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Article
L’article 371-4, alinéa 2, du code civil n’est pas (non plus) inconventionnel
L’article 371-4, alinéa 2, du code civil n’est pas (non plus) inconventionnel
La Cour de cassation, après avoir refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC visant l’article 371-4, alinéa 2, du code civil, affirme sans surprise, dans la même espèce, que cet article n’est pas non plus contraire aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme ni à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
par Laurence Gareil-Sutterle 27 juillet 2020
L’arrêt de la première chambre civile rendu le 24 juin 2020 (pourvoi n° 19-15.198) devrait paraître familier aux lecteurs de cette rubrique. En effet, il intervient dans une affaire déjà évoquée ici puisque la demanderesse au pourvoi avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant l’alinéa 2 de l’article 371-4 du code civil, question que la Cour de cassation avait refusé de transmettre par un arrêt du 6 novembre 2019 (sur lequel, v. Dalloz actualité, 21 nov. 2019, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2019. 2182 ; AJ fam. 2019. 648, obs. M. Saulier ). Pour rappel, la situation est celle d’un couple homosexuel féminin ayant mené à bien un projet parental après plusieurs années de vie commune. Le couple s’est séparé deux ans et demi après la naissance de l’enfant et la mère ne souhaitait pas que son ancienne compagne maintienne des liens avec son enfant. Cette dernière a donc agi en justice pour obtenir le maintien de ces liens. La cour d’appel de Rennes ayant rejeté ses demandes, elle a formé un pourvoi en cassation qui est rejeté par l’arrêt sous examen.
La demanderesse, dans un moyen qui ne comportait pas moins de quatorze branches, invoquait tout d’abord divers griefs visant à démontrer l’inconventionnalité de l’alinéa 2 de l’article 371-4 du code civil au regard des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
L’article 371-4, alinéa 2, du code civil prévoit que si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables. Selon un raisonnement proche de celui tenu au soutien de la QPC, la demanderesse soulignait que cet article ne prévoit, pour le parent d’intention ou le parent de fait, selon les expressions utilisées par le pourvoi, aucune obligation de maintenir des liens avec l’enfant qu’il a élevé, et, symétriquement, ne lui confère pas de droit de visite et d’hébergement de principe, principe qui ne pourrait être écarté qu’en cas de motifs graves. Il s’agissait donc de reprocher implicitement à cet article de ne pas reconnaître à ce « parent » les mêmes droits et devoirs en matière de maintien des relations avec l’enfant qu’il a élevé que ceux reconnus au père ou à la mère dont le lien de filiation a été juridiquement établi, éventuellement par le biais d’une adoption de l’enfant du conjoint, désormais possible dans les couples homoparentaux. C’est en cela que cet article serait contraire au droit au respect de la vie privée et familiale (Conv. EDH, art. 8), au principe de non-discrimination (Conv. EDH, art. 14) et à l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit primer dans toute décision le concernant (CIDE, art. 3-1).
Sur cette question de l’inconventionnalité de l’article même, la Cour de cassation affirme qu’« en ce qu’il tend, en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait, en lui-même, méconnaître les exigences conventionnelles résultant des articles 3, § 1, de la Convention de New York et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. / Il ne saurait davantage méconnaître les exigences résultant de l’article 14 de cette même Convention dès lors qu’il n’opère, en lui-même, aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d’autres dispositions légales selon lesquelles la création d’un double lien de filiation au sein d’un couple de même sexe implique, en l’état du droit positif, l’adoption de l’enfant par le conjoint de son père ou de sa mère ».
La réponse de la Cour de cassation ne surprend pas, surtout après le refus de transmettre la QPC. En effet, cette QPC était déjà fondée sur une supposée contradiction de l’article 371-4, alinéa 2, du code civil à l’intérêt supérieur de l’enfant (atteinte à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant garantie par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946), au principe d’égalité (tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), qu’on peut voir comme le miroir du principe de non-discrimination, et au droit au respect de la vie familiale (atteinte au droit à la vie familiale normale de l’enfant et de son parent de fait garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946). Cela explique qu’on retrouve ici dans la réponse de la Cour de cassation aux moyens soutenant une inconventionnalité, les arguments employés là pour rejeter l’inconstitutionnalité de cet article. Il convient donc de renvoyer pour de plus amples commentaires aux différentes analyses de l’arrêt de rejet de la QPC, largement transposables. La Cour de cassation se serait sans doute contredite si elle avait décidé le contraire. Cela explique également le rejet de la demande d’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme formulée devant elle.
Les autres branches du moyen reprochaient à la cour d’appel d’avoir, en application de l’article 371-4 du code civil, refusé tout droit de visite et d’hébergement à la compagne de la mère sans caractériser des motifs graves ou, plus généralement, des motifs propres à justifier ce refus. Cet argumentaire fourni reposait principalement sur deux angles d’attaque.
Le premier consistait à reprocher à la cour d’appel d’avoir refusé de lui accorder un droit de visite et d’hébergement pour des motifs impropres à exclure un tel droit : comportement violent de la demanderesse envers la mère de l’enfant, incapacité à préserver l’enfant du conflit du couple, craintes de l’enfant, relations conflictuelles du couple. Selon la demanderesse, aucun de ces motifs ne caractérisait des motifs graves et/ou ne justifiait qu’on lui refuse un droit de visite et d’hébergement sur l’enfant qu’elle avait élevé… Elle invoquait en conséquence, selon les branches du moyen, des violations de l’article 371-4 du code civil et de l’article 3-1 de la CIDE ou un manque de base légale à l’égard des mêmes articles.
Le second angle consistait à demander implicitement un contrôle de proportionnalité puisque le pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale en lui refusant un droit de visite et d’hébergement sur l’enfant qu’elle avait élevé pendant les premières années de sa vie sans caractériser de risques pour l’enfant.
Même si la Cour de cassation ne se livre pas à proprement parler à un contrôle de proportionnalité, c’est sur cette voie qu’elle va s’engager pour répondre à l’ensemble des arguments soulevés. En effet, la Cour de cassation, après avoir écarté l’inconventionnalité de l’article 371-4 du code civil, reprend en détail les différents motifs qui ont amené la cour d’appel à refuser à la demanderesse tout droit de visite et d’hébergement sur l’enfant. Et si elle s’en remet logiquement à la souveraineté des juges du fond quant à l’appréciation des divers éléments relevés au regard de l’intérêt de l’enfant, elle retient que les juges du fond ont, par une décision motivée, tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et justifié leur décision « sans porter atteinte de façon disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale » de la demanderesse. On voit bien que, comme dans un contrôle de proportionnalité « classique », le contrôle de la Cour de cassation a porté sur l’effectivité d’une balance faite in concreto par les juges du fond entre l’intérêt de l’enfant et l’atteinte à la vie privée et familiale de la demanderesse.
Que retenir de toute cette affaire ? Assurément, d’un point de vue strictement juridique, que l’article 371-4, alinéa 2, du code civil, en ce qu’il prévoit un droit de visite et d’hébergement à l’égard des tiers ayant élevé l’enfant moins « impératif » que le maintien des liens entre l’enfant et son père ou sa mère légal(e), n’est ni inconstitutionnel ni inconventionnel.
Plus largement, cette espèce permet aussi de souligner combien l’article 371-4, alinéa 2, du code civil est mal adapté à la situation des parents d’intention d’un enfant né dans le cadre de ce qu’on appelle désormais couramment un « projet parental ». Ce « tiers » s’estime en effet plus parent que beau-parent (entendu comme l’homme ou la femme ayant vécu avec l’enfant de l’autre, né d’une précédente relation, et auquel s’applique aussi l’article), d’où la tentative de la demanderesse d’exiger une inversion des principes et qu’un droit de visite et d’hébergement soit reconnu sauf motifs graves comme c’est le cas pour les parents juridiques.
Il convient néanmoins de rappeler que si l’article 371-4 du code civil n’est pas adapté à cette situation, le législateur a fait un pas important envers ces « tiers » particuliers en permettant aux couples homosexuels de se marier et donc de se voir reconnaître comme parent légal via l’adoption. Demain, il sera même peut-être possible d’établir un double lien de filiation, en amont, en cas de recours à une procréation médicalement assistée dans les couples de femmes, mariées ou non. Cela réduira sans doute les hypothèses dans lesquelles on demandera à l’alinéa 2 de l’article 371-4 du code civil plus qu’il ne peut donner…
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