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L’avis de la Cour de cassation sur le droit de se taire au cours des débats sur la détention provisoire

Bien qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ait été renvoyée au Conseil constitutionnel sur la notification du droit de se taire au cours des débats sur la détention provisoire, la chambre criminelle a donné son propre point de vue dans l’arrêt du 24 février 2021.

par Méryl Recotilletle 15 mars 2021

L’abondance de la jurisprudence récente de la Cour de cassation s’agissant du droit de se taire

Depuis 2016 (Crim. 24 mai 2016, n° 15-82.516, Dalloz actualité, 28 juin 2016, obs. L. Collot ; D. 2016. 1202 ), le droit de se taire se faisait discret dans la jurisprudence. Cependant, depuis 2019, les décisions sur ce droit se bousculent et se succèdent, car l’on réalise progressivement que son étendue n’est pas si grande qu’on pourrait le penser. Il a ainsi été nécessaire de conclure que le prévenu doit être informé de son droit au silence avant que son avocat ait soutenu une demande de nullité et que le ministère public ait présenté ses réquisitions sur cette demande (Crim. 16 oct. 2019, n° 18-86.614, Dalloz actualité, 8 nov. 2019, obs. H. Diaz ; D. 2019. 1996 ; ibid. 2020. 567, chron. A.-L. Méano, L. Ascensi, A.-S. de Lamarzelle, M. Fouquet et C. Carbonaro ; AJ pénal 2019. 616, obs. C.-A. Vaz-Fernandez ). De même, le mis en examen qui interjette appel de l’ordonnance de mise en accusation doit être informé de son droit de garder le silence (Crim. 14 mai 2019, n° 19-81.408, Dalloz actualité, 6 juin 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 1050 ; AJ pénal 2019. 390, obs. D. Miranda ). Également, le mis en examen qui comparaît devant la chambre de l’instruction a le droit de se taire dans le cadre d’une procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (Crim. 8 juill. 2020, n° 19-85.954, Dalloz actualité, 7 sept. 2020, obs. M. Recotillet ; D. 2020. 1463 ; AJ pénal 2020. 414, obs. J.-B. Thierry ; RSC 2020. 686, obs. P.-J. Delage ). La question de l’étendue de ce droit a été portée jusque devant le Conseil constitutionnel.

La sollicitation du Conseil constitutionnel

Le 4 décembre 2020 (v. Crim. 1er déc. 2020, n° 20-90.027), il a été saisi d’une QPC portant sur la constitutionnalité des articles 395 et 396 du code de procédure pénale. Il était reproché à ces dispositions de méconnaître la présomption d’innocence, dont découle le droit au silence, ainsi que les droits de la défense, car elles ne prévoyaient pas que le juge des libertés et de la détention, saisi aux fins de placement en détention provisoire dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, devait notifier au prévenu qui comparaît devant lui son droit de se taire. Par décision du 9 février 2021 (Crim. 9 févr. 2021, n° 20-86.533, Dalloz actualité, 18 févr. 2021, obs. D. Goetz), la Cour de cassation a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une autre QPC, mettant en cause cette fois-ci l’article 199 du code de procédure pénale. En effet, en l’absence de notification préalable à la personne détenue de son droit de se taire au cours des débats sur la détention provisoire, il pourrait être porté atteinte à son droit de ne pas s’accuser. Parce que cette QPC avait été transmise, les hauts magistrats ont refusé, dans l’arrêt du 16 février 2021 (Crim. 16 févr. 2021, n° 20-86.537), de communiquer celle de l’intéressé au Conseil constitutionnel puisqu’elle était identique à la précédente.

Les faits d’espèce

Cependant, en application de l’article 23-5, alinéa 4, de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, et de la décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, la chambre criminelle s’est tout de même prononcée sur le moyen au pourvoi du mis en cause : il se déduit des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale qu’une juridiction prononçant un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité ne peut tenir compte, à l’encontre de la personne poursuivie, de déclarations sur les faits effectuées par celle-ci devant cette juridiction ou devant une juridiction différente sans que l’intéressé ait été informé, par la juridiction qui les a recueillies, de son droit de se taire, lorsqu’une telle information était nécessaire. Pour résumer, il était question de savoir si, au stade où la juridiction d’instruction se prononce sur une mesure de sûreté, elle doit informer le mis en examen du droit de se taire ? Cela revient à se demander si eu égard à la jurisprudence récente de la Cour s’agissant de l’office de la chambre de l’instruction et du contrôle des conditions de la détention provisoire, les fameux indices graves ou concordants sont abordés lorsqu’il faut statuer sur une détention provisoire.

Un bond en avant prometteur

Jusqu’à lors, les juges considéraient que l’information du droit de se taire à la personne mise en examen n’avait pas à être donnée lors d’une audience au cours de laquelle est examinée la détention provisoire, car son audition a pour objet non pas d’apprécier la nature des indices pesant sur elle, mais d’examiner la nécessité d’un placement ou d’un maintien en détention (Crim. 7 août 2019, n° 19-83.508). Toutefois, leur position a évolué, tant et si bien que désormais, il se déduit de l’article 5, 1, c), de la Convention européenne des droits de l’homme que la chambre de l’instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s’assurer, même d’office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation comme auteur ou complice de la personne mise en examen à la commission des infractions dont le juge d’instruction est saisi (Crim. 27 janv. 2021, n° 20-85.990, Dalloz actualité, 17 févr. 2021, obs. M. Dominati ; v. égal. Crim. 14 oct. 2020, n° 20-82.961, Dalloz actualité, 23 nov. 2020, obs. D. Goetz ; D. 2020. 2014 ; AJ pénal 2021. 27, note J. Boudot ; RSC 2020. 967, obs. J.-P. Valat ; 9 févr. 2021, n° 20-86.339, Dalloz actualité, 5 mars 2021, obs. M. Recotillet). La chambre criminelle a posé là un nouveau principe, dont les conséquences logiques vont en faveur des droits de la défense. En somme, les fameux indices sont dans les débats devant la chambre de l’instruction lorsque celle-ci doit se prononcer sur les mesures de sûreté telles que la détention provisoire. Par conséquent, puisqu’il est question d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation comme auteur ou complice de la personne mise en examen, cette dernière peut naturellement être amenée à faire des déclarations qui, si elles figurent au dossier de la procédure, sont susceptibles d’être prises en considération par les juridictions prononçant un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. C’est ainsi que la Haute cour a jugé dans l’arrêt du 24 février 2021 « que le droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire doit être porté à la connaissance de la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux d’une mesure de sûreté ». Le raisonnement semble plus que logique eu égard à l’évolution constatée. Cependant, les juges ont émis une réserve déroutante.

Une hésitation déconcertante

Ils ont considéré que l’évolution rappelée n’impliquait pas que la chambre de l’instruction soit amenée à statuer sur le bien-fondé de la mise en examen, qui relève d’un contentieux distinct de celui des mesures de sûreté. Alors, dans ces conditions, le défaut d’information du droit de se taire est sans incidence sur la régularité de la décision rendue en matière de mesure de sûreté. Pourtant, la mise en examen ne repose-t-elle pas sur les indices graves ou concordants ? L’inconfort des juges est notable dès lors qu’ils ont tout de même cru bon de préciser que, à défaut d’une telle information, les déclarations de l’intéressé ne pourraient être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. Tel est donc le lot de consolation du mis en examen. Tirant les conséquences de son argumentaire, la chambre criminelle a jugé le 24 février, avant que le Conseil constitutionnel ne se prononce, que n’encourt pas la cassation l’arrêt qui rejette une demande de mise en liberté sans avoir informé le mis en cause de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire dès lors que cette carence n’a aucune incidence sur la régularité de la décision portant sur la détention provisoire. Toutefois, en cas d’absence d’information, les déclarations du mis en examen ne pourront être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.

La réponse attendue du Conseil constitutionnel

Devant cette décision pour le moins décevante pour les droits de la défense, la réponse du Conseil constitutionnel se fait désirer. Néanmoins, on peut oser imaginer quelle sera sa position si l’on en croit la tendance donnée dans sa décision du 4 mars 2021 (Cons. const. 4 mars 2021, n° 2020-886 QPC, Dalloz actualité, 12 mars 2021, obs. V. Morgante ; D. 2021. 473, et les obs. ). En effet, les juges de la rue de Montpensier ont soutenu qu’à défaut d’information du prévenu sur son droit de se taire, le Conseil constitutionnel juge contraire à la Constitution des dispositions concernant la procédure de présentation devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d’une comparution immédiate.