Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

L’Assemblée s’enflamme sur l’état d’urgence sanitaire

Mardi soir, le gouvernement a été battu à deux reprises lors des débats sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Des débats houleux, qui ont contraint le gouvernement à annoncer un report des votes. Récit.

par Pierre Januelle 4 novembre 2020

Pour la première fois depuis 2015 sur une loi d’état d’urgence, l’Assemblée et le Sénat n’avaient pu se mettre d’accord sur un texte commun. Le Sénat voulait arrêter l’état d’urgence sanitaire au 31 janvier, avec une fin de confinement au 8 décembre. Pour prolonger ces dates, le gouvernement aurait dû repasser par le Parlement. Casus belli pour la majorité qui veut de la visibilité à plus long terme.

« Pour mon fils, acheter des jouets pour Noël c’est essentiel »

La séance d’après-midi fut houleuse, mais maîtrisée. Celle du soir fut bien plus compliquée pour la République en Marche, qui, surprise, n’avait rien anticipé. À 21 heures, l’opposition est majoritaire. Les ministres les plus solides ne sont pas là et la présidence de séance a été laissée à une députée LR, Annie Genevard. Celle-ci à la main lâche sur les débats, qui démarrent sur la date de fin de l’état d’urgence. Les suspensions de séance se multiplient. La droite est surmobilisée, la gauche rapplique, et la majorité a du mal à battre le rappel. On passe au vote. La présidente de séance : « Qui est pour, qui est contre… ah il faut compter » 85 pour, 80 contre, l’amendement est adopté.

L’opposition exulte, se lève, applaudit.

Nouvelle salve d’amendements pour limiter le confinement au 30 novembre. Sentant l’avantage, l’opposition les défend le plus rapidement possible. Après quatre « défendu ! », le rapporteur et le gouvernement, dépassés, décident d’être brefs là où ils devraient gagner du temps. Le débat n’a duré que six mots. Nouveau vote, nouvelle défaite, nouvelle salve d’applaudissements.

La tension est maximale. La majorité gagne l’amendement suivant d’une voix. On arrive aux amendements pour lesquels la droite s’est mobilisée : la réouverture des commerces de proximité. La pression sur le terrain est très forte de la part de commerçants menacés de liquidation et le gouvernement s’est lui-même enferré dans la débat sur la notion de « bien essentiel ». Le député LR Julien Aubert : « Pour mon fils, acheter des jouets pour Noël c’est essentiel ». Son collègue, Philippe Gosselin : « Vous mettez à mal des pans entiers de notre économie. Des gens qui, à peine passés le confinement, étaient, à peine la tête au-dessus de l’eau. Par votre attitude, vous appuyez sur cette tête qui boit la tasse et qui bientôt rendra l’âme. » La palme revient à Jacques Cattin qui demande la réouverture des salons de coiffure : « Chapeau bas à la corporation des coiffeurs qui veulent continuer à travailler et ne pas encore alourdir la dette abyssale qui est en Marche ! ».

« Si vous ne voulez pas l’entendre, sortez d’ici ! »

À 23 heures, Olivier Véran, qui a rappliqué en urgence annonce : « En application de l’article 96, le gouvernement demande la réserve des votes ». Annie Genevard : « Ça veut dire quoi ? » Ça veut dire que tous les votes sont reportés, l’Assemblée se contentant de débattre. Avantage des Constitutions écrites pour des généraux, la Ve République offre une large panoplie d’armes du parlementarisme rationalisé, qui font qu’à la fin, le gouvernement gagne toujours.

La question des votes évacuée, il ne reste plus que les débats. Pour répondre à la droite, le rapporteur Jean-Pierre Pont et le secrétaire d’État Alain Griset lisent leurs fiches d’où il ressort des expressions comme « impératif de protection », de « lisibilité qui conditionne l’acceptabilité » et de « décret applicable aux ERP ».

Plutôt que d’en rester aux fiches, Olivier Véran, en politique, décide de rendre coup pour coup : « Je n’étais pas avec vous à la reprise de la séance, je m’en excuse, j’étais en visite avec Jean Castex dans le service de réanimation d’un hôpital. […] Je suis rentré dans deux chambres. Dans la première, il y avait un jeune homme de 28 ans, intubé et dans le coma, ventilé. Dans la seconde, un jeune homme de 35 ans… C’est ça la réalité, mesdames et messieurs les députés. » La bronca monte. « Si vous ne voulez pas l’entendre, sortez d’ici ! […] Vous êtes en train de débattre de sujets, alors que nos soignants sont en train de se battre pour sauver des vies ».

La suite est à l’avenant, jusqu’à ce qu’une députée LREM, Patricia Mirallès, rescapée du covid, demande une minute de silence pour toutes les personnes mortes dans la journée de la maladie. L’Assemblée ne délibère plus, elle s’émeut. Mais la tension baisse.

Véran reprend la parole et s’explique sur la fermeture des commerces. Pour ralentir la circulation du virus, il y a trois pistes principales : « Ou vous restreignez le travail, avec les risques pour l’emploi qui sont majeurs. Ou vous fermez les écoles. Ou vous fermez les commerces non essentiels. […] Le message essentiel est "restez chez vous". Je ne sais pas expliquer à quelqu’un qui pourrait acheter un jean mais qu’il ne pourrait pas prendre l’apéro chez un copain. »

Cette fermeture des commerces non-essentiels n’est qu’une marche. Si elle ne suffit pas, le gouvernement en montera d’autres. « Plus vous limitez l’impact des mesures de gestion sanitaire, plus ça durera et moins on y arrivera ».

Prolongation des débats jusqu’à tard mercredi.