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Article

L’assurance-vie permet-elle de contourner la réserve héréditaire ?
L’assurance-vie permet-elle de contourner la réserve héréditaire ?
Les primes d’une assurance-vie sont en principe hors succession, à moins d’être manifestement exagérées. La démonstration de cet excès repose sur différents critères tenant à l’âge, la situation patrimoniale et familiale du souscripteur et l’utilité des opérations à la date de chacun des versements. Dans un arrêt du 19 décembre 2024, la Cour de cassation précise que l’intérêt des héritiers réservataires constitue un critère étranger à cette recherche.

Pourquoi l’assurance-vie séduit-elle autant ? Les derniers chiffres connus à ce jour ne semblent pas démentir l’engouement des Français pour ce produit d’assurance : la collecte nette en novembre 2024 a même atteint des records, en se portant à 4 milliards d’euros (France Assureurs, Communiqué du 6 janv. 2025). Outre ses attraits fiscaux, l’assurance-vie est loin d’être dépourvue d’intérêts civils. Même si cela revient à forcer un peu le trait, elle est souvent présentée comme étant « hors succession », et donc de nature à séduire quiconque aspire à élaborer une stratégie patrimoniale pour anticiper la transmission successorale de ses biens.
Conséquemment, il n’est plus rare, aujourd’hui, que de tels contrats se rencontrent à l’ouverture d’une succession ; ce qui est rare c’est plutôt de ne pas en rencontrer… au point d’ailleurs que, dans un office notarial ou un cabinet d’avocat, le code des assurances a désormais autant sa place que le code civil ou le code général des impôts. Partant, il ne faut sans doute pas s’étonner que l’assurance-vie nourrisse un contentieux de plus en plus abondant en matière successorale. Le droit des assurances interagit alors avec celui des successions, et l’on peut s’interroger – comme ce fut le cas dans l’affaire qui nous intéresse – sur l’articulation des règles dévolues à ces contrats avec celles, notamment, de la réserve héréditaire.
Il faut revenir à la situation d’espèce où une dame de 83 ans est décédée en laissant pour lui survivre une unique fille. De son vivant, la défunte avait adhéré à un contrat d’assurance sur la vie, qu’elle avait alimenté de plusieurs versements pour un total de 274 800 €, après avoir désigné bénéficiaire la Ligue nationale contre le cancer. Le fait qu’elle eut à souffrir elle-même de cette terrible maladie n’était sans doute pas étranger à cette entreprise caritative. Qu’importe, la fille unique s’estimait lésée dans ses droits réservataires et elle tenta d’obtenir judiciairement la réintégration d’une partie des primes dans la succession de sa mère.
La cour d’appel (Metz, 23 mai 2023, n° 21/01587), par un arrêt infirmatif, fit droit à la demande, en ordonnant la réduction des primes versées à hauteur de 130 000 € et en exigeant leur réintégration à la succession. Pour ce faire, l’arrêt d’appel avait cru devoir se fonder sur la contrariété du contrat litigieux aux droits de l’héritière réservataire. C’est là, en réaction, ce qui conduisit la Ligue nationale contre le cancer à former un pourvoi.
La Cour de cassation, dans un arrêt qui bénéficie des honneurs d’une publication au Bulletin, désavoue la cour d’appel et revient, à cette occasion, sur les éléments d’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes d’une assurance-vie, en énonçant pour la première fois que l’atteinte à la réserve héréditaire est un critère inopérant.
Appréciation du caractère manifestement exagéré
Les règles, souvent dérogatoires et singulières, qui gouvernent l’assurance-vie doivent être bien connues et maîtrisées. Parmi elles, l’article L. 132-13 du code des assurances pose que les primes d’une assurance-vie ne sont soumises « ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant » ; à moins que ces primes « n’aient été manifestement exagérées ». Ce caractère manifestement exagéré s’apprécie au regard de critères fixés de longue date et régulièrement rappelés par la jurisprudence (v. réc., Civ. 1re, 3 mars 2021, n° 19-21.420, RDSS 2021. 553, obs. A. Niémiec ; Dr. fam. 2021. Comm. 76, obs. A. Tani ; RCA 2021. Comm. 13, obs. P. Pierre ; JCP E 2021. 1419, note M. Leroy ; 6 nov. 2019, n° 18-16.153, D. 2020. 901, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau
; ibid. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre
; AJ fam. 2019. 663, obs. N. Levillain
; Dr. fam. 2020. Comm. 16, obs. A. Tani ; 7 nov. 2018, n° 17-26.566, Dr. fam. 2019. Comm. 15, obs. A. Tani).
Au visa de ce texte, la Cour de cassation rappelle que « les primes versées par le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur, un tel caractère s’appréciant au moment du versement, au regard de l’âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l’utilité du contrat pour celui-ci » (§ 5).
On sait, en pratique, combien cet excès est rarement retenu dans la jurisprudence civile (pour un état des lieux jurisprudentiel, v. not., A. Tani, Tour d’horizon sur le caractère exagéré des primes d’une assurance-vie, Dr. fam. 2023. Comm. 78). En l’espèce, aucun de ces critères n’avait paru suffisant pour caractériser cet excès : il avait même été retenu que « le total des primes versées en 2009 et 2010 restait proportionné au patrimoine de la souscriptrice », comme il avait aussi été estimé que le versement des différentes primes « n’avait pas obéré son train de vie et que ce contrat lui était utile »… Pour plus de détails sur l’examen de ces différents critères et la prise en compte des éléments factuels, on ne peut que recommander la lecture instructive de l’arrêt d’appel.
C’est donc en tentant de s’appuyer sur un autre critère, celui d’une atteinte à la réserve héréditaire, que la Cour d’appel de Metz crut, à tort, pouvoir ordonner la réintégration des sommes.
Inefficacité de l’atteinte à la réserve héréditaire
Pour juger manifestement exagérée l’une des primes, les juges messins énoncèrent que « s’agissant de primes ayant bénéficié, non pas à un héritier mais à un tiers à la succession, il convient de vérifier si ces versements ont porté atteinte à la réserve héréditaire ». Se croyant dès lors obligés à cette vérification, ils se livrèrent à diverses constatations d’espèce : d’abord, « le dernier versement a eu pour conséquence que la quasi-totalité du patrimoine de la souscriptrice s’est trouvée placée sur un unique contrat d’assurance sur la vie dont le bénéficiaire était la Ligue contre le cancer, alors que, disposant par le passé d’une épargne répartie sur différents supports, elle ne pouvait ignorer qu’en agissant de la sorte, elle privait sa fille d’une part très importante de sa succession, excédant la réserve héréditaire » ; ensuite, « cette conséquence est d’ailleurs en accord avec les termes du testament rédigé en 2019, par lequel [la défunte] instituait la Ligue contre le cancer comme légataire universel » ; enfin, « compte tenu d’un actif successoral total de 299 441,90 €, la dernière prime versée a eu pour conséquence de priver [la fille unique] de sa réserve héréditaire, qui se serait théoriquement élevée à la somme de 149 720,95 € ». De tout ceci, ils en déduisirent que « quelle qu’ait pu être l’utilité d’un tel placement pour [la défunte], ce dernier versement apparaît manifestement exagéré au regard de la situation familiale et patrimoniale de celle-ci ».
La Cour de cassation oppose à cette analyse une implacable censure pour violation de la loi, estimant que la décision contestée « s’est fondée sur un critère étranger à l’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes versées » (§ 9).
À dire vrai, on savait déjà que ces critères s’appréciaient cumulativement (censure d’un arrêt d’appel qui s’était prononcé au regard de la situation patrimoniale, « sans rechercher également si, au regard de l’âge, de la situation familiale de la souscriptrice et de l’utilité du contrat pour celle-ci, les primes par elle versées présentaient un caractère manifestement exagéré eu égard à ses facultés », Civ. 2e, 16 juin 2022, n° 20-20.544, Dr. fam. 2022. Comm. 130, obs. A. Tani ; RDBF 2022. Comm. 168, obs. N. Leblond). Mais ici, la Cour de cassation ajoute de façon inédite que ces critères sont traités exhaustivement : ces critères pris tous ensemble (cumulatifs), et rien que ces critères (limitatifs).
L’atteinte à la réserve héréditaire n’est donc pas un élément opérant. C’est pour avoir ajouté un « critère étranger » à l’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes d’une assurance-vie que l’arrêt d’appel est censuré par la Cour de cassation (qui aurait éventuellement pu ici s’emparer de la possibilité de statuer au fond, A. Tani, Casser avec ou sans renvoi ?, RTD civ. 2023. 517 ). L’affaire est alors renvoyée devant une autre cour d’appel, celle de Nancy cette fois, à qui il appartiendra d’apprécier souverainement l’éventuel excès, à condition toutefois de se fonder sur les critères traditionnels que, dans son contrôle disciplinaire, la Cour de cassation fait respecter. Et c’est sur eux que la fille unique pourrait éventuellement tenter de s’appuyer pour protéger ses droits réservataires car, en l’espèce, l’utilité du contrat pourrait aisément se discuter.
Comprenons bien : la censure de la Cour de cassation ne procède pas tant du fait que la cour d’appel a jugé les primes excessives (nous sommes là dans le pouvoir d’appréciation discrétionnaire de la juridiction du fond) mais dans l’erreur de méthode fondée sur l’ajout d’un critère jugé superfétatoire (nous sommes là dans l’exercice du contrôle disciplinaire de la Cour régulatrice).
Reconnaissance d’un outil d’exhérédation ?
Il ne faut surtout pas faire dire à la Cour de cassation ce qu’elle ne dit pas : même si c’est devenu un lieu commun de constater l’affaiblissement de la réserve héréditaire (v. C. Pérès et P. Potentier [dir.], La réserve héréditaire, éd. Panthéon-Assas, 2020), à telle enseigne que l’on peut douter qu’elle soit réellement d’ordre public (sans interdire qu’on lui conserve tout de même un caractère impératif : A. Tani, L’ordre public et le droit patrimonial de la famille : contribution à la distinction entre l’ordre public et l’impérativité en droit privé français, Defrénois, 2020, coll. « Doctorat & Notariat »), l’assurance-vie n’est pas censée permettre qu’on la contourne trop frontalement. Simplement, le garde-fou qui tient à la démonstration du caractère « manifestement exagéré » des primes d’une assurance-vie repose sur la vérification de différents critères : sauf à encourir une censure de la Cour de cassation, il convient de tenir compte, tout à la fois, de l’âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité des opérations à la date de chacun des versements effectués. En revanche, l’intérêt des héritiers réservataires ne constitue pas un critère d’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes. La Cour de cassation ne fait pas autre chose qu’appliquer l’article L. 132-13 du code des assurances.
Malgré tout, il serait aisé de voir dans ce texte un moyen commode de détourner l’assurance-vie pour contourner la réserve héréditaire, mais on ne peut ignorer non plus que la franchise successorale dont bénéficie ce produit d’assurance s’accompagne tout de même de certaines limites, tenant à l’exagération. La faveur de la loi est donc à mettre en perspective avec le contrôle de proportionnalité qu’exerce le juge. Tout est sans doute affaire de mesure, même si ces équilibres paraissent bien subtils.
N’est-ce pas Molière qui, plaisamment, fit remarquer qu’il eut toujours « d’autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes, qui ont des expédients pour passer doucement par-dessus la loi, et rendre juste ce qui n’est pas permis ; qui savent aplanir les difficultés d’une affaire, et trouver des moyens d’éluder la Coutume par quelque avantage indirect. Sans cela, où en serions-nous tous les jours ? » (Le Malade imaginaire, Acte I, scène VII, Folio classique, p. 89).
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