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L’Assemblée fait le bilan de la dernière loi sur l’immigration avant d’étudier la suivante

Avant la présentation du projet de loi asile immigration, déjà décrié, bilan de la dernière loi immigration.

par Pierre Januelle 16 février 2018

La commission des lois de l’Assemblée étudiait mercredi matin le rapport de la mission d’information sur la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France (v. Dalloz actualité, 24 févr. 2016, art. D. Poupeau isset(node/177488) ? node/177488 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>177488). Rédigé par deux députés, Guillaume Larrivé (LR) et Jean-Michel Clément (LREM), le rapport annonce la loi à venir (Dalloz actualité, 11 janv. 2018, art. P. Januel isset(node/188577) ? node/188577 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188577).

Une augmentation du nombre de titres et de refus d’admission

Le rapport commence par un bilan chiffré de la politique en matière d’immigration et d’éloignement. Sur les dernières années, alors que la primo-délivrance des titres familiaux stagnent, on note une forte augmentation de l’immigration économique, étudiante et humanitaire.

Dans cette dernière catégorie, les titres accordés aux victimes de traites (115 titres) et de violences conjugales (50) restent peu nombreux, mais en augmentation. La hausse concerne surtout les réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire : 89 307 décisions (hors mineurs accompagnants) ont été prises par l’OFPRA (+ 27 % par rapport à 2016), et 47 814 décisions ont été rendues par la CNDA (+ 11,3 %). Au total, 32 011 personnes ont bénéficié d’un statut de protection (hors mineurs accompagnants), soit une hausse de 20,8 % par rapport à 2016.

Lien vers le tableau « Les premiers titres de séjour des ressortissants de pays tiers en métropole »

Les « régularisations » d’étrangers en situation irrégulière sont passées de 23 294 en 2012 à 30 089 en 2017. Les non-admissions ont quadruplées, de 15 849 en 2015 à 63 845 en 2016, en raison du rétablissement des contrôles aux frontières. La frontière franco-italienne est particulièrement concernée, concentrant 70 % des mesures de réadmissions et non-admissions. Entre le 1er janvier et le 16 novembre 2017, 42 737 personnes ont été refusées à la frontière franco-italienne dans les Alpes-Maritimes (augmentation de 40 % en un an).

Le nombre d’éloignements reste relativement stable depuis plusieurs années (14 859 en 2017). Pour les rapporteurs, l’une des principales difficultés est le refus de certains pays (notamment Mali, Sénégal, Guinée) de délivrer des laissez-passer consulaires. Le taux de délivrance n’est ainsi que de 6 % pour le Mali. Par ailleurs, sur les dix premiers mois de 2017, la PAF a organisé 38 vols groupés, en particulier vers l’Albanie. D’autres pays, notamment africains, refusant ces vols groupés.

Un droit des étrangers constamment retouché rendant le contentieux illisible

Le rapport fait d’abord le constat de l’incohérence du législateur. Vingt-sept lois relatives à l’immigration ont été votées depuis 1980, soit une réforme tous les seize mois. Cela a abouti à une illisibilité de notre droit.

Les rapporteurs s’attardent notamment sur les grandes difficultés entourant les procédures contentieuses applicables aux obligations de quitter le territoire français (OQTF). La loi de 2016 avait créé les OQTF dites « six semaines », complexifiant un peu plus ces procédures. Selon les cas, l’OQTF peut avoir un délai de départ volontaire ou non, des délais de recours et de jugement différents, et doit être jugée en formation collégiale ou par juge unique. Certains syndicats se sont d’ailleurs montrés très critiques vis-à-vis de l’extension des cas où le juge statue seul.

Lien vers le tableau « Les différentes procédures selon les cas dans lesquels un étranger peut faire l’objet d’une OQTF »

Concernant la justice administrative, des mesures de simplification sont attendues (Dalloz actualité, 21 sept. 2017, art. J.-M. Pastor isset(node/186630) ? node/186630 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186630). À noter que depuis le 1er janvier 2017, les présidents de formation de jugement des cours d’appel ont la possibilité de rejeter par ordonnance « les requêtes d’appel manifestement dépourvues de fondement » (CJA, art. R. 222-1). Depuis, les cours administratives d’appel ont rejeté 31 % des requêtes enregistrées en matière de contentieux des étrangers, proportion importante.

Sur la justice judiciaire, la loi de 2016 a ramené de cinq jours à quarante-huit heures le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) pour prolonger la rétention. Ce qui est regretté est surtout l’obligation de statuer dans le délai de vingt-quatre heures, délai qui devrait être desserré dans la future loi Collomb. Cette loi a également transféré du tribunal administratif au JLD, le contrôle de la légalité de la décision administrative de placement en rétention. Selon la DGEF, cela n’a pas entraîné d’augmentation importante de libération des personnes placées en rétention, même si « quelques JLD peuvent avoir un taux de mainlevée très supérieur à la moyenne de l’ensemble de leurs collègues ».

Toutefois, comme l’a rappelé la Cour de cassation par deux arrêts le 27 septembre dernier (Dalloz actualité, 6 oct. 2017, art. L. Sadoun-Jarin isset(node/186933) ? node/186933 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186933) le « juge administratif est seul compétent pour connaître de la légalité des décisions relatives au séjour et à l’éloignement, quand bien même leur illégalité serait invoquée par voie d’exception ». Cela conduit à un double croisement de procédures, qui rend le contentieux de l’éloignement très complexe :

  • croisement entre la procédure judiciaire relative au placement en rétention et la procédure administrative relative à la décision d’éloignement ;
  • croisement entre la requête de l’étranger en annulation de l’arrêté de placement et celle de l’administration en prolongation de la rétention.

Autre innovation de la loi de 2016, la possibilité pour les forces de l’ordre, après décision du JLD, de faire des visites domiciliaires chez des étrangers assignés à résidence. Au final, le rapport note que cette disposition n’a presque pas été appliquée. La proposition de loi Warsman (Dalloz actualité, 7 déc. 2017, obs. P. Januel isset(node/188078) ? node/188078 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188078) va d’ailleurs étendre la durée de validité des ordonnances du JLD de quatre à six jours.

Les rapporteurs critiquent « un système tournant en partie à vide », mobilisant fortement la justice judiciaire, comme administrative (30 % du contentieux). Comme le conclut le rapport, « la complexité du droit applicable nuit à l’efficacité de l’action publique, elle est également préjudiciable aux droits des ressortissants étrangers ».

Des préconisations pour influer sur le projet de loi Collomb

Ce rapport est présenté dans un moment où le projet de loi asile-immigration est déjà très contesté (Dalloz actualité, 14 févr. 2018, art. T. Coustet isset(node/189170) ? node/189170 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189170). Le rapporteur LREM de la mission, le député Jean-Michel Clément, en a profité pour porter en creux certaines critiques sur l’aspect déséquilibré de ce projet de loi. Guillaume Larrivé, sur une position opposée ne s’est pas joint à ces propositions.

Jean-Michel Clément soutient plusieurs aspects du projet de loi à venir. Ainsi, il préconise de porter la durée de la retenue pour vérification d’identité de seize à vingt-quatre heures et de permettre la prise d’empreintes digitales systématiques dans le cadre de cette procédure. Toutefois, il fait d’autres propositions qui ne vont pas dans le sens du projet de loi.

Il préconise notamment la suppression de l’OQTF « six semaines » créée en 2016, plus décriée. Il préconise de simplifier les recours contre les OQTF en ne prévoyant plus que deux cas : une procédure normale à trois mois et une « d’extrême urgence » à soixante-douze heures (si l’étranger fait l’objet d’une mesure de privation de liberté ou d’un transfert Dublin). Pour le député, cette suppression de l’OQTF « six semaines » présenterait toutefois l’inconvénient de ramener la catégorie des déboutés du droit d’asile dans la procédure classique. Mais ces OQTF six semaines n’ont « guère de sens dès lors que le juge administratif rencontre de toute façon des difficultés à tenir le délai imparti ».

Jean-Michel Clément propose de donner cinq jours au juge administratif pour statuer sur la légalité de l’OQTF visant un étranger placé en rétention. Il souhaite également confier au juge judiciaire le contentieux du maintien en rétention en cas de demande d’asile. Il alerte sur la nécessité d’améliorer la prise en charge des mineurs étrangers isolés.

Enfin, il souhaite abroger la circulaire du 12 décembre sur l’examen des situations administratives dans l’hébergement d’urgence. Pour lui, cette circulaire « offre les moyens de détecter, dans le cadre de l’hébergement d’urgence, les personnes sans titre de séjour pour leur appliquer des mesures coercitives ». Pour lui, « on risque ainsi de voir se reconstituer les campements indignes de ces derniers mois et années ».

Cette proposition est loin d’être partagée par tous les députés de son groupe. Si les députés LREM insistent beaucoup sur la cohésion de leur groupe, le sujet les divise profondément, comme l’avaient déjà montré les débats sur la proposition de loi Warsman. La députée Élise Fajgeles a par ailleurs été désignée rapporteure du projet de loi Collomb, alors qu’une représentante de l’aile droite (Marie Guévenoux) était également candidate. Le texte sera présenté en conseil des ministres la semaine prochaine. Les débats s’ouvrent tout juste.