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L’art de rien, une reconnaissance en paternité artistique

Qui est l’auteur d’une œuvre ? Celui qui la conçoit ou celui qui la réalise ? C’est un débat ancien mais ô combien actuel qui s’est plaidé vendredi devant le tribunal judiciaire de Paris où le sculpteur Daniel Druel revendique la paternité de neuf œuvres de l’artiste contemporain Maurizio Cattelan, dont les provocations alimentent passions ou polémiques et aimantent un marché de l’art spéculatif.

Les mains contre la tête. Le réalisateur contre le concepteur. Daniel Druet, sculpteur de 81 ans, Grand Prix de Rome en 1968, contre Maurizio Cattelan, 61 ans, artiste conceptuel majeur. Le premier a été le modeleur exclusif pendant près de dix ans du musée Grévin à Paris. Le second est une figure iconoclaste de l’art contemporain.

Daniel Druet a commencé à travailler en 1999 avec Maurizio Cattelan. Ce dernier lui a commandé des sculptures en cire de Jean-Paul II. Mise en scène par Cattela, elle devient la Nona Ora, le pape écrasé par une météorite. De John Fitzgerald Kennedy, Now, représentant le président américain dans un cercueil, ou d’Adolf Hitler, Him, un enfant de dos agenouillé dont le spectateur découvre en le contournant le visage d’Hitler. Cette sculpture s’est vendue 17 millions de dollars en 2016.

Après une collaboration fructueuse et rémunératrice pour le sculpteur, la brouille. Daniel Druet a demandé au galeriste Emmanuel Perrotin, que son nom soit associé comme réalisateur-sculpteur aux œuvres de Cattelan. Qui n’y fera jamais droit. Et voilà la procédure. Le galeriste ainsi que la Monnaie de Paris, qui en 2016 a organisé l’exposition « Cattelan, Not afraid of love », mais pas Cattelan, sont assignés par Druet qui revendique la paternité exclusive de neuf œuvres. La Monnaie de Paris va attraire l’artiste dans la procédure. Le seul auteur des œuvres, selon l’assignation, c’est Daniel Druet.

Vendredi, face à l’afflux, l’audience prévue dans une petite salle se transporte dans une plus grande salle du tribunal judiciaire de Paris. Maurizzio Cattelan est le grand absent. Son galeriste est présent. Tout comme M. Druet.

Plaidoiries minutées, procédure civile, chaque partie défend ses arguments. Pour l’avocat de M. Druet, Jean-Baptiste Bourgeois, l’auteur est son client. Au sens de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral. »

« Cherchez l’artiste, trouvez son nom »

« Daniel Druet n’a pas été choisi par hasard. Des sculpteurs qui sculptent comme lui, il n’y en a pas cinq. Ils ont fait l’effort d’aller le chercher. S’ils voulaient un exécutant, ils n’avaient qu’à prendre un carreleur », s’enflamme Me Bourgeois. Maurizio Cattelan a juste donné quelques indications à Daniel Druet. « Une idée n’est pas protégeable, il faut quelqu’un pour la réaliser. » Et le seul à pouvoir le faire est son client. « Il infuse l’esprit dans la matière. C’est ça l’acte de création. »

« De son propre aveu, Maurizio Cattelan est incapable de sculpter, de dessiner, de peindre », poursuit l’avocat tandis qu’Emmanuel Perrotin, le galeriste de l’artiste italien s’agite et s’énerve derrière ses avocats. « Si Maurizio Cattelan avait remplacé Daniel Druet, aurait-on les mêmes sculptures ? Non ! » poursuit l’avocat qui précise ne nourrir aucun mépris pour le travail de M. Cattelan à l’inverse de la partie adverse pour le travail de son client. « Non, ce n’est pas la fin de l’art conceptuel, c’est la fin d’une époque », tient-il à préciser.

« Même si l’on ne touche pas à la matière, même si l’on ne met pas le doigt dessus, dès lors que l’on donne des instructions, on peut être l’auteur exclusif d’une œuvre », lui rétorque l’avocat de la galerie Perrotin, le bâtonnier Pierre-Olivier Sur, dont les conclusions s’appuient sur le travail du professeur de droit Pierre-Yves Gautier.

« Maillon interchangeable »

Les instructions données par l’artiste au « façonnier » sont « d’une précision mathématique », rétorque l’avocat donnant lecture au tribunal des demandes spécifiques de Maurizio Cattelan, transmises par l’un de ses assistants à Daniel Druet pour chacune des sculptures. Angle d’inclinaison tête, buste, couleur des visages, position des mains… « Qui donne l’ordre, qui est le maître, qui est le créateur ? Évidemment Maurizio Cattelan. Qui est l’exécutant ? Évidemment Daniel Druet », assène-t-il présentant ce dernier comme un « maillon interchangeable ».

La preuve, la Nona Ora présentée à la Monnaie de Paris n’a pas été réalisée par le sculpteur. « Si Daniel Druet n’existe pas, les œuvres de Maurizio Cattelan existent. Si Maurizio Cattelan n’existe pas, les œuvres de Daniel Druet sont à renvoyer au musée Grévin. »

Daniel Druet considère d’ailleurs que cette sculpture est une atteinte à son droit d’auteur. Un non-sens pour l’avocat de la Monnaie de Paris, Renaud Le Gunehec. « Chercher l’auteur, c’est chercher l’œuvre de l’esprit, là où est l’expression du génie créatif. » Car la mise en scène, la position des statues, la composition sont l’œuvre de Maurizio Cattelan.

« Le péché originel de cette procédure intentée revient à exproprier de ses droits d’auteur Maurizio Cattelan sans le mettre en cause », s’est étonné son avocat, Me Éric Andrieu pour qui le tribunal ne peut condamner son client sur les demandes de M. Druet qui réclame près de quatre millions.

Dans leurs conclusions écrites, les avocats du galeriste et de Maurizio Cattelan ont puisé parmi les historiens de l’art pour éclairer le tribunal sur l’art conceptuel, défini non pas sur ses propriétés esthétiques d’une œuvre mais par le concept véhiculé par l’œuvre.

Ainsi, de la distinction entre l’artiste et le façonnier donnée par un ancien directeur du Centre Pompidou, Alfred Pacquement : « S’est largement répandue la tendance chez beaucoup d’artistes […] d’imaginer un concept, dont ils définissent les contours par des choix esthétiques, qui font appel à des fabricants pour la réalisation matérielle, en leur fournissant des directives appropriées […] une proportion notable de la sculpture contemporaine relève de cette catégorie. Pour des raisons de dimensions, de compétence technique d’usage de certains matériaux. […] Il y a un créateur d’une part et un façonnier de l’autre, recruté et rémunéré pour ce travail d’exécution matérielle de l’objet d’art conceptuel, ainsi fixé dans une forme, selon la volonté de l’artiste et de lui seul. »

À l’issue de sa plaidoirie, Me Andrieu a cité un extrait du jugement de 1928 opposant le sculpteur Brancusi aux douanes américaines qui considéraient l’une de ses sculptures non comme une œuvre mais une marchandise et devant être taxée comme telle. Les douanes ont perdu leur procès : « Une école d’art dite moderne s’est développée, dont les tenants tentent de représenter des idées abstraites plutôt que d’imiter des objets naturels. Que nous éprouvions ou non de la sympathie pour ces idées et les écoles qui les représentent, nous pensons que leur existence et leur influence sur le monde de l’art doivent être prises en compte par la Cour ».

Qui est le père, entre autres, du pape écrasé par une météorite, Maurizio Cattelan ou Daniel Druet ?

Fumée blanche le 8 juillet au tribunal judiciaire de Paris.