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L’assureur est tenu d’indemniser l’assuré entré frauduleusement en possession de la chose assurée

Il résulte des articles L. 121-1 et L. 121-6 du code des assurances et 1134, devenu 1103, du code civil que l’assureur est tenu d’indemniser son assuré de la perte de la chose assurée quand bien même ce dernier serait entré frauduleusement en possession de celle-ci.

par Victorine Tournairele 16 septembre 2022

Après en avoir pris possession le 29 septembre 2015, l’acquéreur d’un véhicule d’occasion avait attendu près de trois mois pour le faire immatriculer et assurer, le 28 décembre de la même année, date à laquelle une facture attestant du règlement du solde du prix de vente lui avait été délivrée. Trois jours plus tard, dans la nuit du 31 décembre, ce véhicule avait été accidentellement incendié sur la voie publique. L’assureur refusa son indemnisation, au motif que l’assuré était receleur de fait dudit véhicule, lequel aurait été détourné au préjudice d’une société de location polonaise puis cédé à celui-ci pour un prix très inférieur à celui du marché. Alors que les juges du fond avaient abondé en son sens, la cour d’appel considérant justifié son refus « d’indemniser la perte d’un véhicule acquis dans des conditions frauduleuses, sur lequel son assuré aurait des droits éminemment contestables » (Bastia, 12 févr. 2020, n° 19/00027), la Cour de cassation exerce sa censure dans une décision ayant les faveurs du Bulletin.

Rappelant qu’il résulte des articles L. 121-1, alinéa 1, et L. 121-6, alinéa 1, du code des assurances que l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité et que toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose peut la faire assurer, et de l’article 1134, devenu 1103, du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, la deuxième chambre civile juge inopérant le motif tiré de la qualité de la possession du souscripteur-assuré sur le véhicule sinistré pour considérer qu’il appartenait à l’assureur d’exécuter l’obligation indemnitaire dont il était tenu envers celui-ci.

Cette solution n’est pas inédite. Dans un arrêt du 25 avril 1990 (n° 88-17.699 P, Lellouch c/ Présence Assurances (Sté), D. 1991. 20 , obs. A. Robert ; RGAT 1990. 891, note J. Kullmann ; RCA 1990, n° 259), la première chambre civile avait déjà considéré que l’assureur garantissant un véhicule contre le vol ne pouvait pas invoquer les caractères précaire et équivoque de sa possession par l’assuré pour refuser de l’indemniser, en affirmant que « les qualités de la possession sur le véhicule litigieux étaient indifférentes, dès lors que [le possesseur de celui-ci], ayant intérêt à sa conservation, avait fait assurer à son propre bénéfice ce véhicule qui n’était revendiqué par quiconque à son encontre ». Plus récemment, c’est sous l’angle de la preuve que la deuxième chambre civile retenait que le bénéfice d’une garantie contre le vol d’un véhicule n’était pas subordonné à la qualité de propriétaire de celui-ci mais seulement à celle d’assuré (Civ. 2e, 15 janv. 2015, no 13-27.109 : RCA 2015, n° 136, note H. Groutel ; RGDA 2015. 160, note A. Pélissier).

Visés dans chacun de ces arrêts, les trois textes précités nous semblent commander une telle position.
D’une part, l’article L. 121-6, alinéa 1, du code des assurances permet effectivement à « toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose » de la faire assurer. La souscription d’un contrat d’assurance de chose n’est, ainsi, pas autorisée qu’à son seul propriétaire, ni même qu’aux seuls titulaires d’un droit – réel ou personnel – portant sur celle-ci ; elle n’est subordonnée qu’à l’existence d’un tel intérêt. Or, « l’utilisateur d’un véhicule, et de manière plus générale d’un bien, qu’il en soit détenteur, possesseur ou propriétaire, a un intérêt à la conservation de ce bien […]. Il est, en effet, exposé au risque de ne plus pouvoir utiliser le bien si un événement l’affectant survient » (A. Pélissier, note préc.). L’intérêt d’assurance ne se discerne dès lors pas dans l’existence d’un lien de droit entre une personne et une chose, mais « dans l’effet que la réalisation du risque peut provoquer à l’égard de la situation économique de l’assuré » (J. Kullmann, note préc., p. 892). L’arrêt commenté constitue ainsi l’occasion de rappeler que le droit français adopte une conception économique de l’intérêt d’assurance (pour une comparaison entre l’appréhension française de cette notion et celle de différents droits étrangers, v. spéc., M. Provost, La notion d’intérêt d’assurance, préf. F. Leduc, LGDJ, coll. « Bibl. dr. assur. », t. 51, 2009 ; L. Mayaux, Les grandes questions du droit des assurances, LGDJ, Lextenso, 2011, nos 58 s.). De plus, l’article L. 121-6 n’exigeant pas, au contraire de son homologue applicable à l’assurance non-terrestre (C. assur., art. L. 171-3), que cet intérêt soit légitime, la souscription d’un contrat d’assurance terrestre portant sur une chose volée est en définitive permise à son voleur ou receleur.

Soulignons cependant que si l’existence d’un tel intérêt autorise la souscription d’un contrat d’assurance, elle ne présume pas de la validité de celui-ci. En particulier, lorsque la chose assurée a été acquise dans des circonstances douteuses, le contrat l’assurant demeure susceptible d’être annulé pour illicéité de son contenu. Pareille sanction suppose toutefois la démonstration par l’assureur, a minima du vol ou du détournement de la chose avant la conclusion du contrat d’assurance, voire de la volonté du souscripteur, au moment de la souscription du contrat, de parvenir à un sinistre afin de percevoir l’indemnité – selon que l’on rattache cette hypothèse à l’illicéité des stipulations ou du but contractuel (sur cette question, appliquée aux anciennes notions d’objet et de cause subjective, v. A. Pélissier, note préc.). Ces conditions font écho au contexte de la présente affaire. Non seulement le véhicule en question avait été acquis, pour reprendre les termes employés par les juges du fond, dans des « circonstances obscures », résultant du décalage entre la prise de possession de celui-ci et son immatriculation ainsi que son assurance, du fait que la déclaration de cession faisait référence à un certificat d’immatriculation n’indiquant ni sa date ni son numéro, et de l’absence de justification, par l’assuré, du versement allégué d’acomptes en espèce. Mais encore le sinistre était-il survenu trois jours seulement après la souscription du contrat d’assurance. Néanmoins, circonstances suspectes ne valant pas preuve – le caractère accidentel de l’incendie du véhicule n’était d’ailleurs pas discuté en l’espèce –, le contrat d’assurance devait ici être considéré comme valablement conclu.

De là, d’autre part, l’intervention des deux autres textes visés. Un contrat légalement formé doit effectivement être exécuté en vertu de l’article 1134, devenu 1103, du code civil, et l’exécution d’un contrat d’assurance de dommages suppose, en cas de sinistre, l’indemnisation de l’assuré par l’assureur conformément à l’article L. 121-1 du code des assurances. L’assuré, même entré frauduleusement en possession de celle-ci, est ainsi en droit d’exiger l’exécution du contrat d’assurance et, plus encore, de recevoir l’indemnité d’assurance. Cette dernière ne saurait d’ailleurs être valablement réclamée par le propriétaire de la chose assurée (en sa seule qualité de propriétaire tout du moins, v. en ce sens, Civ. 25 mai 1943, DC 1944. 25, note A. Besson ; JCP 1943. II. 2498, note P. Lerebours-Pigeonnière ; RGAT 1944. 30), s’agissant d’un tiers au contrat d’assurance dont l’action en revendication ne peut se reporter sur l’indemnité d’assurance (Civ. 1re, 9 déc. 1997, n° 95-17544, RGDA 1998. 137, note L. Mayaux ; v. égal. sur ce point, A. Pélissier, note préc.).

Partant, en plus d’être justifiée textuellement, et bien que susceptible d’être discutée du point de vue de la morale (v. en ce sens J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances, t. 3 : Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ, 2014, n° 413), la solution ici retenue s’avère conforme à l’économie du contrat d’assurance, dès lors qu’en payant ses primes, le souscripteur-utilisateur de la chose assurée a contribué à l’opération d’assurance.