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L’article L. 121-10 du code des assurances et le fonds de commerce cédé en procédure collective

L’article L. 121-10 du code des assurances ne distingue pas selon que le transfert de propriété porte sur un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel ni selon le mode d’aliénation de la chose assurée et s’applique en cas de cession d’un fonds de commerce ordonnée lors d’une procédure de redressement judiciaire.

par Rodolphe Bigotle 15 novembre 2019

Afin d’éviter une rupture de garantie – le « vide assurantiel » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, nos 368 et 369) –, l’article L. 121-10 du code des assurances organise un transfert automatique du contrat d’assurance, par suite d’une transmission de la propriété d’un bien assuré.

Le texte pose régulièrement de sérieuses difficultés (dernièrement, v. A. Pimbert, Aliénation du bien assuré : qui a droit à l’indemnité d’assurance ?, RGDA mai 2019, n° 116n0, p. 10). De longue date, il est plus ou moins critiqué. Il serait « inutile la plupart du temps et nuisible pour le reste, puisque sa disposition n’a jamais été justifiée en théorie et ne se justifie plus en pratique » (P. Vaillier, Faut-il abroger l’article L. 121-10 du code des assurances ?, RCA 2000, n° 11, chron. 26). De même, « sous réserve des règles particulières aux véhicules à moteur, le code des assurances est venu imposer un mécanisme à double détente, à savoir une transmission automatique et impérative du contrat d’assurance, assortie d’une faculté de résiliation réciproque. Mais le régime applicable à cette cession conduit à douter de la cohérence, voire de l’utilité du dispositif » (A. Pimbert, Clair-obscur sur le transfert du contrat d’assurance en cas d’aliénation de la chose assurée, RGDA déc. 2016, n° 114a8, p. 588). Par ailleurs, il est relevé que « la loi belge de 1992, comme toujours, est plus équilibrée et répond à la pratique » en prenant « un parti diamétralement opposé à notre code qui prétend que “l’assurance continue de plein droit” » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, op. cit., nos 368 et 369).

Une affaire récente témoigne à nouveau de ces difficultés. Une société exploitait une résidence hôtelière. Pour celle-ci, elle avait souscrit, auprès d’un assureur, une police d’assurance « multirisque hôtel-restaurant 100 % pro ». La société exploitante a été placée en redressement judiciaire par jugement du 22 janvier 2010. Un arrêt du 13 juillet 2011 a ordonné la cession du fonds de commerce de la société débitrice (la cédante) au profit d’une autre société (la cessionnaire). Dans la nuit du 2 au 3 septembre 2011, un incendie s’est déclaré dans la résidence hôtelière. Le feu a provoqué des dégâts matériels. Ces dommages ont justifié la fermeture totale de l’établissement du 3 septembre au 17 octobre 2011 et sa fermeture partielle jusqu’en juin 2012. Un acte de « cession d’entreprise » a été signé par l’administrateur judiciaire de la société cédante et la société cessionnaire le 5 octobre 2011 avec effet au 1er octobre 2011. L’assureur a refusé de prendre en charge les pertes d’exploitation de la société cessionnaire. Celle-ci l’a assignée alors en indemnisation.

Par arrêt du 1er mars 2018, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a constaté que la société cessionnaire a la qualité d’assurée. À ce titre, elle a condamné l’assureur à indemniser la société cessionnaire de sa perte d’exploitation à hauteur de 413 493 € avec intérêts de droit à compter du 1er juillet 2012 (Aix-en-Provence, 8e ch. A, 1er mars 2018).

L’entreprise d’assurances a formé un pourvoi formé, contre l’arrêt rendu le 1er mars 2018 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans le litige l’opposant à la société cessionnaire, défenderesse à la cassation.

Par un arrêt du 24 octobre 2019, la deuxième chambre civile rejette le pourvoi formé par l’assureur en précisant des solutions dégagées sous l’article L. 121-10 du code des assurances.

Au préalable, rappelons que ce texte, tel qu’en vigueur (modifié par ordonnance n° 2017-1433 du 4 octobre 2017 - art. 5), dispose qu’« En cas de décès de l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée, l’assurance continue de plein droit au profit de l’héritier ou de l’acquéreur, à charge par celui-ci d’exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat.
Il est loisible, toutefois, soit à l’assureur, soit à l’héritier ou à l’acquéreur de résilier le contrat. L’assureur peut résilier le contrat dans un délai de trois mois à partir du jour où l’attributaire définitif des objets assurés a demandé le transfert de la police à son nom.
En cas d’aliénation de la chose assurée, celui qui aliène reste tenu vis-à-vis de l’assureur au paiement des primes échues, mais il est libéré, même comme garant des primes à échoir, à partir du moment où il a informé l’assureur de l’aliénation par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique.
Lorsqu’il y a plusieurs héritiers ou plusieurs acquéreurs, si l’assurance continue, ils sont tenus solidairement du paiement des primes.
Il ne peut être prévu le paiement d’une indemnité à l’assureur dans les cas de résiliation susmentionnés.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au cas d’aliénation d’un véhicule terrestre à moteur
 ».

L’article L. 121-10, alinéa 3, a été modifié par la loi n° 2019-733 du 14 juillet 2019 (art. 1). Il prévoit désormais qu’« en cas d’aliénation de la chose assurée, celui qui aliène reste tenu vis-à-vis de l’assureur au paiement des primes échues, mais il est libéré, même comme garant des primes à échoir, à partir du moment où il a informé l’assureur de l’aliénation par lettre, tout autre support durable ou moyen prévu à l’article L. 113-14 ». Conformément à l’article 6 de la loi du 14 juillet 2019, ces dernières dispositions entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le 1er décembre 2020.

L’article L. 113-14 auquel il est, in fine, renvoyé, également modifié par l’ordonnance du 4 octobre 2017, précise que, « dans tous les cas où l’assuré a la faculté de demander la résiliation, il peut le faire à son choix, soit par une déclaration faite contre récépissé au siège social ou chez le représentant de l’assureur dans la localité, soit par acte extrajudiciaire, soit par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique, soit par tout autre moyen indiqué dans la police » (sur la dématérialisation de la relation contractuelle d’assurance, v. R. Bigot, « L’assurance, le droit et le digital : un mauvais remake du “bon, la brute et le truand” ? », in Le digital et l’assurance, XXIIe séminaire de l’Association internationale des établissements francophones de formation de l’assurance (AIEFFA) du 6 novembre 2017, L. Mayaux (dir.), Maison de l’assurance et de l’actuariat/Université Claude Bernard (Lyon I), RGDA, janv. 2018, n° 115h0, p. 8 s.).

Tout d’abord, dans sa décision du 24 octobre 2019, sur la première branche du moyen unique, non fondée, la haute juridiction rappelle préalablement mais in extenso le principe énoncé à l’article L. 121-10, alinéa 1er, du code des assurances. Puis elle précise que « cette disposition impérative, qui ne distingue pas selon que le transfert de propriété, porte sur un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel ni selon le mode d’aliénation de la chose assurée, s’applique en cas de cession d’un fonds de commerce ordonnée lors d’une procédure de redressement judiciaire ». Elle en déduit qu’« ayant constaté qu’un acte de “cession d’entreprise” avait été signé le 5 octobre 2011, la cour d’appel en a exactement déduit que l’article L. 121-10 du code des assurances avait vocation à s’appliquer et que la transmission du contrat d’assurance accessoire à cette cession d’actif s’était effectuée de plein droit ».

Impératives et d’ordre public, ces dispositions générales de l’article L. 121-10 du code des assurances ayant trait à l’aliénation de la chose assurée sont issues de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1930. Elles ont été très tôt interprétées de manière large (Civ. 27 juill. 1948, D. 1948. 565, note P. L.-P.) comme ne restreignant pas la transmission de la police aux cas d’assurances de choses (Civ. 1re, 18 oct. 1955, D. 1956. 40 ; RGAT 1956. 131).

La deuxième chambre civile a déjà eu à juger, dans un arrêt du 13 juillet 2005, que l’article L. 121-10 du code des assurances « ne distingue pas selon le mode d’aliénation de la chose assurée et que la transmission du contrat d’assurance accessoirement à la cession d’un actif s’effectuant de plein droit, les dispositions de l’article L. 621-88 du code de commerce étaient sans application » (Civ. 2e, 13 juill. 2005, n° 03-12.533, Bull. civ. II, n° 195 ; D. 2005. 2336 ). En l’espèce, il en résultait que, lorsqu’une société ayant souscrit un contrat d’assurance « multirisques industriels » a été mise en redressement judiciaire, puis cédée, dans le cadre d’un plan de cession arrêté par un tribunal de commerce, les dispositions de l’article L. 621-88 du code de commerce (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005), qui prévoient que le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fournitures de biens ou services nécessaires au maintien de l’activité et que le jugement qui arrête le plan emporte cession de ces contrats, sont sans application, de sorte que le cessionnaire est tenu, à l’égard de l’assureur, du règlement des primes dues pour la période postérieure au jugement ayant arrêté le plan de cession.

Si plusieurs conditions d’application de l’article L. 121-10 sont exigées – l’existence du bien assuré et du contrat d’assurance, l’existence juridique du cédant, la transmission du contrat d’assurance et l’aliénation du bien assuré – une grande souplesse est laissée quant aux modalités de transfert de propriété, qui peuvent prendre la forme d’un échange, d’une vente, d’une donation, d’une donation-partage, d’une expropriation, d’un apport en société ou comme dans notre espèce, d’une cession judiciaire (J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, 35e éd., L’Argus de l’assurance éd., 2019, sous art. L. 121-10, p. 207).

Avec l’affaire commentée, les contours du principe sont plus précisément établis : peu importe tant le mode d’aliénation de la chose assurée que la nature du bien sur lequel porte le transfert de propriété (qui peut être tantôt mobilier ou immobilier, tantôt corporel ou incorporel).

Ensuite, sur la deuxième branche de l’unique moyen, inopérante, la Cour de cassation apporte une autre précision, à savoir que, « si l’article L. 121-10 du code des assurances met à la charge de l’acquéreur de la chose assurée toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat d’assurance, et notamment celle d’acquitter les primes à échoir à compter de l’aliénation, l’exécution de ces obligations n’est pas une condition de la continuation de plein droit de l’assurance au profit de l’acquéreur mais un effet de la transmission active et passive du contrat ».

La jurisprudence avait déjà admis que « le transfert de la chose assurée opère, en vertu de l’article L. 121-10 du code des assurances, la transmission active et passive, à l’acquéreur, du contrat d’assurance » (Civ. 1re, 28 juin 1988, n° 86-11.005, Bull. civ. I, n° 205 ; D. 1989. 242, obs. H. Groutel ; RGAT 1988. 770, note J. Bigot). Par conséquent, les acquéreurs d’un appartement ne sont pas bénéficiaires de la garantie et créanciers de l’indemnité d’assurance versée à la suite d’un incendie survenu antérieurement à la date prévue pour le transfert de propriété (Civ. 1re, 20 nov. 1990, n° 89-12.534, Bull. civ. I, n° 251).

Un auteur a souligné que « ce transfert automatique, qui fait abstraction de la personnalité de l’assuré, repose sur l’idée que le contrat d’assurance relatif à un bien est conclu en considération de ce bien et non pas de l’assuré. L’exposé des motifs de la loi du 13 juillet 1930 est d’ailleurs très net sur ce point : « Ce qui est essentiellement envisagé, c’est la chose assurée elle-même, sa nature, l’étendue des risques qu’elle court en raison de l’emploi qui en est fait » (exposé des motifs sous l’article 19 de la loi du 13 juillet 1930). Ainsi, l’assurance est conçue comme l’accessoire de la chose assurée et par conséquent la transmission de la propriété emporte celle du contrat d’assurance. Un tel système part donc du postulat, pour le moins discutable, que l’aliénation ne change pas le risque assuré […]. C’est bien le risque qu’entraîne la chose, par sa nature et son utilisation, qui est au cœur du contrat d’assurance. Et dans la mesure où le nouvel acquéreur supporte désormais les risques de la chose, il peut sembler logique qu’il dispose de l’assurance prenant ces risques. C’est lui qui dorénavant dispose de l’intérêt d’assurance » (A. Pimbert, art. préc., RGDA déc. 2016, n° 114a8, p. 588).

Il est à présent confirmé que la transmission est réellement de plein droit tout en étant précisé plus clairement que l’exécution des obligations de l’acquéreur ou cessionnaire-assuré n’est pas une condition de la continuation de plein droit de l’assurance à son profit mais un effet de la transmission active et passive du contrat. Pour le paiement de la prime, on retombe donc sur les sanctions classiques en cas de défaut, avec les deux procédures ouvertes à l’assureur, amiable ou judiciaire, à l’encontre du cessionnaire-assuré (v. A. Pimbert, L’essentiel du droit des assurances, 4e éd., Gualino, coll. « Les Carrés », 2019, p. 116 s.).

Enfin, sur les troisième et quatrième branches de ce même moyen unique, la deuxième chambre civile conclut que la cour d’appel « n’avait pas à répondre à des conclusions inopérantes relatives à l’absence de mention dans l’acte de cession d’entreprise de l’indemnisation des pertes d’exploitation postérieures à la cession » et a légalement justifié sa décision en ayant retenu que la cessionnaire avait la qualité d’assurée, qu’il y avait continuité des effets du contrat d’assurance entre la cédante et la cessionnaire, que « la section III 1-A du contrat d’assurance “multirisque hôtel-restaurant 100 % pro” prévoyait sans ambiguïté la prise en charge des pertes d’exploitation susceptibles d’être subies par l’assurée, qu’il était prévu que la période d’indemnisation s’achève au jour de la reprise normale d’activité dans les conditions les plus diligentes à dire d’expert sans pouvoir excéder deux ans et enfin que la perte d’exploitation de la cessionnaire en lien direct avec le sinistre couvrait la période comprise entre le 1er octobre 2011 et le 30 juin 2012 » (ibid.).

S’agissant des effets de la transmission légale, tel que cela a pu être relevé par la doctrine, « dès lors que les conditions sont réunies, la transmission du contrat s’effectue de plein droit, sans aucune formalité » (L. Perdrix, comm. sous art. L. 121-10, Code des assurances. Code de la mutualité, 25e éd., Dalloz, 2019, p. 235).

La doctrine explique que « le transfert du contrat d’assurance confère la qualité d’assuré à l’acquéreur. Même si l’article L. 121-10 du code des assurances ne le dit pas expressément, il ressort de l’évidence que l’assureur doit sa garantie à l’acquéreur, à partir du moment où ce dernier devient propriétaire » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, sous art. L. 121-10, p. 268).

Il a même été décidé que l’acquéreur, ou, comme en l’espèce, le cessionnaire, en plus de bénéficier de la garantie, a la possibilité d’exercer les actions en responsabilité dérivant du contrat d’assurance, notamment à l’encontre de l’assureur ayant manqué à son devoir de conseil à l’égard du précédent assuré, cédant ou vendeur du bien, avant la souscription initiale de la police d’assurance (Civ. 1re, 9 mai 2001, n° 98-20.107, Bull. civ. I, n° 118 ; AJDI 2001. 599 ; RDI 2001. 487, obs. G. Durry ; RTD civ. 2001. 875, obs. J. Mestre et B. Fages ; RGDA 2001. 1051, note D. Langé).

En définitive, « tout est donc fonction de ce transfert principal qui induit le transfert accessoire avec toutes les conséquences mécaniques qui s’ensuivent. Toute remise en cause du transfert de propriété réduit à néant celui de l’assurance » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, op. cit., 3e éd., LGDJ, Lextenso éd., 2018, n° 369, p. 362).