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L’Assemblée nationale se penche sur la surtransposition des directives européennes

Les députés Alice Thourot (LREM) et Jean-Luc Warsmann (UAI) ont présenté mercredi matin à la commission des Lois, leur rapport d’information sur les moyens de lutter contre la surtransposition des directives européennes dans le droit français. Un élément supplémentaire au débat sur la simplification du droit applicable aux acteurs économiques.

par Pierre Januelle 22 décembre 2017

Surtransposition, surrèglementation et inflation normative

Ce rapport rentre dans les problématiques plus larges de simplification et d’allègement du droit, érigées au rang de priorités dans les discours politiques depuis plusieurs années, que le Gouvernement Philippe a reprises. Ainsi, dès le 26 juillet 2017, le Premier ministre avait signé une circulaire « relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact » (Dalloz actualité, 31 juill. 2017, obs. J.-M. Pastor isset(node/186259) ? node/186259 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186259) et le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance sera étudié par l’Assemblée en janvier ( Dalloz actualité, 29 nov. 2017, obs. M.-C. de Montecler isset(node/187921) ? node/187921 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187921).

Pour les deux rapporteurs, « la surtransposition est l’adoption ou le maintien de mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales d’une directive ». Ces directives sont elles-mêmes à l’origine d’une partie de l’inflation normative. Ainsi sur l’ensemble des mesures législatives adoptées, la part des transpositions représentées 35 % en 2011, 17 % en 2012 et 15 % en 2013 (soit 22 % en moyenne, ce qui est assez loin des 80 % de lois françaises imposées par la commission, chiffre répété dans le débat politique).

Les surtranspositions principalement visées dans le rapport concernent l’agriculture ou le marché intérieur. Elles sont souvent prises pour des raisons de protection de l’environnement ou des consommateurs. Le rapport cite le régime de responsabilité des agences de notation de crédit, les procédures de consultation du public, ou l’interdiction de certains produits phytosanitaires. Le rapport consacre ainsi un encadré à l’interdiction anticipée du diméthoate, des néonicotinoïdes ou du glyphosate pour les cultures françaises.

Les deux députés soulignent les distorsions de concurrence que peuvent poser ces surtranspositions. Par ailleurs, elles sont parfois difficilement applicables. Ainsi, si les valeurs limites d’exposition professionnelle aux poussières de bois sont cinq fois plus basses en France que dans le reste de l’Union, les entreprises sont incapables de les respecter, les machines utilisées étant produites en Allemagne en fonction de la norme européenne.

Plus généralement, les auditions menées par les deux rapporteurs « ont fait apparaître un décalage important entre la perception de la surtransposition par l’administration et par les fédérations professionnelles ». Moyen de souligner que ces normes sont plus sensibles pour les entreprises qui les appliquent que pour l’administration qui les édicte.

Des insuffisances de pilotage gouvernemental comme cause de surtranspositions

La surtransposition peut relever de choix conscients. C’est notamment le cas lorsque la France n’a pu faire prévaloir sa position lors des négociations. Les ministères ont alors tendance à rester sur leurs positions, loin du socle minimal.

Mais elle peut relever de situations moins voulues. Ainsi, la transposition d’une directive n’est pas toujours l’occasion de revenir sur le droit existant. Le droit transposé se superpose alors aux dispositifs nationaux connexes, dont la justification n’est pas toujours réexaminée. La surtransposition peut aussi être le résultat d’un manque d’anticipation lors des négociations. Le rapport regrette la déconnexion entre les équipes chargées de la négociation d’un texte et celles chargées de sa transposition. « Cette coupure entre les phases de négociation et de transposition nuit à la qualité de la transposition et peut conduire à l’adoption de surtranspositions injustifiées ».

Les deux députés déplorent également l’utilisation insuffisante des documents permettant de préparer la transposition ou d’évaluer l’impact des textes. Lorsqu’une proposition de directive est publiée, une « fiche d’impact simplifiée » (FIS 1) qui contient « une description succincte de la proposition de directive et de son insertion dans l’environnement juridique national, ainsi qu’un avis sur le principe du texte » est transmis aux assemblées. Une « fiche d’impact stratégique » (FIS 2), plus approfondie doit ensuite être élaborée. Mais certains ministères ne transmettent pas de FIS 2 complète. Parallèlement, les tableaux de concordance indispensables à la préparation de la transposition et à l’identification d’éventuelles surtranspositions, sont insuffisamment mis à jour.

Dix propositions et un nouveau conseil

Le rapport rappelle que le Premier ministre a demandé à plusieurs inspections de lui remettre d’ici le 1er mars un rapport pour identifier les surtranspositions, ce qui compte tenu du nombre de directives concernés représente un travail important. Le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (Dalloz actualité, 29 nov. 2017, obs. M.-C. de Montecler, préc.) vise également à supprimer quelques surtranspositions. Les deux députés formulent une dizaine de recommandations complémentaires, pour lutter contre le stock et le flux des normes surtransposées.

Ils souhaitent que le Gouvernement saisisse plus fréquemment le Conseil d’État d’une directive dès le stade des négociations, possibilité qui n’a quasiment jamais été utilisée. Le rapport recommande d’ouvrir cette saisine aux assemblées parlementaires. Les parlementaires ayant suivi les négociations des directives au sein de la commission des affaires européennes devraient également être plus systématiquement désignés comme rapporteurs des projets de loi.

Les rapporteurs réclament le renforcement de la coordination interministérielle sur les fiches d’impact stratégiques et les tableaux de concordance, pour avoir des documents exhaustifs. La fiche d’impact stratégique devrait être complétée pour inclure des éléments de droit comparé, et mieux utiliser les analyses que produit la Commission européenne (qui ne sont que rarement traduites en français).

Afin d’identifier clairement et justifier les surtranspositions, le rapport demande qu’une circulaire sur les fiches d’impact des projets d’actes réglementaires soit publiée, ce qui permettrait d’unifier les règles qui relèvent actuellement de quatre circulaires différentes.

Enfin, le rapport préconise la création d’un « conseil pour l’amélioration du droit applicable aux entreprises ». Son champ de compétences ne se limiterait pas à la surtransposition, mais viserait à mieux consulter les organisations professionnelles sur les projets de texte les concernant. Ce nouvel organisme s’inspirerait de l’ancien conseil de la simplification pour les entreprises et serait le pendant privé du Conseil national d’évaluation des normes (Dalloz actualité, 28 mai 2015, obs. M.-C. de Montecler isset(node/172867) ? node/172867 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>172867), obligatoirement consulté par le Gouvernement sur l’impact des textes applicables aux collectivités locales.

Les rapporteurs proposent que ce nouveau conseil puisse être saisi, non seulement par les autorités publiques, mais également par toute personne physique ou morale, de manière individuelle ou collective. L’objectif est de dépasser les réticences de l’administration vis-à-vis des exercices de consultation préalable. Pour Alice Thourot et Jean-Luc Warsmann, « les avis rendus par le conseil permettraient également de rendre plus transparente la distinction entre les contraintes issues du droit de l’Union européenne et celles résultant des normes nationales ». Le projet de loi qui sera discuté en janvier pourrait être l’occasion de discuter de la création de ce conseil.