’acte authentique de donation ayant été signé le 22 juillet 2011, le contrat reçoit exécution, du moins jusqu’à ce que Madame G. mette fin à sa relation contractuelle avec le constructeur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 4 mai 2012. Ce dernier demande logiquement le règlement d’une indemnité de résiliation, demande que Madame G. accueille en sollicitant reconventionnellement la nullité du CCMI et, subsidiairement sa résiliation aux torts du constructeur.

En appel, la Cour rejette la demande de nullité, considérant que, si Madame G. n’était pas propriétaire du terrain au moment de la signature du contrat, cet événement avait été érigé en condition suspensive conformément aux prescriptions de l’article L. 231-4, I).

Saisie d’un pourvoi, la Cour casse sèchement l’arrêt au motif « qu’au jour de la conclusion du contrat, Madame G. ne disposait ni d’un titre de propriété ni de droits réels ni d’une promesse de vente ».

Cet arrêt, qui a les honneurs d’une publication au Bulletin, appelle deux remarques se situant chacune sur deux plans de réflexion différents : la première est d’ordre juridique et objectif, la seconde est d’ordre sentimental et, par voie de conséquence, naturellement subjectif.

Appréciation objective : d’un point de vue juridique, la solution de la Cour de cassation est d’une rectitude impeccable. La Cour se pose en garant de la lettre d’un texte dont la clarté est indéniable. Or, comme chacun sait : interpretatio cessat in claris. Il n’y a donc pas lieu d’interpréter et d’élargir le champ d’une exception dont le caractère limitatif doit, au contraire, être présumé.

Ajoutons à cela que le contractant bénéficiant d’une promesse de vente se trouve dans une situation plus favorable, quant à l’acquisition du terrain, que celui qui ne dispose d’autre garantie que la parole de son vendeur et l’on comprend que la Cour de cassation ait refusé d’assimiler des situations qui, en fait comme en droit, s’avèrent fondamentalement différentes.

Remarque subjective : si, juridiquement, la position de la Cour de cassation n’est pas contestable, il reste que l’on éprouve un sentiment de gêne à imaginer qu’un maître de l’ouvrage, propriétaire d’un terrain, puisse obtenir la nullité d’un CCMI au motif que ce dernier a été conclu alors qu’il n’était pas encore propriétaire ! Cela d’autant que la nullité du contrat n’est pas sollicitée parce que le maître de l’ouvrage aurait subi un trouble quelconque (il n’y a ni erreur, ni dol, ni violence), mais parce que son exécution ne lui convient pas et qu’il cherche a posteriori, tous les moyens possibles pour s’en débarrasser.

Certes, on ne manquera pas d’opposer que la preuve d’un préjudice n’est pas une condition au prononcé de la nullité. Ainsi en est-il à chaque fois que le respect d’une forme est prescrit ad validitatem. Mais dans ces hypothèses, il s’agit généralement de protéger une partie faible contre elle-même, ou contre les abus potentiels de l’autre partie. Or, en l’espèce, le fait pour le maître de l’ouvrage de s’engager sous condition suspensive de l’acquisition du terrain le met-il en danger ? Poser la question, c’est déjà y répondre ! De deux choses l’une : soit la condition se réalise, et le contrat prend effet dans les termes voulus par les parties, soit la condition défaille et les sommes éventuellement versées par le maître de l’ouvrage lui sont immédiatement restituées. Alors, pourquoi ne pas considérer que, si nullité il doit y avoir, elle ne peut être invoquée par le maître de l’ouvrage qu’entre la date de signature du contrat et la date de sa réalisation ? En d’autres termes, la réalisation de la condition viendrait couvrir la nullité, à la manière d’une confirmation (C. civ., art. 1178). Le maître de l’ouvrage ne pourrait pas instrumentaliser les règles de la nullité pour obtenir, un an plus tard, la sanction d’une mauvaise exécution du contrat.

Aussi, la solution posée par la Cour de cassation semble particulièrement rude pour le constructeur. Fort heureusement, sa jurisprudence relative à la nullité du CCMI a récemment évolué à la faveur d’un contrôle de proportionnalité venu tout droit de la Cour de Strasbourg. En effet, la Cour considère depuis un arrêt du 15 octobre 2015 (Civ. 3e, 15 oct. 2015, n° 14-23.612, Dalloz actualité, 6 nov. 2015, obs. F. Garcia isset(node/175346) ? node/175346 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>175346) que la démolition de la construction érigée en application d’un contrat annulé n’est pas systématique et qu’elle ne peut intervenir que si les désordres dont elle est entachée n’ouvrent d’autre solution que la destruction. Par conséquent, s’il peut sembler particulièrement sévère de prononcer la nullité d’un CCMI au seul motif qu’il a été souscrit sous une condition suspensive irrégulière, la perte pour le constructeur ne sera que du profit escompté, sauf à ce qu’il ait si mal travaillé que la destruction de la maison soit indispensable. Mais alors, il s’agira simplement de sanctionner la faute inexcusable qu’il aura préalablement commise.

En définitive, cette décision de la Cour de cassation semble plus équilibrée que ne le laissait suggérer une lecture cursive. On conseillera toutefois aux constructeurs d’en retenir la leçon : la chronologie doit, toujours, être respectée !