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L’Assemblée nationale face à la multiplication des groupes

Avec la création de deux groupes supplémentaires en une semaine, il y a désormais dix groupes parlementaires à l’Assemblée. Un record absolu depuis la Seconde Guerre mondiale. En cause : la baisse du seuil d’effectifs pour créer un groupe, mais aussi l’absence de culture partisane chez de nombreux députés. Le Parlement français paye son uberisation réussie.

par Pierre Januelle 28 mai 2020

Moins de députés, plus de droits

Dès 2017, l’Assemblée était émiettée en sept groupes : LREM, Modem, LR, PS, UDI-Agir, Insoumis et communistes. En 2018, se crée Libertés & Territoires, groupe composite rassemblant des radicaux, des régionalistes et quelques ex-marcheurs. La semaine dernière un groupe Écologie, démocratie et solidarité s’est bâti autour de députés LREM écologistes et de gauche. Et, hier, s’est fondé un dixième groupe de centre-droit autour des députés du parti Agir. Ces soutiens du ministre de la culture Franck Riester ne s’entendaient plus avec les députés UDI. Si le positionnement politique de centre-droit est identique, les uns soutiennent le gouvernement, les autres s’y opposent.

Sur ces dix groupes, six ont moins de vingt parlementaires. Ils n’auraient pas pu exister avant 2008, quand l’effectif minimal pour créer un groupe était de vingt députés. Ce seuil ne dépend pas de la Constitution mais du règlement de chaque assemblée. À l’origine de la Ve République, il fallait trente députés pour faire un groupe. À la suite des législatives de 1988, les communistes passent sous cette barre. Le gouvernement Rocard n’ayant pas de majorité absolue, un accord est passé et une réforme du règlement abaisse le seuil de trente à vingt. En 2008, afin d’obtenir le soutien des radicaux de gauche à sa réforme constitutionnelle, Nicolas Sarkozy accepte une nouvelle diminution de ce seuil à quinze. L’amendement est finalement adopté à l’unanimité. Au Sénat, en 2011, pour permettre la création d’un groupe écologiste, ce seuil est abaissé à dix.

À mesure que le seuil diminuait, les moyens des groupes augmentaient (v. G. Bergougnous, La multiplication du nombre de groupes parlementaires : pluralisme ou balkanisation de la représentation nationale ?, Constitutions 2018. 376 ). Quelle que soit sa taille, chaque groupe a dorénavant accès à deux questions au gouvernement par semaine ainsi qu’une journée de niche parlementaire et une commission d’enquête par an. Les groupes ont un temps de parole réservé pour chaque discussion générale et explication de vote. Ils ont également des bureaux au palais Bourbon et des moyens pour salarier des collaborateurs de groupe, là encore sur une base qui n’est pas proportionnelle (56 000 €/mois pour les petits groupes, 400 000 €/mois pour LREM qui est composé de vingt fois plus de députés). En quittant un gros groupe pour un plus petit, un député a accès à plus de moyens, plus de temps de parole et peut espérer faire étudier sa proposition de loi.

L’uberisation réussie de la vie parlementaire

Mais ces changements de seuils et de moyens n’expliquent pas tout. Entre 2008 et 2017, les règles étaient comparables et il n’y a pas eu de fuite des députés de la majorité vers des petits groupes. Dans la législature précédente, les groupes écologistes ont même disparu en cours de mandat.

Les raisons de cette dispersion sont politiques. Pour Samuel Le Goff, ancien journaliste parlementaire aujourd’hui consultant à CommStrat « La République en marche paye le prix de l’absence de culture politique chez les députés élus 2017. Auparavant, certains députés avaient investi vingt ans dans leur parti avant d’être élus. Le quitter était un suicide politique. Les marcheurs arrivés en 2017 n’avaient ni cette culture partisane ni cet investissement. » De fait, l’essentiel des départs se concentrent sur les groupes LREM et UDI, là où le Modem et les Républicains ont réussi à conserver leurs troupes.

Autre problème, l’absence de cohérence idéologique des marcheurs élus en 2017. Des désaccords avec la politique gouvernementale ont motivé de nombreux départs. Mais à LREM, ces débats ne peuvent trouver de débouchés dans le parti.

D’autant que le parcours d’Emmanuel Macron, ayant eu raison contre les partis, a ravivé le mythe individualiste de la politique française. Dans notre pays, les groupes ont toujours été faibles face à leurs membres : l’unité de base de notre démocratie reste l’individu, là où d’autres pays se fondent sur les groupes. Au Parlement européen, il faut quarante eurodéputés ou un groupe pour pouvoir déposer un amendement, là où en France le caractère individuel de ce droit est sacré. Et les groupes parlementaires européens ont des moyens bien plus conséquents que les rachitiques groupes de l’Assemblée nationale.

Enfin, la gestion du groupe LREM par son président Gilles Le Gendre est critiquée. En début de mandature, traumatisé par le spectre des frondeurs, le groupe n’osait pas s’imposer à son gouvernement. Les députés devaient trop souvent se contenter de valider les copies et d’avaler les couleuvres. Et lors des remaniements, l’exécutif préférait faire appel à de nouveaux ministres de la société civile plutôt qu’aux députés. De nombreux députés ayant quitté LREM indiquent être mieux traités par les ministres depuis leur départ.

Résultat, à la République en Marche, ni le parti ni le groupe parlementaire ne sont assez puissants pour imposer quoi que ce soit à leurs députés. Ces derniers, sachant que ce choix aura peu de conséquences sur leur carrière, préfèrent fuir vers des groupes plus petits, plus cohérents, où ils seront plus libres et avec plus de moyens pour s’exprimer. La République en marche souffre d’une uberisation réussie.